Charlotte Rampling se dévoile dans un livre poétique et inclassable. Ni récit ni autobiographie, un texte d’un troisième type qui renouvelle le genre des mémoires de stars.
C’est un texte qui ne ressemble à aucun autre. Une énigme, posée comme telle dès la première page. “Mais je ne sais plus ce que c’est, ce livre (…) Qui je suis : ni une biographie, ni un chant, ni une trahison, à peine un roman – disons une ballade, comme on fredonne la ballade des dames du temps jadis.” Avec tout ce que ce fredonnement peut avoir de laconique et d’évanescent.
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Dans Qui je suis, écrit avec l’éditeur et romancier Christophe Bataille, Charlotte Rampling se livre sans se dévoiler, se raconte par fragments. Sans prétendre l’élucider, les mots évasifs et poétiques saisissent le mystère de l’actrice, celui qui reste enclos dans son regard transparent à l’abri de ses paupières basses.
Ce regard absent, presque abstrait, qui fascina Visconti, Allen, Chéreau et Oshima. La voix de Rampling et celle de Bataille s’entremêlent. Ebauches de dialogues, esquisses de récit. Quelques photos en noir et blanc. Et entre les lignes, entre les murmures, le silence. Des fantômes et des secrets.
Avec ce livre inclassable, on est très loin des “tell-all books”, ces biographies à l’américaine qui traquent la moindre parcelle d’intimité des stars et se complaisent dans le sensationnalisme, entre scoops graveleux et détails croustillants. Des best-sellers assurés outre-Atlantique. Etrangement, ce type de projet a un temps été envisagé pour Charlotte Rampling, apprend-on dans Qui je suis : “(…) votre biographie officielle est rédigée par une journaliste américaine, talentueuse, redoutée (…) Vous souriez. Vos ‘mémoires de star’ ne seront jamais publiés. Dès les premières pages reçues, vous avez tout arrêté : ces détails, ces anecdotes, ce rien.”
Unique et iconoclaste
Au trop-plein qui ne dit rien, la comédienne a préféré l’épure qui délivre l’essentiel : son père, colonel de l’armée britannique et champion olympique en 1936 ; sa mère, héroïne fitzgéraldienne dont Charlotte Rampling a dû racheter les journaux intimes à des brocanteurs parce que son père les avaient abandonnés sur un trottoir ; et surtout sa sœur Sarah, avec qui elle s’était lancée dans le music-hall et dont il a longtemps fallu taire le suicide.
Unique et iconoclaste, Qui je suis s’inscrit pourtant dans une tendance qui voit les mémoires de célébrités passer de genre ringard, voire vulgaire, à un véritable exercice littéraire. En 2010, la chanteuse Patti Smith a donné le ton avec son très beau Just Kids, récit sur ses débuts new-yorkais qui relevait davantage du roman d’initiation que de l’autobiographie. Récemment, Suivez mon regard d’Anjelica Huston pouvait se lire autant comme l’itinéraire de l’actrice que comme la peinture du Hollywood des seventies.
Gravité et mystère
Des livres qui ne sont plus formatés, mais au contraire le reflet d’une personnalité. Une incarnation. Charlotte Rampling habite Qui je suis comme elle habite ses rôles. Avec gravité et mystère. “Nos pages ? La forme la plus juste. Des mots, des images. Un ou deux secrets.” Le reste n’appartient qu’à elle.
Qui je suis de Charlotte Rampling, avec Christophe Bataille (Grasset), 120 pages, 15 €
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