En usant de tous les recours administratifs possibles, l’ancien élu écologiste de la mairie de Grenoble Raymond Avrillier, a été à l’origine de la publication de plusieurs affaires, du système Carignon dans les années 90 aux sondages de l’Elysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Portrait d’un militant acharné de la transparence.
Bien qu’il s’en défende, Raymond Avrillier, 68 ans, n’est pas exactement un citoyen comme les autres. L’ancien élu grenoblois, membre du conseil municipal de 1989 à 2008, “honni par la droite locale”, selon un responsable politique local qui le connaît bien, est du genre tenace. Il s’est spécialisé dans la traque de l’usage frauduleux de l’argent public. La révélation, il y a quelques jours, des frais alloués à Nicolas Sarkozy en sa qualité d’ancien chef de l’Etat – 1,2 millions d’euros par an environ –, c’est lui. Les sondages commandés par l’Elysée en toute opacité (qui ont débouché sur l’ouverture d’une enquête pour favoritisme, détournements de fonds publics, complicité et recel), en 2012, c’était encore Raymond Avrillier. La chute d’Alain Carignon, l’ancien maire RPR de Grenoble, de 1983 à 1995, contraint de démissionner de son poste de ministre de la Communication du gouvernement Balladur en 1994, pour des affaires de corruption, c’est toujours Raymond Avrillier. De cette dernière affaire, il en tira un livre, Le système Carignon.
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« Ne pas laisser faire n’importe quoi »
Et même s’il est aujourd’hui à la retraite, Raymond Avrillier n’est pas prêt de raccrocher. « Je continue de former des élus pour leur transmettre quelques éléments de méthode, pour ne pas qu’ils restent passifs, pour ne pas laisser faire n’importe quoi. » C’est au sein de l’association pour la démocratie, l’écologie et la solidarité (Ades), présentée comme un mouvement politique local de la région grenobloise qu’il officie, aux côtés de Vincent Comparat, un ancien chercheur au CNRS qui avait réussi à faire annuler le projet de construction de la rocade nord de Grenoble, car son coût aurait été à l’époque surestimé.
Sa dernière victime en date, c’est donc Nicolas Sarkozy. Pas vraiment un hasard à entendre Raymond Avrillier :
“Ça remonte à 2009 et à la publication d’un rapport du président de la Cour des comptes, Philippe Seguin, qui avait émis des doutes sur l’utilisation de l’argent public par la présidence de la République. D’ailleurs, c’était tout à l’honneur du président Sarkozy d’avoir, pour la première fois, permis que la Cour des comptes scrute les comptes de l’Elysée. Des dysfonctionnements au niveau des marchés publics passés pour l’attribution de ces sondages avaient été soulevés. Et une deuxième chose m’avais mis la puce à l’oreille: parmi les conseillers proches de Nicolas Sarkozy, apparaissait un corrompu que je connaissais bien, Alain Carignon.”
Le mode opératoire de ce “chevalier blanc” (il n’aime pas le terme) de la transparence est bien rôdé. “Beaucoup de son action consiste à s’adresser aux administrations pour leur demander d’appliquer la loi de 1978 sur la publication des documents administratifs”, résumé le député PS René Dosière, un autre chasseur de la mauvaise gestion des finances publiques. La loi du 17 juillet 1978 régit l’accès aux documents administratifs et permet à toute personne, comme Raymond Avrillier, de saisir la savoureuse Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). René Dosière poursuit : “Quand on réclame un document quel qu’il soit, à une administration quelle qu’elle soit, une seule question se pose : s’agit-il d’un document administratif ? S’il l’est, alors il est communicable.”
« A certains égards, il tombe dans l’excès »
Depuis Raymond Avrillier use de ce droit en abondance. Parfois trop pour ses opposants politiques de la région grenobloise. Matthieu Chamussy, conseiller muncipal UMP de Grenoble connaît bien son ancien collègue (ils ont siégé dans les camps opposés entre 2001 et 2008) : “Objectivement, je pense que sa manière de faire a imposé à tous la nécessité d’être attentif à certaines questions, notamment sur des questions de droit. Mais à certains égards, il tombe dans l’excès. De ce point de vue-là, il s’inscrit dans une tradition de harcèlement juridique. Il faudrait faire la liste de tous les recours qu’il a intenté. On parle de ses victoires mais je peux vous dire qu’il a aussi été régulièrement débouté.” La fédération UMP de l’Isère lui reprocherait de ne s’intéresser qu’aux affaires du parti de Nicolas Sarkozy. L’intéressé s’en défend : “Je défends le débat public contradictoire. La fédération UMP de l’Isère est tenue par les petites mains d’Alain Carignon. Des personnes se permettent ensuite de dire que, par exemple, nous n’avons pas agi sur le dossier Nucci [Christian Nucci, ancien ministre socialiste devant rembourser près de 3 millions d’euros à l’Etat], alors que c’est moi qui ai donné l’alerte.”
Il y aurait-il aussi, chez Raymond Avrillier, la volonté, d’exister médiatiquement ? Matthieu Chamussy rappelle qu’il “reste un acteur politique, même sans mandat.” Il évoque le fait qu’en 2011, Raymond Avrillier avait voulu devenir sénateur : “Il y avait un accord national entre le PS et EE-LV pour que la place de numéro 3 sur la liste iséroise, soit réservée aux Verts. Mais quand André Vallini, président du Conseil général a appris que cette place serait pour Raymond Avrillier, il a rompu l’accord national.” Des rumeurs ont alors circulé à l’époque selon lesquelles, ce serait l’ancien maire de Grenoble de 1995 à 2014, Michel Destot, proche d’André Vallini, qui aurait bloqué cette nomination. Raymond Avrillier se défend aujourd’hui de ces velléités d’existence publique et médiatique: “C’est anormal de devoir se focaliser sur une seule personne. Je pourrais vous citer le travail d’Hervé Lebreton sur l’usage des indemnités dîtes des réserves parlementaires, par exemple. Mais en effet, on retrouve souvent des personnes isolées, comme le député René Dosière, alors que ça devrait être le travail de tous les élus.” René Dosière complète :
“Je pense qu’il a le comportement d’un citoyen normal, sauf que, le citoyen normal n’a pas sa persévérance. Il fait progresser la transparence en faisant apparaître, qu’au fond, la transparence ne va pas de soi. Car malgré la législation actuelle, il y a une culture historique qui nous freine, qui fait qu’on n’ose pas communiquer. C’est donc à nous, législateurs, de pousser pour améliorer la législation sur ce plan-là. »
Quoi qu’il en soit, Raymond Avrillier reste une personnalité influente de la région grenobloise et continue de faire parler de lui au niveau national. Quand on lui demande si un nouveau livre est en préparation sur la gestion de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, il tempère : “Il faut faire beaucoup de courriers, de relances, tout ça prend du temps ». Avant de conclure, d’une pointe d’ironie et de pessimisme : « mon livre sur le “système Carignon” est aujourd’hui épuisé, mais pas les affaires.”
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