Les échanges entre les musiciens américains Morton Feldman et John Cage, en 1966-67 sur une radio de New York, brillamment restitués.
Transformer de la parole en écrit comporte toujours un risque : celui de perdre la spontanéité et la vivacité propres à l’oralité et, ce faisant, d’en altérer le caractère foncièrement vivant. Il suffit de lire quelques pages de Radio Happenings pour constater qu’un tel risque est ici totalement écarté : couchant noir sur blanc plusieurs conversations engagées par John Cage et Morton Feldman devant les micros de la radio new-yorkaise WBAI entre juillet 1966 et janvier 1967, ce verbatim restitue au plus juste le verbe intime des deux hommes, à tel point qu’il nous donne même parfois l’illusion de les entendre – et pour faire de cette illusion une réalité, il suffit de se rendre sur l’indispensable site UbuWeb.
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Autre outsider majeur de la musique contemporaine américaine, Christian Wolff évoque dans sa préface le plaisir que Cage et Feldman ont à l’évidence pris lors de ces conversations radiophoniques : un plaisir d’abord partagé avec les auditeurs et ensuite, tout autant, avec les lecteurs.
Le livre parvient à conserver tout le sel originel des dialogues
Grâce à un minutieux travail de retranscription, marquant précisément (par des notations en italique et des points de suspension, notamment) les variations de la parole, le livre parvient à conserver tout le sel originel de dialogues à bâtons rompus qui s’apparentent à des impromptus – ces compositions musicales à la forme très libre – et se révèle parfaitement fidèle à leur mouvement spirituel.
A rebours de l’académisme et du pédantisme, John Cage et Morton Feldman, entretenant une complicité manifeste, abordent par le biais de la musique – la leur et celle des autres – des sujets très variés (le rôle de l’artiste, la méditation, l’impermanence, l’ennui, le téléphone, la philosophie, l’avenir…).
Avec une grande simplicité d’expression, ils racontent des anecdotes, développent des réflexions ou lancent des convictions (celle-ci, par exemple, de John Cage : “Le Village global est en train de naître. Il y en a des signes – pas des prémonitions, mais des preuves réelles, tangibles –, de plus en plus.”) et pimentent l’ensemble d’un indéfectible – et irrésistible – sens de l’humour.
Pareils à des accents toniques, les rires, indiqués entre parenthèses, fusent en nombre tout au long de Radio Happenings.Empreint d’une joie presque enfantine, le livre s’avère ainsi porteur d’un savoir profondément gai et terriblement vivant.
Radio Happenings (Allia), 128 pages, 15 €
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