Une délégation de 10 réfugiés participera aux prochains Jeux olympiques de Rio, au Brésil. Il y a quelques mois, les clubs de football professionnels ont multiplié les dons aux migrants. Coup de pouce ou coup marketing ? Et si l’un n’empêchait pas l’autre…
Les JO s’achètent-ils une bonne conscience ? Le Comité international olympique (CIO), l’institution qui chapeaute les Jeux, fera concourir pour la première fois une délégation de réfugiés lors des olympiades de Rio, qui se tiendront du 5 au 21 août. Pour Thomas Bach, le président du CIO, il s’agit « d’envoyer un message d’espoir et de confiance aux réfugiés et d’attirer l’attention du monde sur (leur) sort ».
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Seuls 10 réfugiés sur 43 présélectionnées ont finalement atteint les minimas indispensables pour aller au Brésil. Ces nageurs, judokas et athlètes ont fui le Sud Soudan (5), le Congo (2), la Syrie (2) et l’Ethiopie. Un moyen d’en faire les porte-paroles des 65,3 millions de personnes – un record – qui ont dû quitter leurs pays en 2015, chassées par des conflits et persécutions, selon le rapport annuel du Haut commissariat de l’Onu pour les réfugiés (HCR).
#UNHCR – These 10 refugees will compete at #2016Olympics in #Rio, under refugee flag https://t.co/WSaSPwEO8j pic.twitter.com/Rnpg5UsMbE
— william (@DocumentaryCine) 5 juin 2016
Redorer son blason à coup de millions
Ce n’est pas la première fois que le monde du sport se mobilise pour les réfugiés. En septembre 2015, avant l’initiative du CIO, le Paris Saint-Germain a versé un million d’euros par l’entremise de sa fondation au Secours populaire et au HCR. Au plus fort de la crise des migrants, un joli coup de com’ médiatique sous couvert de philanthropie ? Plutôt oui, selon Pascal Perri, économiste du sport :
« Souvent critiqués pour les milliards que brassent le milieu du football, les clubs, qui sont aussi des entreprises, soignent leur image en apportant leur contribution. »
Et le foot professionnel allemand est celui qui est allé le plus loin. Il avait vivement manifesté son émotion à l’égard du sort des migrants. En particulier après la divulgation en septembre 2015 de la photo d’Aylan, un enfant syrien de trois ans retrouvé sans vie sur une plage turque, à la suite du naufrage de son embarcation. Certains clubs de Bundesliga – la Ligue 1 allemande – ont reversé une partie des recettes de billetterie en faveur de la cause des réfugiés. Côté tribunes, les supporteurs d’Hambourg et du Werder Brême ont pris l’initiative de déployer des banderoles « Welcome refugees », à l’occasion des premiers matches de la saison 2015-2016. Depuis la crise des migrants, l’Allemagne a accueilli plus de 1,5 million de personnes, selon l’Office fédérale des migrations et des réfugiés. La plupart étant originaires de Syrie.
More banners at football stadiums in #Germany
What’s up in your country? pic.twitter.com/wVsnYC7Pvi— Mark (@markito0171) 30 août 2015
Des réfugiées victimes de discriminations sexuelles
« On ne s’achète pas une conscience politique avec une banderole », tacle Laurent Thieule, président de Kraainem Football, en banlieue de Bruxelles (Belgique). Celui qui est aussi président du think tank Sport et Citoyenneté, rassemble dans son club plus de 300 jeunes de 40 nationalités. Parmi eux, des réfugiés. « Il faut que les collectivités, les associations et les clubs sportifs coopèrent pour impulser un mouvement du bas du corps social vers le haut de la pyramide. » Pour lui, c’est le seul moyen d’intégrer les migrants sur la durée et surtout d’agir de manière concrète. L’académie de Laurent Thieule offre par exemple des heures de français aux footballeurs réfugiés.
Un avis que partage Cécile Chartrain, présidente des Dégommeuses, association de footballeuses militantes qui lutte contre les discriminations lesbophobes. « On accueille des réfugiées depuis trois ou quatre ans. C’est en ça que l’on diffère des grosses structures qui donnent des millions aux associations. » Une semaine avant l’Euro de football, les Dégommeuses ont organisé le tournoi Foot for freedom, à Paris. Des réfugiées, victimes de discriminations liées à l’orientation sexuelle, se sont mélangées à d’autres personnes pour jouer et échanger. « Les millions du foot ne remplaceront jamais le travail des acteurs sur le terrain », soupire Cécile Chartrain.
Bravo à @alicecoffin et @pppaulppp de l’AJL qui participent au tournoi « Foot for Freedom » ce dimanche. pic.twitter.com/AebbAnwWqe
— AJL (@ajlgbt) 5 juin 2016
« Vous n’êtes pas passés sous les écrans radars »
« Football ou Jeux olympiques, ces coup de com’ sont nécessaires », estime Sonia Laboureau, de La Cimade, association de défense des droits des étrangers. La responsable du centre international pour réfugiés de Massy juge louable ces initiatives qui « démontrent un engagement fort du sport ». Pour preuve, la délégation de réfugiés concourra sous la bannière olympique et défilera juste avant le Brésil lors de la cérémonie d’ouverture au stade Maracanã de Rio, le 5 août. Pour l’économiste du sport Pascal Perri, le geste du CIO est diplomatique : « Il s’agit de dire aux minorités : vous n’êtes pas passés sous les écrans radars ».
President of the IOC, Thomas Bach visits Athens’ Eleonas Camp, in solidarity with the refugees.#Refugees pic.twitter.com/RBmzMY8kW3
— Vikki McCraw (@VikkiMcPhoto) 28 janvier 2016
C’est le cas avec la délégation de réfugiés aux prochains JO de Rio, c’était déjà le cas avec la sélection palestinienne de football. La Palestine n’est que partiellement reconnue en tant qu’Etat par le concert des nations de l’ONU. La Fifa, qui gère le foot mondial, l’a pourtant intégrée en 1998 dans ses compétitions. De même en 2000, aux JO de Sydney, le Timor Oriental, pays placé sous administration transitoire des Nations unies, avait participé aux Jeux sous le drapeau olympique.
Petits ou gros, instances ou associations, les acteurs du sport semblent à l’avant-garde en matière de reconnaissance des situations à caractère géopolitique. Le Comité international olympique, en particulier, affirme sa neutralité politique en ouvrant la compétition aux athlètes sans Etat, ou ceux dont le pays est en conflit. « Il développe sa propre « géographie sportive », pour reprendre une expression de Pierre de Coubertin, en dehors des Etats, ou plutôt à leur insu », explique Patrick Clastres, historien du sport. Si l’ONU fixe à 193 le nombre officiel d’Etats dans le monde, le CIO, quant à lui, reconnaît 206 Comités nationaux olympiques, soit autant de nations. Des mesures symboliques, tantôt politiques, tantôt médiatiques, qui lui donnent un coup d’avance.
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