Ce mardi 21 mai, huit femmes signent une lettre ouverte dans “Têtu” à destination de leurs “camarades militants gay” pour dénoncer le sexisme qui règne dans cette communauté. Un constat partagé par de nombreuses militantes.
Quand on lui parle de sexisme dans le milieu LGBT, Cybèle Vigneron, présidente du Caelif (Collectif des associations étudiantes LGBT) soupire et lâche : « par où commencer… ». « Quand je suis devenue présidente il y a trois ans, j’ai entendu pas mal de mecs me dire que j’avais été élue pour respecter les quotas. » Ce type de procès en illégitimité est un cas classique de sexisme. Etonnant ? Pas vraiment. Car, comme le constatent de nombreuses femmes que nous avons interrogées, le milieu LGBT n’est pas immunisé contre les inégalités femmes-hommes.
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Huit femmes à des postes à responsabilité dans des associations LGBT ont publié ce mardi 21 mai une tribune sur le site de Têtu pour dénoncer « le sexisme et la misogynie ordinaires régnant dans le milieu LGBT ». « Nous avons toutes assisté à ou vécu des scènes ahurissantes nous rappelant qu’au-delà d’être gays vous êtes des hommes avant tout », écrivent-elles pour faire part de leur « ras-le-bol ». Elles reprochent à certains de leurs camarades gays de ne pas prendre en compte que les femmes lesbiennes vivent une « double discrimination », celle d’être à la fois femme et homo.
Sexisme : lettre ouverte à nos camarades militants gayshttps://t.co/6hShqEFfpd
— têtu· (@TETUmag) May 21, 2019
Catherine Tripon, porte-parole de L’Autre cercle (une association LGBT+ de professionnels), et Catherine Michaud, présidente de GayLib, ont eu l’idée d’écrire cette lettre ouverte lorsqu’elles se sont raconté deux anecdotes. D’un côté, deux lesbiennes qui ont été refusées d’une boîte de nuit parce que « trop féminines ». De l’autre, des adhérents qui ont démissionné d’une association parce qu’ils ne voulaient pas être « dirigés par une femme », rapporte Catherine Tripon aux Inrocks. Choquées par ces actes sexistes, elles ont décidé de prendre la plume pour dénoncer le sexisme dans le milieu LGBT. Elles, et les six autres femmes présidentes, vice-présidentes et porte-paroles d’assos LGBT, ont choisi Têtu pour publier cette tribune « parce que c’est le magazine de référence LGBT et le lectorat est plutôt masculin », explique Catherine Tripon.
Des petites phrases qui font mal
Les remarques ou actes sexistes se retrouvent autant dans la sphère associative que dans le milieu de la nuit. Cybèle Vigneron du Caelif le constate souvent en réunion d’association : « Il n’y a quasiment que des hommes, c’est une ambiance très masculine. On voit un sexisme décomplexé. Quand on souligne l’absence des femmes, des lesbiennes, ils répondent ‘vous n’avez qu’à faire vos propres soirées’ ou bien ‘on est bien sympa de parler pour vous' ». « Ce ne sont souvent que des petites phrases, mais ça fait mal », ajoute-t-elle. Véronique Godet, la coprésidente de SOS Homophobie, elle, se souvient d’avoir été membre d’une association il y a quelques années à Marseille où elle était « complètement transparente pour un homme ». « Il pouvait saluer tout le monde dans la pièce sauf moi. Ça s’apparentait carrément à de la lesbophobie », affirme-t-elle aujourd’hui aux Inrocks.
https://twitter.com/godet_veronique/status/1130792919458340864
Cybèle Vigneron nous raconte que cette attitude qu’elle qualifie de « parfois hostile », elle la vit aussi lors de certaines soirées. « Des mecs vont nous passer devant dans la queue des toilettes en disant ‘c’est déjà sympa de vous accueillir’, relate-t-elle. On peut aussi nous dire ‘c’est pas une soirée pour vous’ alors que la fête se dit mixte. » Fany Corral, co-commissaire du festival Loud & Proud, fait le même constat pour le clubbing. « Aujourd’hui quand on parle de soirée queer on se rend compte que c’est surtout des soirées gays. Il y a 70 % d’hommes pour 30 % de femmes, avance-t-elle. On reproduit exactement les mêmes schémas que dans les soirées hétéros. » Rag, directrice artistique du collectif Barbi(e) turix, est du même avis que Fany Corral : « La communauté LGBT est à l’image de la société, donc les femmes sont toujours invisibilisées. On reste des femmes dans une société dominée par des hommes. Il en va de même pour les soirées queer, il y a toujours beaucoup plus d’hommes que de femmes. »
Trop d’hommes pour parler de PMA
Quand on évoque la question du sexisme dans la communauté LGBT, un exemple revient dans toutes les bouches : celui de la PMA (procréation médicalement assistée). Aurore Foursy, présidente de l’Inter-LGBT, une interassociative regroupant 63 collectifs, et signataire de la tribune, se dit « scandalisée au plus haut point qu’on entende que des hommes au sujet de la PMA ». « C’est une catastrophe à quel point on a dû gueuler pour que les assos arrêtent d’envoyer des hommes », fustige-t-elle auprès des Inrocks. Catherine Michaud partage son point de vue : « Je trouve dommage qu’on ne laisse pas la parole aux premières concernées. On parle de nos corps, nos grossesses ! » La communication autour de la PMA a soulevé de nombreux débats au sein des collectifs LGBT, souvent appelés à témoigner dans les médias. Lennie Nicollet, président d’HES (Homosexualités et Socialisme), dit avoir rapidement intégré l’idée que la PMA devait être un sujet médiatisé par les femmes. « C’est le devoir des hommes de dire aux médias qu‘il y a d’autres assos ou d’autres personnes dans l’asso qui peuvent répondre même si elles ne sont pas présidente ou porte-parole », déclare-t-il aux Inrocks.
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Les temps changent
Plusieurs personnes témoignent tout de même d’une évolution positive. « Les mentalités sont en train de changer, mais il faut que ça accélère », décrypte Aurore Foursy. Elle salue les associations qui ont adopté une coprésidence paritaire comme SOS Homophobie et le Centre LGBT Paris. Joël Deumier, coprésident de SOS Homophobie avec Véronique Godet, nous dit avoir une forte volonté de « visibiliser les femmes et les lesbiennes » au sein de l’association. En 2016, les statuts de SOS Homophobie ont été modifiés pour ajouter que l’association prévoit également de contribuer à « la lutte féministe », indique-t-il. De son côté, l’association HES a « la volonté de cosigner tous les communiqués pour éviter qu’il n’y ait que le nom d’un homme en bas et que les médias aient le choix pour savoir à qui parler », nous explique Lennie Nicollet.
Pour Rag, c’est « une question de génération ». « Aujourd’hui on est dans un climat d’entraide où les gays sont nos alliés, assure la DJ. L’envie d’inclusion est plus forte qu’il y a quelques années. » Mais si cette tribune est publiée aujourd’hui, c’est bien parce que le problème reste encore beaucoup trop présent.
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