En octobre dernier Amazon attaquait en justice plus d’un millier d’internautes les accusant d’avoir laissé de faux commentaires contre rétribution. L’émission Culturesmonde sur France Culture s’intéresse au business de faux commentaires et followers qui a transformé internet en une véritable fabrique du mensonge. Au départ artisanal, « ces paravents numériques » qui vantent les mérites d’un produit, d’un restaurant ou d’une personnalité en manque de reconnaissance se sont progressivement professionnalisés. Les faussaires du web – des entreprises spécialisées et particuliers – représentent un enjeux et un marché tangible. On estime à 45% le pourcentage de faux commentaires en Europe contre 35% aux Etats-Unis.
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Andreas Munzel, chercheur au centre de recherche en management de Toulouse, signale dans Culturesmonde que le secteur le plus « vérolé » par les faux commentaires demeure l’industrie touristique. « 45% des commentaires postés sur des sites de réservations en ligne présentent des anomalies. Il est prouvé que « 9 internautes sur 10 lisent des avis avant de prendre une décision, un avis négatif peut faire renoncer à un achat. D’abord c’était l’hôtelier ou le restaurateur qui rédigeait un avis, ou il demandait à ses employé de le faire, ensuite des clients ont commencé à proposer explicitement leur service en échange d’une rémunération. Maintenant, il y a le dernier virage. Des agences de e-réputation proposent un package avec ce genre de prestations ». Les hommes politiques et artistes n’hésitent plus à faire appel à ce genre de service et savent qu’un lot de likes/followers peut influer d’une manière décisive dans leur carrière.
Des profils de personnes décédées
Ce marché de la tromperie trouve principalement ses « petites mains » en Inde ou au Bangladesh. Des officines garantissent à leurs clients la production de faux commentaires à l’allure authentique en échange de quelques euros. « Sur YouTube, c’est 3 dollars les 1 000 vues. Si tu veux que les profils aient l’air crédibles, ça prendra un peu plus de temps, disons entre trois et quatre heures », témoigne un Indien en début d’émission, employé d’une d’une officine qui monétise vues et likes. Cette fabrique du faux représente une nuisance pour les plateformes comme Facebook ou Tripadvisor. Elle implique la responsabilité des gestionnaires, une responsabilité viciée et dégradée par leur incapacité à tirer le vrai du faux et entame la fiabilité du site. Certaines entreprises poussent la tromperie à son paroxysme. Elles utilisent des profils inactifs de personnes décédées, en prison ou rentrées dans les ordres pour renforcer la crédibilité et dissiper les doutes.
Nicolas Arpagian, autre invité de France Culture pour cette série consacrée à « L’art du mensonge« , est directeur scientifique à l’institut national des hautes études de la sécurité et de la justice. Il explique le mécanisme des officines spécialisées dans la création de profils professionnels bidon, une monnaie courante dans le milieu des affaires. Une fausse identité peut appuyer la signature d’une tribune dans la presse, chercher à discréditer et à nuire à un adversaire ou s’attaquer à un « projet d’entreprise, tout ce qui concerne la réputation, les intentions et le passé d’un acquéreur ». Elle confère une légitimité d’expression et d’écoute. « On va maquiller une photo, créer un effet miroir, on va vous inventer un nom d’employeur, une fonction prestigieuse, académique, une fausse vie avec un profil Linkedin, qui va mentionner des diplômes universitaires, une densité sociale qui va donner crédit à votre prise de position. »
Des algorithmes et labels en guise de certification
Ces faux profils et commentaires sont considérés d’un point de vue juridique comme de la « publicité déguisée ». Les entreprises délèguent la chasse aux faux à des algorithmes de reconnaissance, un système de traitement automatique dont l’apprentissage a été calqué à partir d’analyses de vrais utilisateurs. Les programmes sont dotés d’une intelligence pour déceler des profils anormaux qui présentent des centres d’intérêts disparates, la pratique discontinue de plusieurs langues, ou l’utilisation fréquente de superlatifs dans les commentaires. Des indicateurs qui trahissent généralement la véritable identité du compte.
Pour lutter efficacement contre ce déluge de faux avis, l’Association française de normalisation, la Afnor, propose un label qui vise à certifier l’authenticité des profils et commentaires, une norme volontariste destinée aux gestionnaires des sites. Ce label se présente comme un catalogue d’exigences formulées par la Afnor auxquelles les sites doivent se conformer: la présentation, la gestion et modération des avis. Leur publication doit être « modérée« , les avis les positifs ne doivent pas être mis en avant au détriment des négatifs.
D’autres sites tendent à cette labélisation pour garantir l’authenticité de leurs commentaires et conserver une publicité véridique. Par exemple, Tripadvisor réclame des pièces justificatives d’achat ou d’expérience pour accepter et légitimer les avis de leurs internautes.
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