C’est le reporter qui monte sur France 5. Passé par l’école « Petit Journal », Tancrède Bonora couvre tous les sujets chauds pour « C à vous ». Portrait.
Si son visage vous est familier, rien d’anormal. Depuis 2016, ses reportages rythment les dîners cosy de C à vous entre la poire et le dessert. Tancrède Bonora est le reporter qui monte à France 5. Aux cotés de son compère Arthur Charron, de meetings en conflits sociaux, il parcourt la France à la recherche d’images fortes. En janvier dernier, son reportage à bord de l’Aquarius, le bateau de sauvetage qui vient en aide aux migrants de la Sicile aux côtes libyennes, a marqué les esprits.
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Du droit au journalisme d’investigation
Né le 1er mai 1989 aux Lilas, Tancrède Bonora était prédestiné au journalisme d’une drôle de manière. “C’est l’un des seuls jours où la presse n’est pas distribuée. Si ça n’est pas un signe…”. Si ses traits peuvent évoquer ceux d’Alain Delon dans Le Guépard, une chose est sûre : son prénom est bien une référence de ses parents au fameux chef-d’œuvre de Luchino Visconti. Son enfance tranquille, Tancrède la passe à Paris, des Lilas jusqu’aux lycées Charlemagne et Massillon. Si le journalisme le rattrape au col, c’est loin d’être son obsession. Durant cinq ans, il traîne sur les bancs de la fac de droit d’Assas. “Dès la deuxième ou troisième année ça ne me plaisait plus, j’étais frustré dans ma liberté d’écriture. J’ai continué presque par flemme. Et pour avoir accès aux écoles de journalisme, il me fallait forcément une licence”.
Tancrède Bonora intègre finalement les rangs de l’Institut français de presse (IFP) qui dépend de l’université Panthéon-Assas. “Moi qui m’étais juré de ne plus jamais retourner à Assas après le droit, c’était raté”, nous raconte-t-il en riant. Dans cette école de journalisme « de la débrouillardise » située près des jardins du Luxembourg, il marque ses camarades de promo par son assurance et son côté enjôleur.
« Tancrède était toujours bien sapé, élégant, se rappelle l’un d’eux. Le truc qui m’a marqué, c’est qu’il écoutait du rap français, un genre musical beaucoup moins gentrifié qu’aujourd’hui. Il avait passé du Kaaris en soirée. Pour moi, c’était une marque d’ouverture d’esprit ! » Le directeur de l’IFP, Jean-Baptiste Legavre, garde également un bon souvenir de son ancien poulain : « Tancrède était un passionné de littérature, et passait une partie de ses nuits à lire. J’avais toujours beaucoup de plaisir à échanger avec lui sur ses découvertes. Il avait déjà compris pas mal des codes qui permettent de s’imposer dans les médias, sans doute parce qu’il sentait les choses, peut-être aussi parce qu’il était issu d’un milieu social qui lui a beaucoup donné.”
Si le reporter de C à vous garde un bon souvenir de cette période, il estime que la formation journalistique est légèrement archaïque. “Le problème de ces écoles c’est que ça te formate pour produire des Journaux télévisés à l’ancienne, estime-t-il. Ça ne te permet pas de faire émerger ta singularité, ça crée des petits robots. Je trouve même que ça nuit à l’intelligibilité et à la compréhension de l’information, t’écoutes de manière passive, tu tiltes plus, c’est toujours le même vocabulaire”.
« Je ne rebosserai plus jamais pour l’AFP »
Passionné par l’œuvre d’Emil Cioran ou bien encore par les premiers livres de Nicolas Rey, Tancrède se rêve en grand plume. Avant l’IFP déjà, il passe trois mois au sein du pure player Slate où il écrit ses premiers articles. Le rédacteur en chef de l’époque, Johan Hufnagel, se souvient de lui comme un « journaliste vif et sympathique ». De son côté, Cécile Chalancon, ancienne chef d’édition, évoque un stagiaire motivé en forte demande d’apprentissage : « Comme il n’avait pas fait d’école de journalisme, il cherchait à comprendre les mécanismes de l’écriture ». Elle poursuit : « Je pense que sa principale qualité est d’arriver assez facilement à faire parler les gens, même ceux qui ne le connaissent pas ». Cécile se remémore notamment d’un long-format écrit par le jeune journaliste à l’époque, mêlant sa passion pour le cinéma et l’affaire DSK.
Son dada est l’écriture de portraits. Chaque jour, il dévore la dernière page de Libé. “C’est le seul endroit où tu peux te lâcher dans la forme. J’adorais lire les portraits de Luc Le Vaillant”. Après l’IFP, le jeune journaliste passe à l’AFP TV, la branche de l’agence chargée de produire les reportages télévisés pour tous les médias. “Le problème c’est que j’avais l’impression d’être la caisse de résonance du pouvoir. On ne rebondissait pas sur les propos des politiques, on les contredisait rarement. Je ne rebosserai jamais pour l’AFP, je trouve ça austère”. Rapidement, Tancrède se sent “caviardé”, “interchangeable”. “Je comprenais les contraintes du métier, mais ça me plaisait de moins en moins. Parce qu’au départ, pour moi, le journalisme c’était raconter des infos avec de la poésie”.
« Je n’ai pas hésité une seule seconde pour C à vous »
Alors que la presse française plie sous les coupes budgétaires, Tancrède bifurque vers la télévision. Tout d’abord en CDD sur Entrée libre (France 5), puis en tant que JRI au Petit Journal. Théodore Bourdeau, producteur éditorial de Quotidien, anciennement Petit Journal, raconte : « Tancrède est arrivé en 2015 au Petit Journal avec un profil hyper dynamique, ambitieux, un œil photographique aussi ».
Pour le bras droit de Yann Barthès, « Tancrède a beaucoup et bien appris à « l’école » du Petit journal : la pugnacité, le pas de côté, le punch des questions… ». Après un an sur Canal+, il est repéré par France 5 qui lui offre l’opportunité de couvrir la campagne présidentielle de 2017 pour C à vous. “Je n’ai pas hésité une seule seconde. J’aurai pu aller chez Brut mais je sentais qu’il y avait un truc à C à vous”.
Son premier sujet arrive fin août 2016 avec la démission de Macron à Bercy, à l’époque ministre de l’Economie. Il raconte : “J’avais encore les réflexes du Petit Journal : quand tout le monde est parti, ça veut dire qu’il faut rester. Tous les journalistes courent après Emmanuel Macron et moi je profite du fait que la sécu’ soit autour de lui pour aller dans un couloir et interroger ses anciennes secrétaires ». Une technique qui permet de s’adapter avec finesse au crédo de C à vous : « Juste avant nous il y a C dans l’air, avec des reportages très sérieux et carrés. Nous on arrive juste après, en émission d’infotainment. Il faut un autre angle, une complicité”.
Parmi ses reportages marquants : l’Aquarius, navire sur lequel Tancrède a passé plusieurs jours en compagnie de l’équipage d’une association qui vient en aide aux réfugiés. “J’avais tellement entendu d’horreurs sur les migrants et les réfugiés, je voulais montrer que ces personnes n’avaient pas le choix, qu’elles fuyaient leur pays et qu’elles ne venaient pas pour toucher le RSA. Même si je ne nie pas la migration économique”. Ne pouvant pas se rendre directement en Libye, le seul moyen reste l’Aquarius, bateau de l’ONG SOS Méditerranée qui part de Sicile et emmène les sauveteurs à 30 km des côtes libyennes. Par beau temps, il est possible de récupérer cinq cents personnes par jour. “La Libye, c’est la cage de l’enfer. Les mecs préfèrent mourir en mer avec l’Europe à l’horizon que rester là-bas. Les passeurs leur disent qu’en 7 heures ils seront en Italie, mais nous avec un énorme bateau on met 48H. Aucun bateau pneumatique n’a réussi à rejoindre l’Italie”.
Après la Méditerranée, Tancrède Bonora s’envole vers la Russie pour évoquer le sort tragique des homosexuels traqués par le pouvoir. “Ça n’a pas été facile, les Russes sont soit timides soit refusent de parler. C’est ancré dans leur tête que nous sommes des ennemis. Une fille a accepté de nous laisser l’accompagner coller des tracts sur les immeubles la nuit, le seul moyen qu’il reste de s’opposer politiquement”. Bilan : des reportages passionnants mais éreintants.
Les pays étrangers, Tancrède les côtoie depuis sa petite enfance. “J’ai eu la chance de pas mal voyager avec mes parents quand j’étais petit : Birmanie, Chine, Namibie, Brésil, Afrique du Sud…” Et il reconnaît l’impact du voyage sur son évolution. “L’année dernière, en enchaînant les meetings du Front National, j’ai réalisé qu’au départ ces personnes n’étaient même pas racistes, ils ont avant tout peur de l’étranger car ils ne le connaissent pas”
Ses parents, tous deux publicitaires dans le milieu du cinéma, ne lui ont pas seulement donné goût au voyage mais également du cinéma. “Je suis un fan absolu de la Nouvelle Vague, je suis nostalgique d’une période que je n’ai pas connue. Quand j’étais à Assas je m’ennuyais tellement que je me tapais tous les films de La Nouvelle Vague au Grand action quand il n’y avait personne l’après-midi, ce sont les meilleures séances”. Avant d’ajouter en riant : “Parfois j’ai un peu honte de dire que je suis fan de la Nouvelle Vague, ça fait cliché du Parisien bobo qui adore les meufs à béret…”
Une relation tendue avec Mélenchon
Comme tout reporter, Tancrède Bonora est en première ligne face aux politiques. Et ses déclarations arrachées à la volée génèrent fatalement quelques tensions. Pour le vérifier, il suffit de taper son nom sur Google actualités : “Un journaliste de France 5 écarté après avoir filmé une manifestation des Insoumis” selon 20 min, “Un reporter de C à vous blacklisté et mis à l’écart lors du déplacement d’Emmanuel Macron à Lille” selon Gala… “Je me suis fait engueuler par tout le monde, je suis tranquille” préfère ironiser Tancrède.
Au palmarès des clashs, on retrouve Laurent Wauquiez, Emmanuel Macron, mais surtout Jean-Luc Mélenchon. “Jean-Luc Mélenchon a un tropisme anti-média, son fonds de commerce c’est de taper dessus. Il dit d’ailleurs que la haine des médias est saine. Quand il me traite de sale con et d’hyène, honnêtement je trouve que ce n’est pas à la hauteur d’un homme qui veut diriger le pays. Tu ne peux pas prétendre au plus haut poste de l’Etat avec ce comportement”.
VIDEO – "Vous les médias, vous faites un travail de merde. Vous salissez les grévistes…" Jean-Luc Mélenchon s'en prend à un journalistehttps://t.co/UIAs6PDj7p pic.twitter.com/0xW8Ltf06v
— BFMTV (@BFMTV) April 3, 2018
Selon Tancrède, la défiance anti-médias s’est généralisée. “Quand je fais un sujet sur Macron on dit que je suis macroniste, quand je fais un sujet sur Mélenchon je suis anti-Macron et quand je fais un tweet sur la droite je suis d’extrême gauche”. Or, s’il avoue avoir une sensibilité politique, il ne se reconnaît aucune opinion politique tranchée. “Je n’ai même pas voté cette année ! J’ai couvert toute la campagne présidentielle donc je voulais être totalement objectif. A C à vous on est très peu nombreux, on suit tous les partis politiques, ça ne crée aucun affect avec les candidats. On n’est pas tout le temps avec eux dans les bus, dans les cars. Ne pas faire de off me permet d’avoir cette digue et ce cordon sanitaire entre eux et moi.”
Quand on lui demande s’il rêve d’interviewer une personnalité en particulier, Tancrède reste songeur avant de prendre un air détaché. “Je ne suis pas du tout fanboy, jamais je n’irai prendre un selfie sur le plateau. L’aspect fan me dérange.” Et lorsqu’on évoque la trajectoire d’Hugo Clément, reporter devenu star sur les réseaux sociaux, Tancrède se montre plutôt admiratif : « Il est certes starifié mais il a réussi à se créer une communauté. Il a plus de followers que Quotidien aujourd’hui. Il est devenu sa propre émission. On peut lui reprocher qu’il a personnalisé l’info, sauf qu’il arrive à faire passer l’info qu’il veut à 500 000 personnes, et un journaliste c’est fait pour ça… ». En espérant toutefois que l’on ne connaisse jamais ce que Tancrède Bonora commande chez Deliveroo…
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