Nicolas Sarkozy a nommé Jean-Luc Hees à la place de Jean-Paul Cluzel à la tête de Radio France. Pour développer la Maison Ronde ou la corseter au profit du pouvoir ?
La nouvelle loi sur l’audiovisuel, votée en début d’année en dépit d’un cafouillage législatif inédit (promulgation de la loi avant son vote définitif), a déjà fait, le 2 avril, une victime collatérale : le président de Radio France Jean-Paul Cluzel, dont le mandat arrivé à terme ne sera pas renouvelé par l’Elysée, au profit d’un nouvel élu, Jean-Luc Hees, qui signe son retour, tel un enfant prodige, dans une maison qu’il connaît bien.
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Longtemps correspondant à Washington, animateur du magazine Synergie sur Inter, qui démarrait aux sons de Steely Dan (Hey nineteen), puis directeur de la station entre 1997 et 2004, Hees est peu comme chez lui dans la Maison Ronde, même si elle a très bien tourné sans lui (le bilan de Cluzel, qui s’était séparé de lui à son arrivée, est globalement positif, notamment sur les audiences). Seul le manque d’expérience du journaliste à la crinière banche et à la voix suave dans la gestion administrative d’un grand groupe fait dire aux mauvaises langues que ce ne sera pas une sinécure pour lui.
Mais, sans préjuger de ses compétences et de sa future stratégie éditoriale, qu’il présentera dans les prochains jours au CSA et aux commissions compétentes des deux Assemblées, on ne peut que s’interroger sur la marge de manœuvre dont il bénéficiera vis-à-vis des injonctions de l’Elysée. Comment ne pas voir dans son arrivée le premier indice d’une reprise en main de l’audiovisuel public par l’exécutif, que seul le principal intéressé et la droite alignée derrière la volonté du Prince refusent d’admettre ? Le nouvel élu aura beau afficher son indépendance, ou même sa sensibilité « contestataire », validée par les embauches qu’il fit à l’époque sur Inter (Philippe Val, Gérard Lefort, Michel Polac, Frédéric Bonnaud, Pascale Clark…), il se heurte au vice originel de son adoubement : être le jouet du Prince, sur lequel il a d’ailleurs écrit son seul livre Sarkozy, président, journal d’une élection. Comment, dans le cadre d’une loi inique sur l’audiovisuel, Jean-Luc Hees pourra-t-il créer son propre espace autonome face au pouvoir dont la seule obsession vise à effacer le plus possible tout élan frondeur ?
Comment, en écrivant régulièrement dans le journal de son ami Philippe Val, Charlie Hebdo, en première ligne dès qu’il s’agit de brocarder le sarkozysme triomphant, Hees a-t-il pu accepter le principe d’un mandat au cœur duquel le pouvoir a distillé son poison ? C’est sur ce point aveugle (aux yeux de Hees en premier lieu) que bute le changement de présidence à Radio France. En plus de son mode opératoire, c’est le contexte dans lequel cette nomination intervient qui laisse sceptique.
Au moment où la direction de France 3 se couche devant l’Elysée dans l’affaire de la cassette de « Sarkozy off » révélée par le site Rue 89 (cf page précédente), au moment où l’ordre législatif organise la mise au pas légal par l’exécutif de l’indépendance des médias de l’audiovisuel public, le changement de présidence à Radio France a des airs de chant du cygne pour l’indépendance de la radio publique.
Le sort de Stéphane Guillon, symbole malgré lui de cette indépendance (cf sa chronique enlevée sur le voyage de Sarkozy au Mexique), mais aussi des membres de la rédaction France, incarnée par la matinale de France Inter, de Nicolas Demorand à Thomas Legrand pourtant pas à la pointe de l’avant-garde révolutionnaire, sera un indice fort de la résistance qu’opposera, ou non, Hees au secret cahier des charges que Sarkozy lui a imposé. Les voix de Radio France, génétiquement rétives à tout effacement face aux imprécations du pouvoir, risquent de se faire entendre. A moins que Jean-Luc Hees monte le son de sa chanson de Steely Dan pour couvrir la rumeur qui monte.
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