Le 21 septembre, une marche mondiale pour lutter contre le réchauffement climatique se tiendra dans une centaine de pays afin d’interpeller les décideurs deux jours avant le sommet des Nations-Unies sur le climat.
Marcher pour le climat. Pour la première fois, des centaines de milliers de personnes à travers le monde sont appelés à se mobiliser dimanche pour le climat, à l’initiative de l’ONG Avaaz et d’une quarantaine d’organisations. A Paris, la marche partira à 14h Place de la République pour finir à l’Hôtel de ville. C’est la première fois qu’un événement de cette ampleur est organisé en rapport avec le climat. Jean Jouzel, climatologue et vice-président du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’évolution du climat), revient avec nous sur les grands enjeux climatiques.
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Allez-vous assister à la Marche pour le climat le 21 septembre prochain ? Est-ce que vous pensez que cet événement aura un impact sur les gouvernants ?
Jean Jouzel – Oui j’y serai. Je ne sais pas si ce sera un succès car elle n’a pas été très relayée pour le moment. Mais c’est bien. La lutte contre le réchauffement climatique passe par tous. Il faut que les entreprises et les citoyens s’engagent. Je crois que c’est très bien de mobiliser, surtout que c’est à la veille du sommet de l’ONU qui doit préparer la grande conférence sur le climat qui se tiendra à Paris en 2015. L’objectif est de sensibiliser et il y a du travail. Faites une enquête dans la rue et les gens vous diront que ce n’est pas leur problème. Je pense que plus on se mobilise plus on montre que c’est un problème auquel tous les citoyens du monde attachent une importance. J’espère que ce sera une manifestation très belle et chaleureuse.
Pourquoi Ban-Ki Moon, le secrétaire général de l’ONU, organise-t-il le sommet de New York le 23 septembre et que peut-on en attendre?
L’idée de Ban Ki-Moon a été de mobiliser en amont et d’éviter de reproduire à Paris en 2015 se qui s’était passé à la conférence de Copenhague en 2009 : les chefs d’Etats étaient arrivés le dernier jour et n’avaient pas trouvé d’accord ambitieux. Il s’agit de réunir au plus haut niveau pour que les chefs d’Etats commencent à s’engager pour amener la conférence de Paris dans de très bonnes conditions. Les propositions des différents pays doivent être présentées d’ici le printemps prochain. 40% des émissions de gaz à effet de serre sont dues aux Etats-Unis et à la Chine donc les choix de ces deux pays sont très importants. Il y a également une conférence à Lima cette année mais il y aura probablement moins de visibilité.
Que peut-on attendre du sommet prévu en décembre 2015 à Paris ?
La convention climat s’est mise en place en 1992 au sommet de la Terre de Rio. Son objet principal était de limiter le réchauffement climatique sans qu’il y ait un objectif chiffré. Aux conférences de Copenhague en 2009 et de Cancún en 2010, il s’agissait de mettre en oeuvre des mesures à long terme qui permettent de limiter à 2 degrés le réchauffement climatique. Celle de Kyoto est également très importante puisqu’elle a mis en place la première phase du protocole de Kyoto sur la période 2008-2012. La deuxième phase sur 2013-2020 lancée à Copenhague n’est pas du tout ambitieuse puisque seule l’Europe et quelques pays se sont engagés. Il faut mettre un accord sur pied pour l’après 2020. Le projet est très ambitieux puisque l’on veut limiter le réchauffement à 2 degrés à l’horizon 2050 à l’échelle de la planète, diviser les réductions de gaz à effet de serre par deux voire par trois et que cela continue par la suite pour arriver quasiment à une neutralité carbone (0 émission) vers la fin du siècle. Pour rester en dessous de 2 degrés à long terme, il ne faut pas utiliser plus de 2 mille milliards de tonnes de carbones, soit l’équivalent d’une trentaine d’années d’émissions comme celles que nous avons eues cette année. Si on ne fait rien de notable d’ici 2020, on ira plutôt vers une augmentation de 3 degrés.
Que pensez-vous de la loi sur la transition énergétique présentée par Ségolène Royal ?
J’ai bien suivi cette loi puisque j’ai en été le co-rapporteur au titre du conseil économique social et environnemental. Au niveau des objectifs, la loi est tout à fait en phase avec cette lutte contre le réchauffement climatique. Si elle passe en l’état -avec ses objectifs de division par quatre des émissions de gaz à effet de serre- ce sera très bien. J’espère qu’elle ne va pas être édulcorée par le parlement mais au contraire renforcée. C’est très important qu’un pays comme la France réfléchisse à son système énergétique. On est à un tournant. La difficulté sera de mettre en place la loi.
Selon vous, est-ce que cette loi permettra de créer des emplois, d’améliorer la croissance ?
Oui. Cette transition énergétique au niveau mondial, il va falloir la faire. On ne peut pas continuer sur un développement construit autour des énergies fossiles. On va aller vers une société largement basée sur des énergies renouvelables. Les pays qui s’impliquent les premiers sur le plan économique seront les gagnants. Dans le bâtiment, c’est créateur d’emplois. Si notre pays ne s’engage pas on risque d’être très en retard par rapport aux pays qui s’engagent. L’état d’esprit a changé. Au niveau planétaire, la transition est en marche et on a les moyens techniques de passer à un autre mode de développement.
Est-ce que vous pensez qu’il aurait fallu aller plus loin sur la question du nucléaire ?
Il y a beaucoup de discussions sur le nucléaire. J’ai participé au débat international sur la loi énergétique. Certains ne sont pas en faveur de la réduction de la part du nucléaire, d’autres sont pour. On a fait état de la grande diversité de point de vue dans notre rapport. Je pense globalement qu’un pays a intérêt à diversifier son système énergétique. L’objectif de François Hollande est de faire passer la part du nucléaire de 75% à 50%. Le projet de loi de Ségolène Royal prévoit la division par deux de la consommation d’énergie produite par le nucléaire. Cela reste un point de friction, tout comme le gaz de schiste que la nouvelle loi n’aborde pas.
La différence entre l’écologie punitive et positive a-t-elle un sens ?
D’une certaine façon, j’adhère à la position de la France. Ségolène Royal a placé le débat dans une bonne dynamique. Au niveau international, l’agenda sur lequel se place la France au niveau des négociations s’appelle l’agenda positif. Je pense qu’il faut faire adhérer les gens. Des solutions existent et il faut passer à l’action. Je ne suis pas pour l’écologie punitive mais il faut quand même mettre des mesures et des normes en place. Il faut donner un prix au carbone par exemple. On verra à New York l’engagement des pays mais je crains qu’il soit bien insuffisant.
Les prévisions climatiques sont très sombres. Est-ce que vous pouvez nous décrire ce qu’il se passera dans les années à venir si rien n’est fait ?
Dans les 10, 20, 30 années à venir, quoi que l’on fasse, le réchauffement sera limité à 1 ou 2 degrés maximum. Les choses se gâtent vraiment si on continue à ne rien faire. Cela aura des conséquences pour la deuxième partie du XXIe siècle. On peut prévoir des canicules à répétition, 7 degrés de plus que la moyenne, une élévation du niveau de la mer. Elle pourrait atteindre un mètre à la fin du siècle et se poursuivre. Des régions connaîtront des problèmes de sécheresse, d’autres plus d’inondations. Dans le cas de ce scénario, le réchauffement se poursuivra après 2100. Le rapport du GIEC explique que si la température monte de 4 degrés au niveau global, tout se passera mal. La biodiversité sera très fortement affectée. L’agriculture souffrira. Il y aura d’importantes migrations. Ce n’est pas la fin du monde mais il sera beaucoup moins agréable à vivre.
Certains changements sont-ils irréversibles ou les choses peuvent-elles encore changer ?
Depuis 40 ans, on le dit et on le répète, on ne peut pas changer. Le réchauffement climatique était déjà là il y a 20 ans mais les choses deviennent plus concrètes. Le réchauffement climatique est inéluctable. L’objectif n’est pas de garder notre climat, c’est de limiter le réchauffement à 2 degrés. Et si on arrive à maintenir cet objectif, on a une capacité d’adaptation. Mais il y aura forcément des dégâts. Si le Groenland continue à fondre, on peut craindre une élévation du niveau de la mer de quelques mètres. Sans être alarmiste, certains changements sont irréversibles. La glace qui fond dans les régions polaires ne se reformera pas. C’est irréversible à l’échelle de nos civilisations mais pas à l’échelle géologique.
Propos recueillis par Fanny Hubert
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