Journaliste au site Arrêt sur images, Justine Brabant s’écarte des analyses médiatiques dominantes dans une fine enquête sur la guerre à l’est du Congo.
La guerre à l’est de la République démocratique du Congo dure depuis si longtemps qu’on ne la voit plus. Dans un livre passionnant, entre l’enquête érudite et le carnet de voyage, Justine Brabant déconstruit les rhétoriques guerrières : et si les “rebelles sanguinaires” n’étaient que des bergers défendant leurs terres ?
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Justine Brabant est menue, myope et plutôt pâlotte. Quand elle entre pour la première fois dans le salon de Mzee Zabuloni, l’un des généraux du groupe d’autodéfense congolais Mayi Mayi, la famille interrompt son visionnage de 24 heures chrono.
Journaliste et chercheuse
Espionne, marchande d’armes, enquêtrice de la Cour pénale internationale ? Rien de tout cela. A la fois journaliste et chercheuse, la jeune femme, alors âgée de 23 ans, veut comprendre les ressorts de “la grande guerre” qui décime la République démocratique du Congo depuis vingt ans.
Né des suites du génocide tutsi au Rwanda en 1994, alors que le Congo héberge des génocidaires hutus poursuivis par l’armée de Kigali, le conflit a entraîné des millions de morts, notamment au Nord et Sud-Kivu, à l’est du pays. Tel que dépeint par les médias occidentaux, le conflit est devenu un bourbier incompréhensible où règne une “culture de la violence” portée par des insurgés comme les Mayi Mayi, autant d’analphabètes “abrutis et violeurs”. Qu’en est-il réellement ?
Paysans menacés sur leurs propres terres
Le vieux Zabuloni lui remet une liste de douze noms. C’est le point de départ d’une enquête de trois ans, où Justine Brabant parcourt à moto les hauts plateaux congolais à la recherche d’autres combattants. Rapidement, deux discours s’affrontent : au lieu des “miliciens sans foi ni loi” décrits par Kinshasa et les rapports de l’ONU, la journaliste rencontre des paysans menacés sur leurs propres terres, obligés de prendre les armes pour se défendre.
Elle décrit alors avec une finesse remarquable le glissement du conflit. La génération de Mzee Zabuloni est entrée en guerre contre les réfugiés rwandais devenus des envahisseurs. Celle de ses fils continue de se battre, moins pour protéger le bétail, unique ressource du Kivu, que pour s’assurer un revenu et une reconnaissance sociale.
Livre riche en anecdotes
Car c’est bien à cela qu’aspirent ces guerriers : construire une maison en brique, se marier et envoyer les enfants à l’université. “Pour que l’on puisse se développer, il faut la paix d’abord. Il ne peut pas y avoir de développement sans la paix. Or, dans les pays où la dictature règne, la paix ne se cherche que dans les mouvements insurrectionnels”, explique un combattant.
Un paradoxe fascinant au cœur d’un livre riche en anecdotes. On ne parle plus seulement de la RDC mais de toutes les guerres. A la manière du journaliste polonais Ryszard Kapuscinski, fin connaisseur du continent africain, l’auteur déconstruit les rhétoriques guerrières les pieds dans la boue et le courage chevillé au corps. Brillant.
Qu’on nous laisse combattre, et la guerre finira (La Découverte), 248 pages, 21 €
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