Une chose est sûre, en Chine, “The Revolution Will not Be Televised” (“la révolution ne sera pas télévisée”), comme le chantait Gil Scott-Heron. La censure gagne de plus en plus de terrain. Pourtant, Xi Jinping, l’actuel président de la République Populaire de Chine, n’a pas toujours tenu un discours si répressif. Dès son accession au pouvoir […]
Les autorités chinoises veulent s’attaquer au »problème » que constitue la sexualité sur Internet. Assainir les réseaux sociaux et en ôter toute mention salace : le combat risque de ne pas être de tout repos pour le gouvernement de Xi Jinping.
Une chose est sûre, en Chine, « The Revolution Will not Be Televised » (« la révolution ne sera pas télévisée »), comme le chantait Gil Scott-Heron. La censure gagne de plus en plus de terrain. Pourtant, Xi Jinping, l’actuel président de la République Populaire de Chine, n’a pas toujours tenu un discours si répressif. Dès son accession au pouvoir en 2013, il s’empare des questions liées à Internet et en fait son cheval de bataille. « Nous devrions respecter les droits des internautes à échanger des idées et à exprimer leurs opinions », affirmait le dirigeant du pays en 2015. À l’approche du dix-neuvième Congrès du Parti Communiste Chinois (prévu pour le 18 octobre prochain), l’État autoritaire entend resserrer son contrôle sur Internet.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Interdiction de parler de masturbation sur Internet
À la censure des sujets politiques s’ajoute la censure des contenus jugés pornographiques. Une directive diffusée cet été par les autorités dresse la liste des 68 sujets dont il sera désormais exclu de parler, sous peine de sanctions. S’en dégage un certain puritanisme. Même si la pornographie a toujours été proscrite en Chine communiste, le régime détaille cette fois avec précision les thématiques soumises à la censure. Masturbation, prostitution, viol, ainsi que la « libération sexuelle », sans qu’il soit précisé ce que la notion recouvre.
Pourquoi une telle liste ? Car en l’absence de contraintes explicites, la loi du « tout ce qui n’est pas interdit est autorisé » prime. Les autorités ont donc tout intérêt à faire des listes exhaustives d’interdictions, afin de tuer dans l’œuf toute forme de velléité. Mais l’on se demande bien en quoi parler de « tromper son conjoint », de « partenaire d’un soir » ou encore d’échangisme remet en cause la sûreté de l’État.
Ces nouvelles catégories viennent s’ajouter aux autres sujets tabous, majoritairement politiques. « Pour les journalistes, il y a des sujets explicitement interdits. La répression de Tian’anmen en 1989, les actions menées par les dissidents, la ‘secte’ Falun Gong, les indépendantistes tibétains et taïwanais », détaille Alain Peter, enseignant-chercheur au CUEJ et spécialiste du journalisme en Chine. Des propos interdits quelles que soient les circonstances, donc. Quant à l’actualité quotidienne, un organisme spécifique se charge de mettre au point un inventaire des interdits au jour le jour. Ceux-ci sont transmis directement aux rédactions, qui n’ont le droit de les communiquer sous aucun prétexte.
« Il existe un Département Central de la Propagande, rattaché au Comité central du PCC (Parti Communiste Chinois). Ils diffusent des directives en direction de tous les médias, en leur précisant les sujets qu’ils n’ont pas le droit d’aborder. Cela peut se faire sous la forme d’interdiction pure et simple ou sous la forme d’orientation. Par exemple, on ne vous interdit pas de traiter de la mort de Liu Xiaobo [un opposant au régime, mort le 13 juillet dernier], mais si vous en parlez, il faudra publier les dépêches de l’agence officielle, Chine Nouvelle », précise Alain Peter.
Un grand bond en arrière
On ne s’en rend pas compte, mais ces interdits liés au sexe sont une petite révolution. Car il était jusque-là toléré de tenir des propos prohibés sur les réseaux sociaux. A titre individuel, seulement. « Les messages les plus susceptibles d’être censurés sont ceux qui comportent un potentiel d’action collective », souligne Alain Peter. Le gouvernement craint l’insurrection populaire. C’est pourquoi les censeurs s’intéressent de près aux nouveaux moyens de contestation, comme le mème (une image virale, souvent parodique). En juillet, les représentations de Winnie l’Ourson se sont ainsi vues bannir des réseaux sociaux. Le célèbre ours jaune au t-shirt rouge était soupçonné d’être une critique dissimulée de Xi Jinping.
A bear, however hard he tries, Falls foul of Chinese censors' eyes https://t.co/7HEDemzB3i pic.twitter.com/CVEs60nzlm
— Financial Times (@FT) July 16, 2017
Ce regain de puritanisme apparaît dès lors comme une inversion de la tendance. Désormais, le régime traque jusqu’aux désirs et fantasmes individuels.
L’écrivaine chinoise Song Jie n’a pas attendu la diffusion de cette liste pour savoir que certains sujets posent problème. Dans une interview accordée au New York Times, elle détaille l’ampleur des interdits. « Sur Internet, des mots comme ‘devant’ ou ‘derrière’ sont filtrés directement (…). En gros, les scènes de sexe ne peuvent pas trop rentrer dans les détails ». Impossible de décrire en détail les attributs féminins ou masculins, les mots incriminés ne franchissent pas la grande muraille électronique.
Interesting talk by Mary Gallagher on censorship in China @FairbankCenter. #chinesepolitics #China #censorship pic.twitter.com/Z6ui0scgU3
— Dr. Annemieke van den Dool (@PubPolicyChina) September 18, 2017
Exemple de termes filtrés par la censure. La phrase « La progression de la répression: la censure sur Internet en Chine » n’est pas arrivée jusqu’à son destinataire.
« Le PCC a toujours été pudibond, et a toujours sévèrement réprimé la pornographie », explique Tristan Mendès France, spécialiste des nouveaux usages numériques et enseignant au CELSA. « Mais la nouveauté, c’est l’implémentation sur le web de cette pruderie, concomitante avec l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir ».
« La Chine fonctionne déjà comme un intranet »
Face au renforcement des contraintes en ligne, une question se pose. Pourquoi les dirigeants chinois s’embarrassent-ils avec Internet ? À l’instar du voisin nord-coréen, qui interdit l’accès au web mondial, et a mis en place son propre intranet. « C’est très simple, la Chine est déjà dans une bulle, elle fonctionne déjà comme un intranet », constate laconiquement Alain Peter. Les nouvelles en provenance d’Occident passent difficilement la frontière numérique. « Ils ont leurs propres outils numériques : ils ont un Google (Baidu), un Twitter (Weibo). Globalement, les technologies sont beaucoup plus avancées là-bas qu’en Europe », conclut-il. Mais leurs sites sont aussi performants que soumis à la censure de Pékin.
Cette lutte incessante contre toute nouvelle forme de dissidence n’est-elle pas un peu vaine, surtout quand le chiffre d’internautes à surveiller s’élève à 731 millions ? « Il faut bien se rendre compte que la Chine dispose d’outils puissants à sa disposition : les I.A. [Intelligence artificielle] et des algorithmes performants », énumère Tristan Mendès France. Traquer chaque citoyen est un jeu d’enfant pour les agents de l’Administration du Cyberespace, la police du web. Les mots sont filtrés automatiquement.
Lors du dix-neuvième Congrès du Parti, Xi Jinping, qui devrait être reconduit pour cinq ans à la tête du régime, ne manquera sans doute pas de rappeler sa volonté de faire d’Internet un endroit où « chacun peut exprimer son opinion ». Surtout celle du Parti.
{"type":"Banniere-Basse"}