« Personne ne va développer l’Afrique à notre place ». L’homme qui parle ainsi, c’est Tony Elumelu. Le milliardaire nigérian y croit dur comme fer : le XXIe siècle sera celui de l’Afrique. Et – surtout – celui du marché.
Il est l’un des visages du nouveau capitalisme africain. A 54 ans, Tony Elumelu possède une fortune personnelle classée à la 26e place du continent. Et entend bien être l’un des moteurs du développement en Afrique. Pour ce faire, le businessman prône « l’africapitalisme », une doctrine économique et sociétale fondée sur l’action du secteur privé, par l’investissement et la philanthropie. Un libéralisme à la fois éthique et pragmatique, entre utopie libérale et réelles perspectives de développement. A l’occasion d’un reportage très fourni sur les pionniers du « black business » publié ce mois-ci dans le Monde Diplomatique, le journaliste Olivier Piot l’a rencontré.
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Une success story nigériane
Comme celle de tout entrepreneur qui se respecte, l’histoire personnelle de M. Tony Onyemaechi Elumelu est une success story. Enfant de la classe moyenne nigériane, fils d’une mère restauratrice et d’un père travaillant dans la construction, il se présente comme un self-made men. Après un diplôme d’économie, il construit son succès à coup d’investissements fructueux dans le domaine bancaire. En 1997, il convainc ainsi un groupe d’investisseurs de reprendre la Crystal Bank, petite groupe étatique en manque de souffle, qui deviendra en cinq ans une des plus importantes banques nigérianes.
Aujourd’hui directeur de la UBA, « United Bank for Africa », l’une des plus importantes banques d’Afrique, il est aussi à la tête du conglomérat Transcorp, la plus grosse entreprise côtée à la Bourse de Lagos, et du fond d’investissement Heirs Holding, implanté dans les secteurs de l’hôtellerie, l’énergie, ou encore l’agrobusiness. En 2015, le magazine américain Forbes le classait parmi les 20 personnalités les plus puissantes du continent africain.
Un milliardaire philanthrope
Fort de son succès, Tony Elumelu se rêve désormais en Bill Gates africain. En 2010, il fonde la Fondation Tony Elumelu, dont l’ambition affichée est de soutenir les jeunes entrepreneurs africains. Ce programme d’entreprenariat prévoit un investissement de 100 millions de dollars sur 10 ans et apporte son soutien à 1000 entrepreneurs africains par an. Si les bénéficiaires sont pour le moment surtout des nigérians et des africains anglophones (on ne compte que 10% de francophones), il est ouvert à tous les jeunes entrepreneurs du continent.
It’s been 7 years creating a legacy, changing mindsets and empowering a generation through @TonyElumeluFDN https://t.co/OIBCSNqFR5 #TEFat7 pic.twitter.com/XXfKvE34hN
— Tony O. Elumelu, CFR (@TonyOElumelu) November 3, 2017
Dans une interview accordée au Point en 2016, Tony Elumelu présentait son projet en ces termes :
« Nous manquons d’entrepreneurs en Afrique. Les jeunes ont des idées, mais ils n’ont souvent ni la formation, ni le capital pour démarrer, ni les mentors pour les guider. Alors, je me suis dit que cela serait une excellente idée d’aider ces jeunes. Étant un entrepreneur qui possède le savoir-faire technique et l’expérience, j’ai décidé de former les autres. »
L’africapitalisme, nouveau rêve africain ?
Si Tony Elumelu parie sur les entrepreneurs de demain, c’est qu’au prisme de l’africapitalisme, il voit en eux l’avenir du continent. Africapitalisme. Ce drôle de mot-valise inventé par Tony Elumelu lui-même traduit une certitude, celle des vertus du secteur privé dans le développement économique du continent africain. Dans un texte publié en 2010 et intitulé Africapitalisme : le chemin de la prospérité économique et sociale, il développe son projet économique et sociétal, décliné en deux versants : l’engagement du secteur privé d’une part, la philanthropie des grandes fortunes de l’autre. Les tenants de l’africapitalisme prônent ainsi l’engagement des acteurs privés dans le développement du continent africain, au travers d’investissements de long terme, dans des secteurs productifs comme l’énergie ou l’agriculture, et du développement des petites et moyennes entreprises.
Philanthropie donc, mais aussi pragmatisme : « les chefs d’entreprise doivent comprendre que les gains à court terme ne contribuent que peu ou pas du tout à une croissance durable« , explique-t-il. Prospérité économique et bien-être social formeraient donc à terme un cercle vertueux, dont les grandes entreprises privées seraient le moteur. Tony Elumelu appartient ainsi à cette poignée de riches hommes d’affaires africains qui depuis plusieurs années s’imposent comme de généreux donateurs. Le journaliste du Monde Diplo Olivier Piot, qui a rencontré cinq d’entre eux, insiste : « C’est vraiment une minorité. La plupart des milliardaires et millionnaires africains ne s’intéressent pas au bien public. »
A la différence de ce que l’on peut observer dans les pays anglo-saxons, il n’y a pas d’avantages fiscaux liés à la philanthropie en Afrique. « Sans être angélique, je crois que leur démarche est sincère », résume Olivier Piot. Il y a un bénéfice d’image bien sûr, mais pas uniquement : ces entrepreneurs ne sont pas des héritiers, contrairement à la grande majorité de leurs semblables en Europe. Ils ont conscience qu’un partage doit être fait, en particulier au bénéfice des nouvelles générations, pour les aider à s’inscrire dans le développement. »
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— Tony O. Elumelu, CFR (@TonyOElumelu) November 6, 2017
Ne plus se plier aux exigences de groupes étrangers, ni aux pressions d’États
Un capitalisme par l’Afrique et pour l’Afrique en somme. « Autrefois, nous avions tendance à nous reposer sur le gouvernement, à tout attendre de l’État, et à nous plier aux exigences des groupes étrangers. Cette période est révolue. Et la tendance s’inverse même », explicite Tony Elumelu. Sur le continent, développement va de pair avec émancipation. L’africapitalisme entend ainsi rééquilibrer les apports des investisseurs étrangers, afin de s’abstraire des logiques de dépendances postcoloniales. « Il y a réellement l’idée que l’Afrique a une revanche à prendre et que le développement en Afrique doit aller aux Africains« , explique Olivier Piot.
L’africapitalisme serait une sorte de panafricanisme économique ? « L’Afrique est pauvre parce qu’elle n’est pas libre« , écrivait déjà l’économiste ghanéen Georges Ayittey. Dans son premier livre Les institutions indigènes africaines, il démonte le mythe selon lequel l’Afrique d’avant la colonisation était seulement une terre de chasseurs-cueilleurs ou d’agriculteurs de subsistance. Désormais bien connue des entrepreneurs africains, son analyse soutient que le continent a derrière lui une longue tradition de commerce et de libre-circulation des biens. Un proto-libéralisme dont les entrepreneurs comme Tony Elumelu seraient les dignes héritiers.
Des états défaillants
Si le secteur privé africain a un rôle à jouer dans le développement du continent, c’est aussi car il fait face à des États défaillants. Olivier Piot confirme : »[Les philanthropes] ont une conscience assez nette de l’intérêt général, des dossiers régaliens. Face à un État qui n’a pas les moyens d’être pourvoyeur de services, ils constituent une réelle alternative ».
Ces défaillances structurelles sont due à la jeunesse relative de ces États-nations, mais aussi à des façons différentes de négocier le passé colonial. « Les dirigeants africains n’ont pas encore fait le deuil d’une redistribution des richesses venant des grandes puissances, nous explique Olivier Piot, quand ces jeunes entrepreneurs se placent, eux, dans une logique plus nette de concurrence« .
Georges Ayittey postule encore que la cause principale de la pauvreté africaine n’est pas tant l’oppression des anciennes puissances coloniales que la mauvaise gestion des dirigeants autochtones, qui étrangle les initiatives privées. Dès lors, le développement économique de l’Afrique est à penser comme une émancipation de la tutelle de l’État lui-même assujetti à de grands groupes d’intérêts étrangers. Cet affrontement entre entrepreneurs et hommes politiques en place, il le nomme : la guerre des « guépards » contre les « hippopotames ». Et Tony Elumelu, bien sûr, se rêve en félin.
« Ils vont faire mieux en cinquante ans que l’Europe en cinq siècles. »
Si l’on peut rester dubitatif quant aux effets à long terme de la doctrine africapitaliste, Olivier Piot se veut pragmatique :
« L’Afrique est le dernier continent à entrer dans le capitalisme, et il y entre avec une histoire et une culture qui lui est propre. Il n’y a pas un seul modèle de capitalisme, mais différentes variations selon les régions, il n’est donc pas tout à fait absurde de penser un modèle de capitalisme spécifiquement africain. »
Toute l’idéologie de l’africapitalisme repose sur la théorie bien connue du ruissellement, selon laquelle l’enrichissement d’une élite profite à toute la société, grâce à l’investissement. Défendue aussi par les libéraux européens (elle a été cité par le président Emmanuel Macron pour justifier une baisse de taxation des grandes fortunes), elle serait particulièrement opérante en Afrique, en raison d’une tradition culturelle de solidarité économique. Le désir d’enrichissement personnel y serait toujours moins fort que le patriotisme économique, et la volonté de faire profiter la communauté d’origine de son succès. Olivier Piot tempère : « Il s’agit moins de ruissellement que de réinvestissement ici« .
« Là où ils ont raison, c’est que les pays riches ont maintenu l’Afrique dans un sous-développement pendant des siècles. Alors l’africapitalisme ne supprimera pas l’extrême pauvreté ni l’inégalité de répartition des richesses, mais il peut avoir des effets positifs à la marge, en particulier contribuer à l’émergence d’une classe moyenne.«
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