Près de soixante millions de téléphones portables inutilisés dormiraient dans nos tiroirs. Une dizaine de sites internet français proposent de les racheter pour quelques euros. Recyclage, aide aux associations et aux pays émergents… Le marché soigne son image écolo et solidaire.
Incitation des opérateurs à changer de mobile et désir de posséder un bijou technologique dernier cri… Les Français changent de portable en moyenne tous les 18 mois. Alors qu’un portable a une durée de vie théorique d’environ sept ans.
Les opérateurs doivent récupérer les anciens portables, mais peu le proposent spontanément. Que deviennent-ils alors ?, s’interroge la dernière étude TNS Sofres réalisée pour l’Afom (Association française des opérateurs mobiles) et publiée mi mai.
Sur le tiers de Français ayant changé de portable au cours des douze derniers mois, ils ne sont que 4 % à l’avoir rendu à leur opérateur et 7 % à l’avoir donné à recycler. 5 % l’ont jeté. La majorité le donne à un proche (21 %) ou… le range et l’oublie (38%).
Résultat : 60 millions d’objets déchus de votre désir téléphonique prennent la poussière dans les tiroirs.
Dans le sillage de l’Angleterre, pionnière en la matière, les sites proposant de racheter les portables usagés fleurissent sur la toile française. Love2recycle, Fonebak et Fonebank (à ne pas confondre), MonExTel ou encore Mobilorama, ils seraient « six ou sept concurrents sérieux », estime t-on chez Fonebank. Les portables sont achetés de deux à deux cents euros, remis en état (ou recyclés si l’on ne peut plus rien pour eux) puis revendus d’occasion.
Ecolo et solidaire
Argument n°1 : c’est bon pour la planète. Outre le plastique du boîtier, le verre de l’écran, et quelques métaux comme le cuivre ou l’argent, un portable contient des substances potentiellement dangereuses pour la santé comme du plomb, du mercure ou du cadmium. Il faut donc RE-CY-CLER.
« Tous les sites se sont lancés à peu près en même temps, à la rentrée 2009. Avec « l’effet Grenelle », l’idée était dans l’air du temps et les esprits sensibilisés »
, explique Anaïck Brout, responsable marketing du site Fonebank.
« Et avec la crise, gagner 5 ou 6 euros en revendant son ancien portable n’est plus si négligeable. »
Mais pas l’unique solution.
La plupart des sites proposent de reverser la compensation financière à des associations. Mobilorama soutient Médecins du Monde, Fonebak s’associe ponctuellement à des organisations comme le Téléthon ou la Croix Rouge. Sur le site de Monextel, lancé en août dernier, on peut choisir parmi 58 associations.
Solidaire, d’accord. Et lucratif ? MonExtel assure recevoir 10 000 portables par mois. Fonebank en totalise le même nombre depuis son lancement en septembre. Des chiffres encore modestes, mais le potentiel de développement est énorme, juge Christian Laferrere, directeur général de Love2recycle.
«5 à 9 millions de mobiles ont été rachetés en Angleterre en 2009. En France, ce n’est pas encore entré dans les moeurs. »
Aider les pays émergents à s’équiper
A l’autre bout de la chaîne, les téléphones portables remis en état se revendent essentiellement à l’étranger.
« Démodés selon les critères des marchés occidentaux, ils peuvent connaître une seconde vie dans les pays émergents, où le taux de pénétration des mobiles reste plus faible qu’en France. Les populations sont ravies de se procurer un téléphone de qualité pour l’équivalent de 30 ou 40 euros »
, explique Christian Laferrere.
Love2recycle écoule ses stocks en Inde, en Afrique, en Indonésie ou en Chine. MonExtel revend la moitié de ses téléphones en Afrique du Nord et de l’Ouest. Chez Fonebank, la totalité des marchandises part en Afrique anglophone ou à Hong-Kong.
D’où un dernier argument, quasi humanitaire : « accélérer le développement » des pays du Sud. Sur son site, Fonebank joue ainsi sur la corde sensible.
« Dans certaines parties du monde, avoir une ligne fixe est impossible ou trop onéreux. Un téléphone portable d’occasion peut être un moyen de communication plus fiable et plus abordable. Cela permet à des populations isolées de développer une activité économique, d’avoir un accès à l’information ou simplement d’être en contact avec leur famille, leurs amis … »
« Je n’aime pas cet argument », s’indigne Benoît Varin, co-fondateur de Monextel.
« Ils ne nous ont pas attendus pour s’équiper en téléphonie mobile ».
L’’Union internationale des télécommunications lui donne plutôt raison dans une étude de 2009.
« Ces initiatives restent utiles », tempère Annie Chéneau-Loquay, directrice de recherche au Centre d’Etudes d’Afrique Noire du CNRS.
« Une économie de l’occasion s’est développée en Afrique pour répondre aux demandes de la fraction très pauvre de la population qui aspire aussi au téléphone portable. »