Ikhlas et Nahida sont deux jeunes femmes yézidis qui ont perdu leurs maris lors d’une attaque de l’Etat islamique. Réfugiées dans la petite commune de Forbach, en Moselle, elles attendent la régularisation de leur situation, toujours hantées par les souvenirs de l’Irak.
Leur passé tient désormais sur un smartphone. “Vous pouvez voir”, dit Ikhlas en tendant son portable. C’est une photo du corps de son mari tué par Daesh, avec à côté le drapeau noir de l’Etat islamique. La photo a été prise après la nuit du 8 août 2014, lors d’une des premières attaques des Yézidis par les jihadistes. Ikhlas et Nahida appartiennent à cette communauté irakienne kurdophone des monts Sinjar, persécutée par l’État islamique.
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Les deux belles-sœurs, jusque-là paysannes, ont fui lors de l’attaque de leur village avec leurs enfants (Nahida a quatre enfants, Ikhlas cinq). Après un log séjour dans un camp de réfugiés en Turquie, elles sont installées à Forbach depuis maintenant huit mois dans un appartement tout vide, mais la vie n’a pas encore vraiment repris. Ikhlas se souvient :
“Ils [Les combattants de Daech] sont arrivés vers 2 heures du matin. Tout le monde a cherché à fuir. Certains n’avaient plus d’essence dans leur voiture alors ils sont partis à pied par la montagne. C’est ce que j’ai fait. Mes enfants n’avaient même pas de chaussures. On est resté neuf jours sans eau ni nourriture dans la montagne.”
Se reconstruire dans la petite commune de Moselle n’est pas facile car, en plus de la mort du mari de Ikhlas, elles ont perdu beaucoup des leurs pendant le voyage. La fille de leur beau-frère commun, âgée d’à peine 12 ans, n’a pas survécu aux fortes chaleurs de la montagne. Quant au mari de Nahida, il n’a plus donné signe de vie depuis la nuit où il est resté combattre l’État islamique.
En mars 2015, l’ONU envisageait la reconnaissance d’un génocide pour les massacres de Sinjar (la ville a depuis été reprise par les Kurdes en novembre dernier). Nahida et Ikhlas ont eu la chance de pouvoir s’enfuir. En passant par la montagne, elles ont aussi échappé à l’esclavage sexuel que subissent des femmes yézidis prisonnières de l’État islamique, comme l’a raconté l’une d’elles, Jinan Badel, dans un livre Jinan, esclave de Daech (Fayard), écrit avec Thierry Oberlé.
Dans l’attente d’un statut de réfugié
Malgré cette chance toute relative, Ikhlas et Nahida sont aujourd’hui comme bloquées à Forbach. “Je veux attendre un peu de mieux connaître la France pour chercher un travail et envoyer mes enfants à l’école, confie Ikhlas, et puis il y a la langue”, sourit-elle en mettant la main devant sa bouche.
De toute façon, les deux belles-sœurs ne peuvent pas travailler car elles ne possèdent pas encore le récépissé portant la mention “reconnu réfugié », qui s’obtient en moyenne au bout d’un an. Elles ne sortent que pour les déplacements indispensables, comme se rendre chez le médecin et se font tout traduire, la plupart du temps par leur “passeur” comme l’appelle l’interprète, un kurde syrien dont on taira le nom. Ce grand moustachu s’est porté garant pour les faire venir de Turquie et contrôle maintenant leur prise de parole, s’assurant ainsi que des éléments sur ses affaires ne fuitent pas trop. Un membre de l’association des Yézidis de France, nous expliquera plus tard que ce système n’est pas isolé pour la petite communauté yézidi de Forbach. Le “passeur”après s’être porté garant, s’arrange pour toucher une partie des maigres aides ou revenus des personnes réfugiées qui vivent avec « moins du RSA ». Il leur garantit en échange des traductions et une forme de protection.
Pour tenir, la religion
Les deux jeunes femmes sont aussi faibles car elles ont transité sept longs mois dans un camp de réfugiés situé dans la ville de Duhok, à une centaine de kilomètres de la frontière syrienne, avant de partir obtenir leur visa pour la France en Turquie. “Je crois que nous avons été pris en charge par des humanitaires allemands à l’arrivée au camp. C’est le PKK qui nous a menées jusqu’à eux depuis la montagne dans des camions-bennes…” explique Nahida.
Les deux jeunes femmes vivaient à Duhok dans des tentes. En septembre 2014, le camp prenait en charge plus de 93 000 personnes, selon les Nations unies. Pas de lit, il fallait donc se contenter du sol. “Nous partagions notre tente avec une autre famille. Il faisait tellement froid que les hommes et les femmes dormaient ensemble.” se rappelle Nahida, en levant les yeux au ciel, étonnée de ce qu’elle a pu elle-même accomplir. “J’ai beaucoup pensé et prié notre Malek Taous pendant ces semaines, pour tenir.” Elle fait référence à l’ange-paon yézidi, tant détesté par Daesh.
Pour les djihadistes, lui faire allégeance, comme à beaucoup d’autres traditions yézidis qui mélangent des éléments du christianisme, de l’islam et du zoroastrisme, est considéré comme de l’idolâtrie. Au camp, les journées commençaient tôt, vers 6 heures du matin sans que personne n’ait pu vraiment dormir.
Pour ne pas oublier, des chansons
Ikhlas était enceinte de quelques mois quand les hommes de l’État Islamique ont attaqué son village. Adda, son petit garçon, agité et joueur sur ses genoux, est né dans l’hôpital du camp. L’adolescent, le plus âgé de la troupe, pianote quelques secondes sur son téléphone dans le salon. Il montre l’intérieur des tentes et les quelques photos envoyées par ceux qui sont restés au village avant qu’ils ne puissent plus donner de nouvelles.
Il se rassoit avant de lancer un morceau du chanteur syrien Dino, qui raconte l’histoire d’un jeune homme tué par l’État islamique. Nahida se met à pleurer. “Lui aussi a inventé une chanson, vous savez, sur tout ce qu’on a vécu là bas” dit-elle en désignant un de ses fils, âgé d’une dizaine d’années, qui s’enfonce timidement dans le canapé en guise de réponse. “Écouter ou chanter des chansons tristes, cela nous fait vraiment du bien.”
Véra Lou Derid et Marie-Caroline Cabut
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