Désormais chroniqueuse sur C8 dans l’émission “Les Terriens du dimanche”, l’ancienne porte-parole de Jean-Luc Mélenchon revient sur l’année 2017. La présidentielle, les réseaux sociaux, le foot, l’affaire Weinstein, son incursion dans les médias… Entretien bilan.
Avant le premier tour de la présidentielle de 2017, on a beaucoup spéculé sur une éventuelle alliance entre Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon. Regrettez-vous qu’elle n’ait pas eu lieu ?
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Raquel Garrido — Je fais partie de celles qui pensent que c’était secondaire. Cette campagne ne s’est pas gagnée ou perdue sur la question de l’alliance avec le candidat du PS, c’est clair et net. Je pense même qu’on aurait perdu énormément de voix si on avait fait ça. Ce qu’on aurait gagné d’un côté, on l’aurait perdu de l’autre. Benoît Hamon lui-même a dit un mois après qu’il fallait quitter le PS. Son cheminement politique, les Français l’avaient déjà fait avant lui. Peut-être qu’en s’alliant on aurait désamorcé les attaques de la dernière semaine sur la démocratie, l’Ukraine, le Venezuela, etc. Mais en définitive, pour gagner cette élection, les alliances de partis ne mènent à rien, j’en suis convaincue.
“Benoît Hamon lui-même a dit un mois après qu’il fallait quitter le PS. Son cheminement politique, les Français l’avaient déjà fait avant lui”
La défaite a été difficile à encaisser, le soir du premier tour ?
Oui, bien sûr, mais c’était surtout dur pour Jean-Luc. Nous, on est quand même d’une autre génération, et on sait que ce qui a été semé pendant cette campagne est acquis. Cela ouvre énormément de portes pour l’avenir. Pour Jean-Luc, qui avait fourni tellement d’efforts, et qui a fait un sans-faute, ce n’est pas juste. C’était d’autant plus décevant qu’on savait que le macronisme, ce serait la galère pour des millions de personnes.
L’entre-deux-tours a été marqué par des critiques très dures à l’égard de la décision de LFI de ne pas appeler à voter Macron. Comment l’avez-vous vécu ?
Je m’attendais à ce qu’on nous le reproche, bien entendu. Mais pour moi c’était réglé d’avance qu’il ne fallait pas appeler à voter Macron. Ce qui m’inquiétait le plus, c’était l’idée que quelqu’un flanche et appelle à voter pour lui, car on l’aurait payé cher. Entre 2012 et 2017, on nous a reproché d’avoir appelé à voter Hollande en 2012. Si on appelait à voter Macron, c’était la fin des haricots. On aurait perdu notre crédibilité aux yeux des grandes masses en faisant cela. J’ai aussi trouvé qu’il y avait énormément de mauvaise foi dans les critiques qu’on nous a faites, car les sondages étaient hyper clairs. A aucun moment il n’y a eu de risque. Il y a eu 48 heures où tout le monde a eu peur, c’est quand Macron est allé voir les Whirlpool, et que Marine Le Pen l’avait précédé. Mais après le débat, c’était réglé.
“Ce qui m’inquiétait le plus, c’était l’idée que quelqu’un flanche et appelle à voter Macron”
Pour vous, le dégagisme reste le fait politique marquant de 2017 ?
Oui, c’est l’observation la plus importante à faire sur fin 2016 et début 2017. Tous les favoris ont été dégagés. Cela s’inscrit dans un contexte où on sent une certaine violence dans la société. Par exemple, la violence que l’on voit sur les réseaux sociaux. Il y a de la haine entre les communautés, entre les mouvements, entre ceux qui sont engagés… C’est important de transformer cela en quelque chose de positif. Il ne faut pas se contenter de le regarder avec crainte, voire avec dédain. Ce serait une erreur. Il faut essayer de le capter sans condescendance, tout simplement en créant un objet d’inspiration positif et pacifique. L’enjeu de la politique aujourd’hui n’est pas dans l’opposition entre partis. Il se passe quelque chose de bouillant. LFI est la solution pacifique à cela.
Cette année vous avez fait quelque chose d’inédit pour une personnalité politique : vous avez répondu sur le Snapchat de JeremStar à des articles qui vous mettaient en cause. Vous pensez qu’en passant par ces canaux, et par le monde du divertissement, vous pouvez susciter des vocations politiques ?
Absolument. Pour quiconque voulant intervenir dans la grande conversation que constitue un débat national, Twitter reste un endroit important. Il faut y être, car c’est l’endroit où on plante son drapeau, en contournant les canaux historiques et classiques d’expression. Plus personne ne fait de communiqués à l’AFP ou de conférences de presse.
Maintenant, il faut aller encore au-delà. Le divertissement à la télé est un enjeu très important pour moi, car on y trouve les personnes qui ne regardent pas les émissions politiques. Il y a en gros en France 5 millions de personnes qui regardent les débats politiques, quels que soient les invités. Ce sont les mêmes qui votent à toutes les élections, y compris les primaires. On les connaît, ce sont les classes culturellement armées. Et il y a l’océan du reste du pays. Je considère que le travail politique qu’il y a lieu de faire se situe là-bas. C’est ce qui m’anime : comment on parle, avec quel format, quel vocabulaire ? Le divertissement à la télé est un canal important. Dans Les Terriens du dimanche, il y a de la musique, de l’humour, des débats courts, des sujets incarnés… Tout est fait dans un format plaisant, qui attrape les téléspectateurs autrement que simplement par la tête.
Il y a encore un autre niveau, lui aussi très important, avec Jerem’ et Snap. Les gamins qui me croisent dans la rue me demandent comment va Jerem’ ! Beaucoup de gens me connaissent par Snapchat. Le 19 décembre, on a fait d’ailleurs un Noël entre copains avec lui, ça a été “storyfié” toute la soirée. Parfois je mets des limites, mais globalement je me laisse un peu faire. On ne peut pas être dans la maîtrise, dans le calcul. Soit on joue le jeu, soit on ne le joue pas. Les stories Snap, c’est la vérité, c’est une micro-téléréalité.
“Soit on joue le jeu, soit on ne le joue pas. Les stories Snap, c’est la vérité, c’est une micro-téléréalité”
Pour ceux qui n’ont pas Snapchat, voici 2017 pic.twitter.com/i2zmHTbE2E
— Gurvan Kristanadjaja (@GurvanKris) October 6, 2017
Vous n’êtes pas gênée par le fait que ça personnalise beaucoup, que c’est un peu people ?
Non, car je pense que de toute façon la politique ne peut pas être désincarnée. Avec Jean-Luc Mélenchon, j’ai appris à dire ‘je’. Et d’ailleurs, ma génération médiatique de manière générale a appris à dire ‘je’. C’est pour ça qu’on allait sur les chaînes d’info en continu. Nos anciens disaient : “Le parti pense que…” ou “nous avons fait une déclaration qui dit que…”, etc. C’est chiant à voir. Cela manque totalement de charisme, de sincérité et de réactivité. Si une info tombe et qu’un média vous appelle cinq minutes après pour avoir votre réaction, dans le monde actuel vous n’avez pas le temps d’organiser une réunion. Au mieux vous avez le temps d’envoyer deux ou trois SMS, et encore faut-il que vos interlocuteurs soient disponibles. On a créé un système où on ne se réunit pas, on n’envoie pas de SMS : c’est ‘je’. Et on corrige a posteriori.
Le fait de générer une empathie personnelle fait partie de cette façon de faire de la politique. C’est nécessaire si on fait de la politique pour les grandes masses. Il faut valoriser l’idée que la politique est nécessairement une empathie, un intérêt vers autrui et donc un geste d’amour, un geste social. Cela passe par le fait d’avoir des personnalités qui se livrent intellectuellement, émotivement, car convaincre quelqu’un de s’engager ne passe pas seulement par de la pure rationalité programmatique. C’est aussi quelque chose de sentimental. Il faut trouver quelque chose d’intéressant psychologiquement dans cet engagement. Cela ne peut donc pas être fait par des gens sans odeur, sans saveur, gris, durs, etc. Il faut qu’on ait envie de rejoindre la fête là-bas. Il faut que ça ait de la gueule.
“On a créé un système où on ne se réunit pas, on n’envoie pas de SMS : c’est ‘je’. Et on corrige a posteriori”
C’est ce que fait Jean-Luc Mélenchon avec sa chaîne YouTube ?
Oui. Absolument. C’est en France celui qui a généré la plus forte empathie autour de sa personne.
Cela pourrait lui être reproché, justement, de dire tout le temps ‘je’. D’ailleurs il prend souvent soin de dire ‘nous’…
Je ne crois pas qu’il dise “nous”, mais il dit parfois “vous”. Notre discours, dans le cadre de la stratégie populiste, ne crée qu’une latéralité : “nous” le peuple, contre “eux” l’oligarchie. Le “nous” n’est pas partidaire. Il ne peut pas y avoir de ‘nous’ partidaire distinct d’un ‘nous’ populaire. Jean-Luc dit aussi parfois ‘les gens’ pour désigner les Insoumis, c’est tellement large maintenant.
François Ruffin a mis en scène cette opposition à l’Assemblée, ne serait-ce que par sa tenue vestimentaire, qui a déclenché quelques polémiques. Qu’en avez-vous pensé ?
Sur le maillot de foot, c’est excellent. C’est ce qu’il faut faire. Je suis 100 % d’accord avec lui. L’idée c’est de sortir du noyau dur de ceux qui votent aux législatives, de toucher au-delà. Or les gens qui aiment le foot aujourd’hui constituent un large réceptacle. Là il y a un combat à mener, que personne ne mène. A la télé on ne traite le foot qu’à travers le combat entre les multinationales. Or le foot local reste le maillage le plus serré de la société française. Dans des villages et des quartiers où il n’y a plus personne, où il n’y a pas un bureau de poste, rien, il reste un club, avec des bénévoles qui payent eux-mêmes de leur poche les licences pour les gamins. Ce peuple est ignoré par les commentateurs de la Ligue 1, qui sont tous intéressés financièrement, soit parce qu’ils ont des actions dans des boîtes de paris en ligne, soit parce qu’ils sont concernés par la vente des droits audiovisuels, etc. Il y a un discours insoumis à tenir sur le foot. Il ne faut pas s’en occuper d’une façon docte, il faut que ça se voit, que ça choque. J’approuve ce que fait François, c’est très utile.
C’est aussi pour cela que vous vous exprimez parfois sur ce sujet ?
Oui, mais je le fais avec moins de brio que lui. Je pense qu’il y a un impôt privé sur les pauvres via le foot. L’abonnement le moins cher au parc des Princes est à 430 euros ! Il y a un problème d’accès au stade, c’est censitaire. En Argentine, Cristina Kirchner a nationalisé les droits audiovisuels, car il n’y avait plus aucun match de première division accessible en gratuit. Si j’étais Delphine Ernotte, au lieu de quémander des heures de pub ou de faire la brosse à reluire vis-à-vis de Macron parce qu’il a dit que l’audiovisuel public était la honte de la République, je demanderais à ce que toute la première division soit diffusée sur le service public, enfin ! Pourquoi faut-il payer un abonnement à 15 ou 30 euros par mois ? beIN Sports, c’est le Qatar, qui utilise le PSG pour faire de la diplomatie internationale, le tout sous les applaudissements de Mme Hidalgo. On marche la tête à l’envers ! Il y a des transferts massifs d’argent du peuple vers des milliardaires, et on ne dit rien.
“beIN Sports, c’est le Qatar, qui utilise le PSG pour faire de la diplomatie internationale, le tout sous les applaudissements de Mme Hidalgo”
En novembre 2017 vous avez dit “tourner la page” de la politique pour pouvoir être chroniqueuse sur C8 sans que le temps de parole soit décompté à LFI. Avez-vous des regrets par rapport à cela ?
Non. J’ai une grande confiance dans le collectif. Je considère que ce que je faisais sur les chaînes d’info en continu est très bien fait par les nouveaux, et notamment les jeunes députés – Mathilde Panot, Adrien Quatennens, Ugo Bernalicis, etc. Il y a pléthore de talents. Cela me rassure. De plus, j’ai mis en péril l’économie de mon foyer à cause de mon rôle de porte-parole. Cela avait une limite. Si j’ai eu des problèmes de déclaration de cotisation, c’est parce que quand on est professionnel indépendant [Raquel Garrido est avocate, ndlr], on continue à payer, même quand on ne travaille pas. J’ai généré un déficit sur l’année 2016 !
Sur le fond, je n’ai pas d’amertume. Je regarde vers l’avant. Je ne suis pas nostalgique. Je ne suis pas loin non plus de la politique, avec Alexis [Corbière, son époux, ndlr], Jean-Luc, on est proches. Et je pense que les sujets que j’aborde dans Les Terriens du dimanche posent des questions économiques, sociales, ouvrent des débats intéressants : la suite des Fralib, la question des Deliveroo, la distribution alimentaire… C’est assez anticapitaliste en fait. Les autres chroniqueurs finissent par dire qu’il faut remettre en cause le système marchand actuel, je n’ai même pas besoin de le dire !
L’année a été marquée par l’affaire Weinstein et ses suites : la libération de la parole des femmes, qui semble avoir un peu remis en cause le pouvoir tout-puissant des hommes…
J’en suis très heureuse. J’ai l’impression qu’il y aura un avant et un après. C’est un événement qui participe massivement à l’éducation des jeunes hommes. Cela génère beaucoup de frustration et de questionnements chez les plus vieux, qui ont du mal à s’y faire. Mais les jeunes, ce ne sont plus les mêmes. Je pense qu’ils ont compris qu’il faut faire autrement. Cela vaut mille discours ou exemples des parents et des copains. C’est exemplaire, ça permet à chacun de réfléchir aux situations concrètes qu’on rencontre au quotidien. C’est un grand moment d’éducation populaire autour de la question de l’égalité hommes-femmes. Evidemment, on n’en est qu’au début, il faut un moment de calage, mais il en restera quelque chose de très positif chez les jeunes.
Vous pensez que dorénavant, les femmes ne se tairont plus ?
Oui, elles ne feront pas comme notre génération. C’est paradoxal car elles sont élevées dans le monde de la télé-réalité, avec une hyper-sexualisation des corps des femmes qui perdure. Mais en même temps, il n’y a pas cette vieille idée selon laquelle les femmes sont toujours là pour dire oui, pour aider, pour faire plaisir. Dire non, c’est libérateur, c’est le point de départ de l’autonomie. J’ai toujours eu tendance dans ma vie à dire oui, à être arrangeante, à m’adapter à cause de l’exil. Cela a généré des choses positives mais en même temps je m’y perdais aussi. Je pense que pour les femmes, c’est une aide importante. Tout simplement de pouvoir s’appuyer sur l’opinion des autres.
Quels sont les livres qui vous ont marquée cette année ?
J’ai pris le temps de lire cet été. J’ai lu les deux premiers tomes de Vernon Subutex, j’ai beaucoup aimé. Je m’y suis retrouvée, j’ai retrouvé ma génération, et j’ai adoré que ce soit lié à la musique. De temps en temps on reconnaît la chanson, et lire une scène en ayant la musique en tête, c’est magique. C’est ce qui m’est arrivé avec une chanson de Daniel Viglietti, Construcción. J’adore ce texte car les mots sont tous accentués sur l’avant-avant-dernière syllabe. Je me suis demandé comment elle pouvait le connaître.
Vous êtes fan de musique ?
La musique a joué un rôle très important dans ma famille. Durant l’exil, mes parents ont beaucoup joué. Mon père a un répertoire exhaustif. Il peut chanter toute la musique d’Amérique latine, les Rolling Stones, les Beatles, c’est un véritable jukebox. Et on a beaucoup chanté chez moi. C’est même devenu le métier de ma sœur. Ma formation historique et politique sur les peuples latino-américains s’est faite essentiellement par la musique. Zapata, Pancho Villa, Che Guevara… Il y a une chanson pour tous les grands événements. C’est ma façon à moi d’être encore latino-américaine, à ma façon, bien que je n’ai vécu que onze mois en Amérique latine.
Une découverte récente ?
J’ai beaucoup apprécié le dernier album de Calogero. Il se trouve qu’on était ensemble à On n’est pas couché. Il a chanté une chanson très belle, Fondamental. Je ne connaissais pas beaucoup, je m’aperçois qu’il est très fort en fait ! Mais en art de manière générale, je suis une mauvaise archiviste. Je suis une professionnelle d’adorer un film, puis de ne même plus me souvenir de l’intrigue. Quand je vais au cinéma, j’essaye de déconnecter. Entre les deux tours, par exemple, je suis allée voir Fast and Furious. (rires)
Propos recueillis par Mathieu Dejean
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