Juan Branco, ancien collaborateur de campagne d’Aurélie Filippetti et opposant à Hadopi, réagit dans une tribune au rapport Lescure sur les politiques culturelles à l’ère du numérique.
Pierre Lescure a tenté. En homme de médias, il sait l’importance de la première dépêche AFP, de la « headline » sur laquelle se concentreront la grande majorité des réactions. Avec malice, il a fait un pari fou. Celui de conquérir les « jeunes » sans ne rien céder aux industries culturelles. De proposer une réforme d’apparence qui satisfasse l’ensemble des acteurs du débat, société civile inclue, sans au fond ne rien changer.
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Mais le temps passe, et la génération Internet n’est plus la génération télévisée. En proposant la « suppression d’Hadopi », pour mieux en renforcer le volet répressif, Pierre Lescure et le gouvernement se prêtent à une opération de blanchiment dont personne n’est dupe. Elle masque les autres mesures, notamment la création de plusieurs taxes, dont on interrogera nécessairement la légitimité dès lors qu’aucun nouveau droit n’est créé pour les publics.
La manœuvre est grossière. Un changement de nom, une transformation du procédé, et l’on oubliera toutes les promesses de campagne, tous les engagements du monde socialiste depuis 2005. De notre ministre de la Culture. Cette promesse d’une nouvelle approche, d’un pouvoir attentif enfin aux besoins des acteurs les plus fragiles du système, porteur d’une vision d’ensemble.
Hadopi n’a jamais été qu’une façade, une porte d’entrée dans un débat bien plus large qui touche au financement de la culture et à sa démocratisation. Hadopi n’a jamais coupé la moindre connexion internet. Elle est une coquille vide depuis le premier jour, depuis que de recours en recours, ses opposants l’ont vidé de sa substance. Pierre Lescure le sait. Le tour de passe-passe qu’il propose, en transformant la « coupure d’accès à internet », impossible techniquement, en amende automatisée, est une entreprise de communication. Loin de l’effet d’annonce, elle rendra fonctionnelle la riposte graduée, les sanctions automatiques. Il ne s’agit pas là d’un changement de paradigme. Rien de révolutionnaire, avait-il annoncé.
Nos politiques culturelles méritent une autre ambition. L’exception culturelle se trouve bel et bien à un tournant. Lorsque, pendant la campagne, je propose à Aurélie Filippetti et François Hollande d’en faire un « acte 2 », ce n’est pas par ambition cosmétique. Les problèmes soulignés par Vincent Maraval et tant d’autres depuis affleurent déjà. Baisse des recettes des acteurs du pré-financement, dépendance excessive aux chaînes de télévision, visibilité des films… le milieu de la culture, et du cinéma en particulier, affronte un véritable bouleversement. Deux choix s’offrent à nous : figer le système dans le temps, en niant les nouveaux usages et en abandonnant toute ambition de réforme d’ensemble, comme l’a fait Nicolas Sarkozy en tentant d’ériger un barrage contre le pacifique appelé Hadopi. Ou profiter de l’opportunité offerte par le numérique pour redonner un élan à nos politiques culturelles.
Il s’agissait dans cette dernière hypothèse de s’appuyer sur les nouvelles technologies, et le gisement de financements afférent, pour pérenniser en le réinventant le système né dans les années 80. Les télévisions étaient alors vues comme une menace pour le cinéma, dans la même mesure qu’internet aujourd’hui. Le coup de génie fut, plutôt que de les opposer, de les associer. Il s’agissait de reprendre le flambeau.
Cette perspective ouvrait mille possibilités : compenser l’affaissement des chaînes de télévision par de nouveaux financements issus du numérique, intégrés à une chronologie des médias rénovée, réformer le CNC, ses aides automatiques et ses commissions pour les ouvrir à de nouvelles formes de production, réhabiliter le CSA en lui donnant de nouvelles prérogatives de sanction, créer de nouvelles obligations pour les chaînes de la TNT… Il s’agissait, en échange d’un véritable mouvement de démocratisation culturelle encadré par l’État, d’offrir enfin aux acteurs de la culture une opportunité de palier aux déficiences du modèle actuel. Il s’agissait de rendre crédible l’abrogation d’Hadopi, la vraie, et d’accompagner les artistes dans cette transition.
Cette ambition a été abandonnée pendant la campagne, pour n’en garder que le slogan. L’inconnue que représente le monde de la culture pour Aurélie Filippetti et François Hollande ont réduit leur vision du secteur à quelques acteurs obsédés par leur rente. Leur méconnaissance leur a empêché de dépasser la cogestion qui caractérise depuis dix ans les politiques culturelles, avec le pendant corporatiste et court-termiste qui en résulte. Elle leur a interdit de porter un projet ambitieux, en accord avec leurs promesses. A la concertation de la campagne a donc suivi une concertation menée par Pierre Lescure, qui sera elle même suivie de concertations sectorielles, avant éventuellement l’adoption de dispositifs législatifs…
Le rapport Lescure a bien évidemment été suivi de près par la rue de Valois et l’Élysée. Il fallait s’assurer que, malgré le renoncement, les apparences restent. Que la dédite faite à la parole donnée ne soit pas trop évidente. Qu’un simili d’éthique politique soit préservé, non pas tant par principe, mais pour rendre viables les propositions. Pour que les contradictions n’apparaissent qu’à ceux qui se donneront la peine d’approfondir.
Au fond, on le voit, Pierre Lescure aurait aimé que l’on croie qu’il a bien voulu, mais que non, ce n’était vraiment pas possible, les industries culturelles n’étaient pas prêtes. Mais au fond, on le sait, il n’a pas vraiment cherché à le rendre possible. L’homme de l’acte I ne pouvait se défaire des servitudes du passé. La présentation de son rapport à Cannes, samedi prochain, dans le patio de Canal +, encadré par Méheut et Belmer, n’en sera que la triste illustration. Cet homme s’est cru libre. Il n’a été que le rouage d’un système.
Juan Branco
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