Si le sexe “pour de vrai” vous lasse, vous pouvez vous laisser tenter par les plaisirs offerts par les nouvelles technologies. Au risque d’un non-retour vers la sexualité classique ?
L’homme approche son crâne glabre de votre visage, plonge profondément son regard dans le vôtre, vous susurre des mots doux puis embrasse vos seins. “You are the one”, dit un tatouage sur son torse immense et imberbe, tandis que vous réalisez tout d’un coup que vous arborez vous-même, ô stupeur, un piercing au clitoris.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Car vous n’avez plus de sous-vêtements et votre partenaire non plus d’ailleurs : vous voilà en train de faire l’amour avec lui sur un lit king size. Enfin presque. En vrai, vous êtes dans votre appart sur votre sommier de taille normale, portez un pyjama moche et n’avez jamais eu de clitoris pour une raison simple : vous êtes de sexe masculin.
Une excitation et un plaisir décuplés par l’immersion ?
C’est là toute la magie de la réalité virtuelle (VR) : avec un casque et un smartphone, l’accès à une myriade de vidéos porno immersives – parfois à 360° – vous est offert. Le concept : être inclus dans une scène de film, en adoptant le point de vue d’un acteur ou d’une actrice – en somme, voir la scène par leurs yeux – et “participer” aux ébats. Les résultats attendus : une excitation et un plaisir décuplés par l’immersion.
De quoi, malgré un marché de niche, bouleverser notre sexualité, en lui procurant des perspectives inédites ? Une question qui se pose d’autant plus à l’heure des sextoys connectés synchrones avec les vidéos VR – les fameux “teledonics” s’activant par exemple au rythme d’une pénétration que vous visionnez et, par conséquent, “pratiquez” –, des masques olfactifs censés reproduire des odeurs de “private parts” – bon, on n’a pas testé mais il paraît que ça ne fonctionne pas très bien – ou encore de la possibilité prochaine de “scanner” l’individu de votre choix, l’inclure dans une VR où il pourra réagir à vos paroles et gestes.
“Il n’y a aucune raison pour laquelle on ne pourrait pas ‘mapper’ un autre visage sur celui de sa partenaire pendant l’amour”
Après tout, comme nous le dit Maïa Mazaurette, journaliste et chroniqueuse sexo, anticipant avec vigilance le “coup d’après” : “Il n’y a aucune raison pour laquelle on ne pourrait pas (réussir à) ‘mapper’ un autre visage sur celui de sa partenaire pendant l’amour, comme quand ma mère me parle en vidéo sur Facebook avec des oreilles de lapin.”
“Même si les ventes sont superficielles, c’est une suite logique depuis le début des années 2000. Au lieu d’être derrière l’écran, on est dedans. Mais je ne pense pas que ça supplantera la 2D”, raconte Stephen des Aulnois, rédac chef du Tag Parfait, magazine en ligne de référence sur la culture porn. En cause, un usage parfois fastidieux du matos – “si on veut se masturber, c’est plus simple de juste prendre son portable et hop” – et une technologie parfois balbutiante : “Les camshows VR en live ne sont pas encore au point, les jeux vidéo où ton avatar peut coucher avec celui d’un autre joueur sont encore un peu cheap.”
“Ce qui est excitant, c’est d’y croire”
Stephen pense malgré tout que la VR a “un très gros potentiel”, même si, à l’instar des pornos classiques, elle a aussi “tendance à avoir les mêmes travers : production à la chaîne, bas du front”, à l’heure où le Tag Parfait préfère mettre en avant le porno dit “féministe”. “Ce qui est excitant, c’est d’y croire. Donc si vous avez une vraie sensation de pénétration grâce à un sextoy au moment où la scène se passe, le cerveau est bluffé.”
Un intérêt que partage François, alias Oldchap, lui aussi plume pour le Tag, qui a eu la gentillesse de nous faire essayer son casque (merci encore, François). Ce quadra est assez enthousiaste même si, pour lui, la VR “n’est pas la panacée. (…) La première fois, j’ai eu un peu la sensation qu’on me faisait vraiment une fellation. Il y a un truc qui s’active dans ton cerveau”.
François est hétéro mais, avec la VR, il a pu incarner une femme couchant avec un homme, et un homme couchant avec une femme transgenre. De quoi expérimenter ce que Stephen nomme “la transsexualité virtuelle (…) C’est un axe intéressant. Le porno est excitant parce qu’il est transgressif. Par exemple, en tant qu’homme, être dans le corps d’une femme qui a une relation sexuelle hétéro – ou l’inverse –, c’est une expérience inhabituelle”. David Bailey, chercheur en VR à Auckland, est d’accord : “ça ouvre des perspectives. ça peut aussi aider des gens qui, pour diverses raisons, n’ont pas de vraies relations sexuelles.”
« Une expérience dingue et ludique”
Mais quid des risques d’une frontière réel/virtuel parfois trop floue ? Pour Grégory Dorcel, fils de Marc et directeur de la société de production Marc Dorcel – qui proposa dès 2015 sa première vidéo VR et travaille au lancement d’un hologramme (tremble, JLM !) –, il n’est question ici que de “divertissement. (…) La VR est une expérience dingue et ludique. Ce n’est pas un substitut à de vraies relations sexuelles”. Dans une récente interview au Huffington Post Québec, Brian Shuster, fondateur d’Holo Girls VR, adopte une autre position : “Dans quelques années (…), la plupart des rapports sexuels passeront par la technologie et la réalité virtuelle.”
Philippe Brenot, psychiatre, sexologue et coauteur avec Laëticia Coryn d’Une histoire du sexe (Les Arènes, 2016), estime lui crédible que, “bientôt, l’on puisse s’injecter des électrodes à certains endroits – sur le même mode que des antidouleurs – qui, stimulés, provoqueraient beaucoup de plaisir. Une VR avec ce dispositif pourrait concurrencer sérieusement la sexualité classique”.
“La VR va-t-elle rendre enfin les pornstars humaines, ou va-t-elle nous faire traiter les humains comme des pornstars ?”
Pour le meilleur ou pour le pire ? “C’est difficile à dire. Ce sont des innovations intéressantes. Est-ce que les gens seront plus heureux ainsi ? Si oui, je n’y vois pas de problème.” Mais le médecin de pointer “une forme de dépendance au porno chez certains hommes qui, habitués à certains signaux, ne trouvent plus la réalité excitante”. Tout cela questionne Maïa Mazaurette, également auteure d’ouvrages sur la sexualité : “La VR va-t-elle rendre enfin les pornstars humaines, ou va-t-elle nous faire traiter les humains comme des pornstars ? (…) Sur écran, on peut se dire : ‘Accessible, bon, mais sans les mains’, alors qu’en VR connectée à un sextoy tu te dis ‘Bien sûr que cette sexualité m’est due !’”
Le visionnage d’un “horror-porn” en VR a opéré chez elle un “saut empathique : comme si cela devenait encore plus vrai”. Pour celle qui souhaite promouvoir un porno “éthique” et non violent, la VR est ainsi peut-être “un excellent moyen de prendre conscience de ce qu’on a appris à passivement accepter – et peut-être justement qu’onn’a plus envie d’accepter. Le retour de l’empathie, c’est la chance de voir à quel point on en a perdu par le passé”.
{"type":"Banniere-Basse"}