A un an de la primaire à droite, Alain Juppé commence à dévoiler son programme de candidat à la présidence de la République. Ce mercredi, il publie ses « orientations » pour l’Education nationale.
Alain Juppé n’a pas chômé cet été. Le principal rival de Nicolas Sarkozy pour les primaires à droite, est allé à la rencontre du monde de l’enseignement, en lançant notamment une consultation en ligne auprès des professeurs et des parents d’élèves. L’énarque en a tiré un livre : Mes chemins pour l’école, publié ce jour, dans lequel il dévoile sa vision et ses ambitions pour l’Education nationale, « la mère des réformes ».
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Dans les première pages, Alain Juppé retrace sa propre expérience d’écolier dans les Landes. Cette époque bénie où « on ne vendait pas de drogue à la sortie du lycée » et où les jeunes « ne s’adonnait pas au ‘binge drinking' ». On croit voir resurgir le fameux antagonisme entre le décadent XXIe siècle et le mythe de l’école communale idéale. Pourtant, si les totems de la droite – évaluation, autonomie des établissements et apprentissage – sont bien présents, le maire de Bordeaux offre tout de même une vision de l’Education nationale que même la ministre actuelle juge « modérée ».
« Les évaluations doivent servir à la prévention »
Parmi ses « orientations », Alain Juppé fait de la maîtrise de langue et du socle commun des connaissances, l’une des deux grandes priorités pour l’école. Pour cela il veut agir à la source, en réorientant les moyens vers les classes de maternelle et de CP. “Mettre le paquet sur le primaire c’est une bonne chose », se réjouit Sébastien Sihr, secrétaire général du syndicat enseignant SNUipp-FSU. « Le slogan ‘priorité à l’école primaire’ semble faire recette, je pense à François Hollande en 2012, mais depuis il a pris du retard.”
Dans son livre, Alain Juppé dit vouloir « éliminer » le décrochage scolaire et propose d’accentuer les évaluations dans le premier cycle. L’objectif : déterminer le plus tôt les lacunes des élèves et les corriger par un travail en petits groupes.
Aurélie Olivier est enseignante en classe de CE2 dans une école classée REP (Réseau d’étudcation prioritaire, ndlr) à Valence. Le rituel des évaluations nationales de rentrée, elle connaît et n’y est pas franchement favorable. « Les enfants rentrent de vacances, certains sont allés à l’étranger, c’est normal qu’ils aient des lacunes, mais elles se corrigent vite. Si on faisait ces évaluations un mois plus tard on n’aurait pas les mêmes résultats », critique-t-elle.
Pour Sébastien Sihr, secrétaire général du syndicat enseignant SNUipp-FSU : “Il ne faut pas que les première années de l’école soient marquées au fer rouge de l’échec scolaire, elles doivent servir à la prévention ». Le syndicaliste prend notamment l’exemple de la Finlande, dont le système éducatif est souvent cité en exemple. Là-bas, les élèves n’ont pas d’évaluation chiffrées avant 9 ans, et ne commencent à recevoir des notes qu’à 11 ans.
« Le plus difficile finalement, reste le passage en sixième »
Le candidat à la primaire insiste aussi sur la réduction des effectifs dans les classes du premier cycle (maternelle et CP), pour assurer un meilleur accompagnement des enfants. Si Sébastien Sihr approuve cette orientation, rappelant « qu »une classe de maternelle sur deux a plus de 25 élèves et 7 700 en ont plus de 30 ! », Aurélie Olivier nuance.
« Il y a quelques années on avait fait une expérience avec seulement 15 élèves dans la classe de CP. Évidemment c’était plus facile pour l’enseignant de gérer sa classe mais on s’est rendu compte que les élèves ne lisaient pas mieux », raconte-elle.
L’enseignante n’est de plus pas persuadée que l’attention portée sur le premier cycle soit la clef de la réussite des élèves. « Le plus difficile finalement, reste le passage en sixième, c’est un changement brutal ». Avec le découpage de la journée en fonction des matières, le travail personnel à la maison, le collège demande beaucoup d’efforts aux enfants pour s’adapter. « Et les professeurs n’ont les enfants devant eux que 55 minutes, en primaire on les suit toute la journée.”
Alain Juppé peut-il augmenter les salaires ?
Outre l’attention portée aux élèves, Alain Juppé veut redorer le blason des enseignants. « Les professeurs croient avoir perdu leur statut social », écrit le candidat à la primaire, or il reste persuadé que « le système éducatif est fonction de la qualité de nos professeurs ». Aujourd’hui, les professeurs des écoles français sont les moins bien payés de l’OCDE – 800 euros de moins que leurs homologues allemands –, alors qu’ils travaillent en moyenne 44 heures par semaine, un record.
C’est pourquoi il propose, dès la première année de son mandat, de revaloriser le salaire des enseignants du premier degré de 10 %. « Je dis chiche ! », répond Christian Chevalier, secrétaire général du syndicat enseignant SE-Unsa. Le coût ? Près d’un milliard et demi d’euros selon Najat Vallaud-Belkacem qui a qualifié cette proposition de « promesse de Gascon ». Alain Juppé prévoit de faire des économies en réduisant les épreuves du bac, sera-t-il suffisant ?
Accentuer le volet pédagogique de la formation des enseignants
Le candidat à la primaire veut améliorer la formation initiale et continue des professeurs en insistant sur le volet pédagogique. Une ambition logique puisque la réussite aux concours du premier degré (CRPE) et du second degré (Capes) n’est pas déterminée par les compétences pédagogiques des candidats. Dans les deux cas, seule une épreuve orale est dédiée à la mise en situation professionnelle.
“Le concours en lui-même est essentiellement basé sur les connaissances », confirme Caroline Galatia, qui a obtenu son Capes de français il y a un an. Pour sa première année en tant que titulaire, la jeune professeur de français a dû se rendre une fois par mois dans une Espé (École supérieur du professorat et de l’éducation, ndlr). « On était un groupe de trente personnes et on travaillait sur des cas pratiques, chacun racontait son expérience. Personnellement, ça ne m’a pas aidé”, confie-t-elle.
De son côté, Aurélie Olivier déplore l’absence de formation continue. Quand elle a commencé à enseigner en 1996, elle pouvait « partir un ou deux semaines en formation sur un thème pédagogique, maintenant il n’y a plus du tout de formation », regrette-t-elle. « On a des animations pédagogiques mais ça fait presque dix ans que l’on n’a pas eu de vraies formations approfondies. »
« Alain Juppé prend l’existant et le fait bouger à sa sauce »
L’autonomie des établissements fait partie des totems de la droite, et Alain Juppé n’échappe pas à la règle. Le candidat à la primaire veut notamment laisser la liberté aux établissements de répartir la « DHG », ou dotation horaire globale – une enveloppe du rectorat destiné à financer les matières enseignées. Le gouvernement a déjà donné plus de flexibilité aux établissements sur ce point, mais Alain Juppé veut aller plus loin.
Le candidat à la primaire s’attaque aussi à la structure des établissements, et propose de créer un « Conseil éducatif », composé d’enseignants élus par leurs pairs, qui auraient des responsabilités diverses comme la relations avec les parents d’élèves, l’orientation, ou les relations extérieures.
« Il existe déjà les conseils pédagogiques dans le second degré, ils travaillent sur les questions de coordination, ils sont d’ailleurs très sollicités sur la réforme du collège”, rappelle Christian Chevalier.« Dans tous les établissements, on élit un représentant par matière, un coordinateur. Pour les professeurs de français, elle se chargeait beaucoup des voyages et sorties culturelles par exemple », détaille pour sa part Caroline Galatia.
Finalement, plusieurs des orientations posées par Alain Juppé sont déjà ou en train d’être mises en place. « Il prend l’existant et essaie de le faire bouger à sa sauce, il prend une position plus modérée et se démarque de la politique à la hâche de Nicolas Sarkozy », résume Christian Chevalier:
“Juppé se la joue Juppé, en clair : ‘Avec moi ce ne sera pas le grand chambardement’, et c’est plutôt nouveau pour la droite. Il ne bouleverse pas tout de fond en combles et c’est une bonne nouvelle, parce que repartir à zéro à chaque nouveau ministre c’est insupportable pour les professeurs et pour les élèves ».
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