Dernier avatar des émissions de joutes verbales aux Etats-Unis, le trashy Yo Momma ! s’inspire des battles de rap. Un dézingage en règle à voir sur MTV.
« Fuck, sors de ce plateau, connard ! Réfléchis une seconde, putain ! Qu’est-ce que tu branles ? ” L’insulte est l’arme des faibles, dit l’adage, et Christian Bale devra le méditer la prochaine fois qu’il sera tenté de pourrir la vie de ses équipes de tournage.
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L’acteur britannique passe pour un tyranneau purulent depuis que l’enregistrement pirate de sa logorrhée a fait se tordre la planète. L’incident était somme toute anecdotique, mais son audience démesurée est venue confirmer une des tendances audiovisuelles les plus marquantes de ces dernières années : l’insulte, la casse et leur pendant ludique, la vanne, exercent un pouvoir de fascination souvent supérieur à toute autre forme de discours.
Pêle-mêle, l’outrage génère un flux d’émotions, procure un sentiment de rupture avec les codes, s’accorde avec nos penchants sado-masochistes… La télé, bien sûr, ne pouvait se passer d’orchestrer de telles éruptions d’affects. Au pire, elle tombe dans le racolage, jouant des pulsions destructrices des uns contre celles des autres. Au mieux, elle met en scène les points de rupture d’une société, en révèle les tensions latentes. Et reste en phase avec une époque où la quête inlassable de performance semble excuser classements hâtifs et relégations aveugles.
En France, une télé trop éduquée s’en est toujours tenue à une certaine réserve d’usage : l’indiscipline et la verve des débats de Polac (Droit de réponse, 1981-87) paraissent loin, et ce ne sont pas les tentatives lourdingues de Ruquier pour créer du clash qui les feront oublier. Les dézingages de la Nouvelle Star ou les jugements d’Un dîner presque parfait restent dans la norme d’une french touch si polie. Et quand on tente de confronter les corps de métier, comme dans Sexy Staff (NRJ 12), on les fait parader côte à côte dans un défilé insipide. Il faut donc se tourner vers les Etats-Unis, pays des grandes gueules comiques Eddy Murphy et Richard Pryor et d’une oralité vue comme une arme à la portée de tous, pour voir arriver les flèches les plus fielleuses.
On a déjà encaissé depuis quelques années le Jerry Springer Show : sur un plateau en folie, des maris volages ou des mères lesbiennes se font “détruire” par un public vengeur – on se demande bien pourquoi. Mais c’est la seconde vague de la télé-réalité (sous bannière MTV) qui marie le plus astucieusement élimination physique (symbolique) et scuds verbaux. Dans Parental Control, des couples cherchent à se débarrasser du petit ami de leur fifille adorée : “Tu pues comme un SDF resté 15 jours sous un pont” ulule belle-maman. “C’est une serpillière que vous avez sur la tête ?” crache le jeune punk à beau-papa.
Dans Je veux travailler pour Diddy, des candidats effectuent les 12 travaux ultra-libéraux d’Hercule pour entrer dans le staff du rappeur. Et doivent se flinguer devant un jury. Ambiance. Même dispositif dans Exposed ou Dismissed : on est en concurrence sentimentale, on se jauge, on se vanne. “Tu ressembles à un Playmobil”, médaille d’or.
Mais le fleuron – presque une épure – du genre est multidiffusé sur MTV et MTV Base. Reprenant et édulcorant à la fois la forme de la battle de rap, Yo Momma! met aux prises deux snipers supportés par leur quartier. Ici pas de flow, pas de rimes, pas de musique, juste des one shot d’une ligne, entre blagues Carambar trashy et humour burlesque.
“Ta mère est si vieille qu’elle a connu Albator avec les deux yeux ! – La tienne est si débile qu’elle croit qu’un X-men est un acteur porno !”. Pour le téléspectateur européen peu habitué à se faire chambrer sur son physique et ses fringues, un ovni souvent hilarant. Pour les jeunes descendants des toasters afro-américains, peut-être une récup’, mais surtout une leçon d’autodérision, de conscience de soi et d’humilité. Yo Momma!, thérapie de choc pour tous les Christian Bale de la terre.
Pascal Mouneyres
Yo Momma! Tous les jours sur MTV à 16 h 15 et sur MTV Base à 12 h 10, 17 h 55 et 21 h 40.
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