Pour la première fois depuis le début du mouvement des Gilets jaunes, un policier comparaissait devant le tribunal de Paris pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique » ce jeudi 21 novembre. Il avait jeté un pavé sur les manifestants lors des mobilisations du 1er mai dernier.
C’est un procès hautement symbolique, tout juste un an après le début du mouvement des Gilets Jaunes. Jeudi 21 novembre, un CRS comparaissait pour la première fois devant la justice pour avoir jeté un pavé sur des manifestants le 1er mai dernier. Il était jugé pour des faits de « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique ». A la barre, l’homme reconnaît l’infraction mais conteste les faits de violence volontaires. Tout au long de l’audience, l’accent est mis sur son parcours irréprochable. Marié, père de deux enfants, il est décrit comme « réfléchit et respectueux de sa hiérarchie » et raconte, en retenant un sanglot, pourquoi on lui a décerné une médaille de bronze pour son courage lors d’une opération de lutte contre un feu de forêt en Corse. Son avocat, maître Laurent Boguet, enfonce le clou en insistant sur les conditions de travail harassantes des CRS : « ces hussards bleus de la République à qui on demande semaine après semaine d’être garants de l’ordre face à des individus qui pensent que les réponses sont la provocation et le chaos. Tout ça pour 2000 euros par mois ».
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Une manifestation d’une violence rarement égalée
L’ambiance générale de la manifestation est finement disséquée. Selon plusieurs témoignages recueillis lors de l’enquête administrative – tous provenant de sources policières – elle a été d’une rare violence. Une pluie de pavés, des barricades, des dégradations de magasins. Le tout causé par les Black Blocs et des « éléments ultra-jaunes » qui veulent « le chaos » et agissent en groupe « pour s’en prendre aux forces de l’ordre ». Le juge s’interroge alors. « Si on les identifie tellement bien ces Black Blocs, comment se fait-il qu’on en arrête si peu ? Car dans les tribunaux, lorsqu’on voit les Gilets jaunes qui sont interpellés, on n’a pas l’impression que ce sont des éléments radicalisés ». Le policier tente une réponse pas très convaincante. « Certains sont malins et se camouflent avec habits sombres. Quand on essaie d’interpeller ils se dévêtissent et se fondent dans la masse ». Il revient ensuite sur l’épisode de l’hôpital de la Pitié Salpétrière, où le capitaine de son unité a reçu un pavé sur la tête avant de tomber à ses pieds.
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Le policier raconte l'épisode de l'hôpital de la Pitié Salpétrière où son capitaine reçoit un pavé et tombe à ses pieds. "Je vois une plaie béante au niveau de son front large de 10cm et je prends peur". Il le met ensuite à l'abri avec l'aide de ses collègues.
— Laury-Anne Cholez (@Laury_anne) November 21, 2019
« Je vois une plaie béante au niveau de son front large de 10cm et je prends peur. Car sa blessure est grave. J’essaie de l’évacuer mais je n’y arrive pas tout seul. Je demande des renforts pour le mettre en lieu sûr ». Ledit capitaine est d’ailleurs venu à l’audience pour apporter son soutien. Durant ces affrontements du 1er mai, il a eu la boîte crânienne fracturée. « Le casque ne protège pas de tout ». Il insiste sur la pression à laquelle sont soumis ses hommes, dans un état d’épuisement total et parle de dévotion envers le service public. « Ces fonctionnaires sont des gens qui croient dans les institutions, dans la République. Ils sont contre l’anarchie et pour la justice ».
Le juge demande :
– "pourquoi avoir jeté ce pavé ?
– Pour me faire distance de sécurité avec les manifestants et pour me permettre d'avoir un repli.
– A quelle distance se trouvaient-ils ?
– 8 mètres.
– Ce n'était pas suffisant ? Vous vouliez une distance de combien ?"— Laury-Anne Cholez (@Laury_anne) November 21, 2019
Jeter un pavé pour se protéger d’une foule en colère
Durant l’audience, de nombreuses vidéos ont été examinées, notamment celle du journal Le Parisien.
On y voit le CRS se baisser, ramasser puis jeter un pavé vers la foule. « Je le renvoie sur une zone neutre où il n’y a personne, je sais où je l’ai lancé il n’est tombé sur personne », assure le policier. Il précise également qu’il a jeté ce pavé pour se protéger et mettre à distance les manifestants afin de pouvoir se replier avec son collègue, blessé par un projectile. Une déclaration qui ne convainc pas vraiment le juge. « On décrit une ambiance de guerre civile avec des belligérants partout et donc une certaine densité de population. Et en même temps vous parlez de zones neutres ? C’est un peu contradictoire ? De plus si vous avez visé pour ne blesser personne, ce n’est plus un réflexe ».
Après visionné les images de plusieurs vidéos, où on voit bien qu'il y a des bosquets entre le policiers et les manifestants. Et que le cortège est bien dense. Le juge s'interroge. "On a du mal à imaginer que vous ayez pu considérer cette zone neutre".
— Laury-Anne Cholez (@Laury_anne) November 21, 2019
Un acte qui n’était pas proportionné
Lors de ses réquisitions, la procureure a bien précisé qu’elle ne souhaitait pas faire cet homme un exemple ou une victime expiatoire. « Je suis consciente de l’intérêt que la société porte à ce type de sujet depuis plus d’un an. Seuls les faits qui seraient susceptibles de tomber sous le coup de la loi pénale nous intéressent ». Elle revient sur l’absence de victime à ce lancé de pavé. « Qu’importe qu’il y ait des victimes pour considérer qu’un geste est violent ou pas. Surtout s’il peut occasionner des blessures graves, ce que ne peut ignorer ce policier ». Elle estime que son acte n’était pas proportionné car il existe « un paradoxe à vouloir maintenir à distance ou assurer la sécurité de sa personne en adoptant un geste qui se veut l’exact reflet des violences reprochées aux manifestants les plus hostiles. Je ne peux pas croire que cela soit compris comme une demande claire de rester à distance et de se disperser ». Elle dit comprendre l’instinct de colère, de peur, un réflexe compréhensible au regard du contexte. « Mais dans une société démocratique, on ne peut pas espérer qu’une personne dépositaire de l’autorité publique sorte du cadre ». Elle requiert trois mois d’emprisonnement avec sursis.
Une décision très attendue qui sera symbolique
L’avocat du policier demande la relaxe, axant sa plaidoirie sur l’absence de victime mais surtout, sur le profil psychologique de son client. A la sortie de la salle d’audience, il s’estime satisfait du procès. « Dans notre pays, les tentatives de violences ne sont pas réprimées », assure-t-il. Une phrase qui ne passe pas auprès de l’assistance. « Chez les Gilets jaunes, c’est bien réprimé ! Vous n’avez pas l’impression qu’il y a une justice à deux vitesses monsieur ? », lui crie un homme dans les couloirs du tribunal. Rappelons que depuis le début du mouvement social, près de 10 000 manifestants ont été placés en gardes à vue, 3 100 ont été condamnés et 400 ont été incarcérés. Dans la foule, une autre personne évoque aussi les 2500 personnes blessées parmi lesquelles 25 éborgnés et cinq mains arrachées.
Un sujet qui n’aura pas été abordé durant cette audience car « ce n’était pas le procès de la police » comme l’a rappelé la procureure. Il n’empêche : la décision qui sera rendue aura une portée hautement symbolique. Si le policier est condamné, cela signifierait que les forces de l’ordre devraient subir sans répliquer les jets de projectiles. S’il est acquitté, les manifestants vont sans doute considérer que la justice couvre les exactions des forces de l’ordre. Un énorme dilemme dont le juge est bien conscient. « C’est une décision difficile qui sera de toute façon critiquée avant même d’être rendue ». Le jugement sera connu le 19 décembre prochain.
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