Tué la semaine dernière dans la nuit du mercredi 16 au jeudi 17 août, Wayne Lotter a payé de sa vie la lutte contre le braconnage. Portrait d’une figure dévouée à la protection de la faune africaine.
Célèbre protecteur des pachydermes, Wayne Lotter a été assassiné la semaine dernière alors qu’il se rendait de l’aéroport à son hôtel. Dans le quartier huppé de Masaki, à Dar-es-Salaam (capitale économique de la Tanzanie), un véhicule a stoppé son taxi. Deux hommes armés en sont sortis et l’ont abattu. L’enquête n’a pas encore établi de lien entre les causes de son meurtre et la profession de Wayne Lotter.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Agé de 51 ans, il était marié et père de deux filles. « Il avait plus de vingt ans d’expérience et était le moteur de la lutte contre le massacre sans scrupule des éléphants en Tanzanie », écrit Azzedine Downes, directeur du Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) sur le site de l’organisation.
Tragic loss of wildlife conservation hero & investigator Wayne Lotter of @PAMSFoundation. Shot dead in Tanzania.https://t.co/GMNC55OZnP pic.twitter.com/aF7SYRlYrX
— ifaw (@ifawglobal) August 17, 2017
Une jeunesse parmi les rangers
Wayne Lotter est né le 4 décembre 1965 à Johannesburg (Afrique du Sud). Il occupe successivement plusieurs postes de garde (ranger) dans son pays natal, notamment dans le parc national Kruger, la plus grande réserve animalière sud-africaine. Membre de différents conseils d’administrationd’associations de défense des animaux, il devient vice-président de la Fédération internationale des rangers (IRF).
En 2006, il rejoint la Tanzanie et s’associe à Krissie Clark et Ally Namangaya trois ans plus tard pour fonder la Protected Area Management Solutions (Pams). Une organisation dévouée à la protection de la faune africaine et la lutte contre la braconnage.
A plusieurs reprise, Wayne Lotter évoque les menaces qui pèsent sur lui. Dans le cadre d’un article du Times consacré aux dangers du métier de ranger, Lotter se confie : “Plus on traque les braconniers, plus les situations de confrontations entre gardes et braconniers surviennent. Il y a forcément des risques.”
Comment fonctionne la Pams ?
Au cours des années 1990, la Tanzanie était un exemple en matière de conservation, période à laquelle la population d’éléphants s’est stabilisée autour de 150 000. Mais les années 2000 ont marqué la résurgence du trafic d’ivoire, tout particulièrement à destination de la Chine. En cinq ans, la Tanzanie perd plus de la moitié de ses éléphants, passant de 109 000 à 43 000 selon une étude de l’Institut de recherche tanzanien de la faune en partenariat avec l’Association zoologique de Francfort, une ONG allemande.
La Pams finance directement l’Unité tanzanienne d’investigation sur les crimes nationaux et internationaux (NTSCIU), fondée en 1998 à la suite des attentats d’Al-Qaida contre l’ambassade américaine de Dar-el-Salaam. Depuis novembre 2014, cette unité d’élite se charge également de traquer et démanteler les réseaux de braconnage qui sévissent dans la région. Chaque intervention solde plusieurs mois d’investigation pour identifier, surveiller les suspects avant de procéder à leur arrestation, et épargner les victimes collatérales.
La Pams assure également un travail important de sensibilisation sur le terrain. L’organisation forme des rangers dans les populations locales, travaille avec les agriculteurs pour préserver la faune. « La pédagogie est essentielle« , explique auprès du Monde Michel Lanfrey, directeur d’Askari Maritime Logistics, une compagnie de sécurité privé spécialisée dans la lutte contre le braconnage consultante pour la NTSCIU.
« Au-delà des grands criminels, nous rencontrons aussi des villageois qui tuent des éléphants pour faire vivre leur famille. Quand on leur explique qu’ils ont reçu 5 euros par kilo d’ivoire alors que ce dernier se vend 2 000 euros sur le marché noir, ils comprennent qu’ils se sont fait avoir et deviennent des informateurs sur les braconniers, leurs complices et leurs financeurs. »
La Tanzanie, modèle de la lutte contre le braconnage
Grâce au financement de la Pams, le succès de la NTSCIU est au rendez-vous. En trois ans, l’unité a arrêté près de 1 400 braconniers dont plusieurs grandes figures du trafic d’ivoire. Yang Feng Glan, surnommée la « Reine de l’ivoire », risque en ce moment 30 années de prison en Tanzanie pour avoir géré un trafic d’ivoire à destination de la Chine pendant près de quatorze ans. L’un de ses principaux fournisseurs, Boniface Matthew Mariango, a également été arrêté par la NTSCIU. Surnommé le « Diable », ce trafiquant d’ivoire était l’un des plus recherché du pays, à la tête de 15 filières de braconniers opérant en Tanzanie, au Burundi, au Kenya et au Mozambique. Il a été condamné à 12 années de prison.
Depuis 2014, la Pams a noté une réduction du braconnage en Tanzanie. De petite taille, l’association qui ne compte que 36 salariés doit son succès à la mise en place d’un nouveau modèle de financement, indépendant du gouvernement tanzanien. « Ces vingt dernières années, des millions de dollars ont été versés pour la conservation sans aucun résultat », expliquait Wayne Lotter au Monde fin 2015. « La différence ici, c’est que l’argent est directement injecté à la NTSCIU qui, de son côté a un vrai plan d’attaque pour endiguer le braconnage. »
L’organisation revendique aujourd’hui le bilan suivant : 32 000 éléphants et 7 000 girafes sous protections, 1 153 armes à feu confisquées et 1 120 enfants éduqués.
Combat d’un héros
« Si ce meurtre lâche était une tentative pour mettre un terme au travail de la Fondation Pams, elle n’aboutira pas« , écrit la primatologue Jane Goodall dans un hommage publié sur son blog : « Se rappeler un ami et un héros de la vie sauvage« . Et le terme n’a de cesse que d’être repris.
Krissie Clark, cofondatrice de Pams, le désigne comme tel et regrette la perte d’un « meilleur ami ». National Geographic rapporte les paroles du Dr Hayley Adams, directrice de la Silent Heroes Foundation, une association de protection de la faune africaine, déclare :
“Wayne était un homme bon et humble, avec un grand sens de l’humour malgré la gravité de son travail, et un charme capable de mettre n’importe qui à l’aise. […] Je l’admirais pour sa capacité à suivre sa passion, avec un courage que la plupart d’entre nous ne voyons que dans les films, malgré les dangers auxquels il faisait face quotidiennement.”
Hommage à Wayne Lotter dont l'assassinat allonge tragiquement la liste des martyrs hérauts de l'écologie. https://t.co/bLxQm9DelL
— Nicolas Hulot (@N_Hulot) August 20, 2017
Cet événement tragique renvoie aux différents noms des militants assassinés pour leur amour de la nature, notamment celui la primatologue Dian Fossey, « amie des grands singes » tuée en 1985. Digne d’un héros de Romain Gary, Wayne Lotter laisse derrière lui un héritage puissant. « La lutte continue« , déclare sa collègue et amie, Krissie Clark.
Hommage à Wayne Lotter, défenseur des éléphants, assassiné en Tanzanie. Le dessin dans Le Monde de ce lundi 21 août. pic.twitter.com/w7pRe9bnnl
— PLANTU Officiel (@plantu) August 21, 2017
{"type":"Banniere-Basse"}