Depuis la mort du militant antifasciste Clément Méric le 5 juin, le terme « antifa », diminutif d’antifasciste, est revenu sur le devant de la scène. Mais qui sont les antifa actuels ? Cartographie du mouvement.
Si l’on devait retenir un seul adjectif pour qualifier la manifestation antifasciste organisée le 23 juin à Paris en hommage à Clément Méric, mort après avoir reçu un coup violent lors d’une bagarre avec des skinheads le 5 juin, on opterait pour « impressionnant ». Emmenés par des antifa et des redskins, ont défilé côte à côte black blocs et anars, jeunes communistes et Parti de gauche, SOS Homophobie et le collectif des sans-papiers Droits devant!, Sud solidaires et la CNT. Une mobilisation très forte de l’extrême gauche (6000 personnes selon la police) qui s’explique en partie par le fait que nombre de militants antifascistes militent dans d’autres organisations. L’antifascisme ne serait-il qu’un terme fourre-tout pour désigner tous les sympathisants de gauche opposés à l’extrême droite ?
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Le diminutif « antifa » est communément employé pour désigner un ensemble de groupes de militants radicaux opposés au FN et aux groupes d’extrême droite radicale (type Jeunesses Nationales, Bloc Identitaire, Troisième Voie…). Parmi eux, l’Action antifa Paris-Banlieue, surnommée Afa, sur lequel tous les regards se sont braqués à la mort de Clément Méric, qui en faisait partie, et qui a été associé ici et là aux « chasseurs de skins » des années 80.
Des chasseurs de skins?
Une confusion en partie due à un documentaire circulant sur les réseaux sociaux au lendemain de la mort du jeune militant. Intitulé « Antifa-chasseurs de skins » et réalisé en 2008 par Marc-Aurèle Vecchione, le film retrace l’histoire, violente, de groupes antifa livrant la chasse aux skinheads néo-nazis à Paris du milieu des années 80 au début des années 90. Immédiatement, les images de ces « redskins » (des skinheads antiracistes, fidèles à la philosophie du mouvement des débuts) se superposent à celle de Clément Méric et de l’Action antifa Paris-Banlieue. C’était oublier que plusieurs décennies se sont écoulées et que la société a changé, ce que martèle Hugo, militant de l’Action antifa :
« On ne se définit pas du tout comme des chasseurs de skins. On ne s’inscrit pas en rupture avec eux mais dans une démarche différente. On n’a pas fondé une organisation politique pour la violence. On fréquente encore les gens du documentaire mais à l’époque, ils subissaient une violence directe des skins et de l’extrême droite dans la rue et se sont organisés face à ça. Nous, aujourd’hui, on n’a plus ou très peu de skins qui se baladent dans Paris avec des croix gammées. »
Rick, militant dans le groupe UAT (Union antifasciste toulousaine) admet à demi mot le recours à la violence physique : « Nous ne rejetons pas totalement la violence physique, nous estimons qu’on doit avoir une démarche d’autodéfense. Le projet de société de l’extrême droite est profondément violent, notre réponse est donc radicale« . Tout comme lui, David, qui fait partie du collectif breton Roazhon Antifa, rejette l’image de chasseurs de skins, auxquels il reproche une « approche viriliste de l’antifascisme ». Malgré tout, le militant avoue : « Il faut parfois accepter d’être violent, mais ce n’est pas un projet politique« .
Les antifa, tous « redskins »?
S’il se définit comme « redskin », David précise que son groupe d’antifa a « laissé tomber ces trucs de look« . « Ces codes-là n’ont plus beaucoup d’intérêt car on n’a plus besoin d’assumer quelque chose pour se balader looké ». Un avis partagé par le réalisateur Marc-Aurèle Vecchione qui rappelle :
« Aujourd’hui, les gens ont des looks qui ne veulent rien dire. Avant, il fallait être ce qu’on prétendait être à travers le look qu’on portait, sinon on était moqué, c’était une panoplie. »
Pourtant, à la mort de Clément Méric, une partie de l’attention s’est portée sur le lieu de la bagarre, une vente privée de la marque Fred Perry, portée par des skinheads d’extrême droite (ou « boneheads ») mais aussi par des redskins (et, accessoirement, par tout un tas d’autres gens). De là à penser que tous les militants antifa ressemblent aux skins de This is England (2006), il y a un fossé à ne pas franchir : de la même façon que tous les antifa ne sont pas chasseurs de skins, ils ne sont pas non plus tous redskins et la question des fringues a tendance à les irriter… A ce sujet, Hugo nous répond sèchement : « On ne s’habille pas avec des marques particulières, on n’a pas de look. Il y a tous les styles, toutes les tailles de cheveux. Il n’y a pas de code vestimentaire. »
Rick, de l’UAT, rejette également l’étiquette « redskin » qu’on cherche trop souvent à leur coller : « On ne se revendique pas d’un héritage redskin parce qu’on est une organisation politique et qu’on ne se revendique pas d’un mouvement culturel. ‘Redskin’, ce sont des paramètres socio-culturels qui viennent se greffer à l’antifascisme. »
Les goûts musicaux ont aussi ont évolué depuis les années 80, comme le rappelle un militant de REFLEXes, site d’information antifasciste : « L’émulation qu’il y avait entre le rock alternatif et le milieu antifa n’existe plus. Aujourd’hui, ils écoutent plus de rap, ils sont plus dans le graff, comme à l’Afa par exemple« .
« Alerta fascista »
Les groupes antifa interrogés semblent davantage se poser en héritiers du réseau No Pasaran qu’en descendants des chasseurs de skins parisiens. Fer de lance du mouvement antifasciste en France dans les années 90, le réseau No Pasaran reposait, entre autres, sur les sections baptisées Scalp (Section carrément anti-Le Pen) créées dans les années 80 et sur REFLEXes, ancienne revue créée en 1986. Gilles Vergnon, spécialiste de l’antifascisme en France et auteur de L’antifascisme en France, de Mussolini à Le Pen (Presses universitaires de Rennes, 2009) insiste sur l’aspect autonome du réseau :
« C’est une mouvance qui postule un antifascisme radical, c’est-à-dire qu’il n’est pas question d’avoir des alliances larges contre le Front national : ils ne s’allient ni avec la droite modérée ni avec la gauche du gouvernement. »
Existait-il des liens entre chasseurs de skins et réseau No Pasaran? « Il y a eu des jonctions ponctuelles, raconte le militant de REFLEXes, l’antifascisme radical et les bandes de chasseurs se côtoyaient au moment des manifs étudiantes, dans les concerts« . « C’était des mecs qui se faisaient emmerder par des skins néonazis et qui, plutôt que d’être dans le rôle de victimes, ont décidé d’assumer le truc quitte à aller les chercher. Mais la réalité de ce qu’on peut faire aujourd’hui dans la rue n’est plus la même« , ajoute-t-il.
Si le Scalp national a depuis disparu, REFLEXes est, lui, toujours actif sous la forme d’un site d’information antifasciste. On y trouve un dictionnaire de l’extrême droite radicale (d' »Alliance populaire » à « Union solidariste »), des notes de lecture, une bibliographie, et une série d’articles décortiquant l’actualité de l’extrême droite. Dernier en date : un portrait détaillé des Jeunesses nationalistes révolutionnaires dirigées par Serge Ayoub, publié deux jours après la mort de Clément Méric.
Depuis les années 2000, les antifa ont un peu délaissé le terrain pour poursuivre leur action sur le web. Aux côtés de REFLEXes s’alignent plusieurs sites antifa, comme Fafwatch, qui décortique l’extrême droite et fait de l’outing de militants. Citons aussi La Horde, un site piloté par un collectif qui souhaite « mutualiser » les différents groupes antifa, et qui dispense des conseils aux personnes qui souhaiteraient monter leur groupe. « L’antifascisme a été en berne depuis le milieu des années 2000 avec la disparition du Ras l’front [autre groupe antifa des années 90 – ndlr] et la perte d’activité du réseau No Pasaran. Les gens étaient très isolés ; on s’est dit qu’il y avait un manque d’organisation », avance un des militants de La Horde pour expliquer la création de ce site.
Au sujet du manque d’organisation de l’antifascisme, Gilles Vergnon explique:
« Il n’y a que des groupes autonomes, ville par ville. Ils ont chacun maîtres de ce qu’ils font et vont puiser sur des sites des nourritures type « comment faire un groupe antifa », « comment copier le logo », « comment trouver des textes à recopier », en gros des boîtes à outils dans lesquels chaque groupe puise, sans qu’il y ait de structure nationale derrière. »
Mais avant d’être des modes d’emploi 2.0 de l’antifascisme, ces sites visent à surveiller l’extrême droite. Et à rendre publiques ses dérives. Un objectif partagé par tous les militants antifa, qui se sont donné pour but de démonter les discours d’extrême droite. C’est dans cette optique qu’à l’hiver dernier des membres de l’Action antifa Paris-Banlieue ont alerté les habitants de Montmartre sur une association baptisée « Paris fierté » qui tractait contre l’implantation d’un Starbucks sur la butte. Derrière ce collectif se cachaient des identitaires.
« On sera intransigeant vis-à-vis de l’extrême droite
Ce tractage anti-Starbucks n’est qu’une des nombreuses actions menées ces derniers mois par les identitaires et les nationalistes, qui semblent profiter du mouvement anti-mariage gay pour revenir sur le devant de la scène. Simple effet médiatique ou réelle résurgence ? Certainement un peu des deux, même si pour les antifa, la mort de Clément Méric est clairement le symptôme d’une remontée de l’extrême droite radicale. « Ils se sont permis des choses qu’ils ne se sont jamais permis depuis au moins quinze ans. On n’a jamais été autant attaqué de façon aussi directe« , assure un militant de La Horde, qui prend pour exemple l’agression début mai de militants antifa par des militants d’extrême droite, lors d’un rassemblement place Saint-Michel à Paris pour commémorer la mort de Bahim Bouarram.
Après les agressions de femmes musulmanes à Argenteuil, ce sont deux participants du festival de la mouvance antifa-libertaire Rock dans la prairie, organisé à Agen, qui se sont faits tabasser dans la nuit du 22 au 23 juin par plusieurs membres de Troisième voie, le groupe affilié aux JNR, piloté par Serge Ayoub. Va-t-on assister à un retour des batailles de rue ? Rick de l’UAT répond, mystérieux : « Il va y avoir une radicalisation, c’est sûr. On ne plaisantera pas, on sera intransigeant vis-à-vis de l’extrême droite. » Du côté de l’Afa, on affirme avoir reçu des tonnes de mails de personnes souhaitant rejoindre le mouvement. Back to the 80’s ?
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