[Mise à jour du 3 février 2016] Le libertarien Rand Paul, qui représente un courant minoritaire à droite, a annoncé qu’il se retirait de la course à l’investiture républicaine en vue des élections présidentielles américianes de 2016. Pro-légalisation de la marijuana, anti-armement de la police, anti-Patriot Act mais aussi anti-avortement et mariage gay : qui est ce sénateur qui pose torse nu sur du heavy metal dans ses spots de campagne?
La NSA n’a plus le droit de collecter des données de connexions des citoyens américains, et c’est en partie sa faute. Rand Paul, sénateur républicain de 52 ans, est parvenu à ses fins dimanche 31 mai en bloquant le renouvellement du Patriot Act, loi très controversée en vigueur depuis octobre 2001 aux Etats-Unis. Elle permet aux services de renseignements, dont l’incontournable NSA, de collecter massivement des données informatiques détenues par des particuliers ou des entreprises.
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Tous les quatre ans, le Patriot Act doit être renouvelé par un vote du Congrès. Mais ce dimanche, Rand Paul, fervent défenseur des libertés individuelles, a décidé d’empêcher le Sénat de voter sur ce texte en utilisant la vieille technique du « filibuster », qui consiste à monopoliser la parole jusqu’à ce que la séance soit levée. Il a tenu 10 heures et 30 minutes à la barre à parler sans discontinuer. En remplacement du Patriot Act sera sans doute votée, dans la semaine qui vient, une nouvelle loi qui ré-autorise la surveillance des citoyens américains par la NSA (le « Freedom Act ») mais pendant quelques jours, les services de renseignement n’ont plus le droit de collecter massivement des données.
Rand Paul contre Obama, le « liseur d’emails »
« Il n’y a aucune raison valable pour qu’un élu, à commencer par le Sénateur Rand Paul, agisse de manière aussi imprudente« , s’est emportée l’éditorialiste conservatrice du Washington Post Jennifer Rubin le 1er juin. En choisissant délibérément de se battre contre une loi qu’une partie des Républicains souhaitait voir renouveler, Rand Paul s’est également mis à dos des élus de son propre camp. « Les gens ici à Washington pensent que je commets une grosse erreur« , a déclaré l’intéressé le 31 mai au soir. « Je pense même que certains d’entre eux espèrent secrètement qu’il y ait une attaque sur les Etats-Unis pour qu’ils puissent dire que c’est de ma faute. »
C’est dans sa nature, Rand Paul ne fait pas dans la nuance. C’est d’ailleurs ce qu’ont dû se dire les Américains qui ont découvert le spot publicitaire hallucinant « Sunday. Sunday. Sunday » du sénateur, diffusé le 30 mai dernier. Il s’y met en scène comme l’homme qui va se battre pour les libertés individuelles et contre Obama « le liseur d’emails ». Explosions, bande-son de heavy metal, aigle qui crache du feu et Rand Paul torse nu devant un drapeau américain, aucune marque de mauvais goût n’a été évitée.
Cette curieuse vidéo a été financée par son Super PAC (America’s Liberty Pac), une organisation privée dont dispose chaque candidat aux primaires républicaines et démocrates et qui permet de financer des campagnes sans limiter les montants des donations. Car Rand Paul n’est pas juste un élu qui aime rester debout pendant 10 heures devant le Sénat, il est aussi l’un des candidats officiels déclarés (avec entre autre Jeb Bush, Marco Rubio, Ted Cruz) qui vise l’investiture du parti républicain en vue de l’élection présidentielle de 2016.
« Ce genre de clip est surtout lié à la question des jeunes. Il y a clairement une volonté de rajeunissement, d’opposition à l’establishment« , nous explique Emily Paulsrud, doctorante de Sciences Po spécialisée dans les positionnements des candidats dans les campagnes des primaires républicaines. « Si on regarde son site de campagne, dans la partie ‘boutique’, il y a des choses très humoristiques, pour essayer de le rendre aimable auprès des jeunes. » Pour preuve: on y trouve aussi bien un t-shirt « la NSA sait que j’ai acheté ce T-shirt » qu’un disque dur externe « Hillary Clinton » garanti « parfaitement vide » en référence à des emails que la candidate démocrate à l’élection présidentielle a effacés alors qu’elle devait les remettre aux autorités pour enquête.
Le courant libertarien au cœur de son engagement politique
Pour saisir les positions de Rand Paul, il faut se tourner vers son courant politique. Le sénateur a beau être membre du parti républicain, il est avant tout un libertarien. « Si vous n’êtes pas familier avec le terme libertarien, c’est comme un républicain qu’il faut en plus bloquer sur Twitter », avait asséné l’humoriste Cecily Strong lors de son discours mordant au traditionnel dîner des correspondants à la Maison-Blanche.
« Il représente un courant libertarien sur trois volets. Le volet politique (il veut un rôle réduit de l’état, peu d’impôt), le volet économique (il veut que seule la loi du marché règne où avec l’opposition entre offre et demande sans intervention), et le troisième volet où il se pose en défenseur des libertés individuelles », analyse Anne Deysine*, professeure et juriste spécialiste des questions politiques et juridiques aux États-Unis interrogée par les Inrocks.
Ce sont ses positions libertariennes, héritées de son père Ron Paul, qui lui ont valu d’être élu sénateur pour la première fois en 2010 sous la bannière du Tea Party, un mouvement opposé à l’Etat fédéral et aux impôts. Aujourd’hui pourtant, Rand Paul en fait rarement mention:
« Rand Paul a été porté au sénat sur la vague du Tea Party, qui s’est construit en opposition à l’élection d’Obama en 2008. Aujourd’hui il n’en parle plus beaucoup, parce que le Tea Party ce n’est plus porteur. Il était très puissant entre 2009 et 2011, mais maintenant on s’est rendus compte que tout ce qu’ils savent faire, c’est dire non, bloquer les propositions », continue Anne Deysine.
Se détacher de l’héritage du père
S’il repousse le Tea Party, le sénateur du Kentucky s’éloigne également du poids de ce père beaucoup plus connu, deux fois candidats à l’investiture du Parti républicain (2008 et 2012) et figure du libertarianisme depuis quarante ans. « Ron Paul avait des positions libertariennes fortes et c’est ce qui l’a empêché d’aller loin. Si Rand Paul veut briguer l’investiture républicaine, il doit se détacher du père« , nous confie Nicole Bacharan*, historienne spécialiste des Etats-Unis.
Si Ron Paul voulait avant tout influencer le débat et peser pour ses idées, son fils espère vraiment obtenir l’investiture républicaine début 2016. Pour conquérir les jeunes, il s’est affiché pour la légalisation de la marijuana. Pour gagner les voix des Hispaniques et des Afro-américains, il a annoncé vouloir « démilitariser » la police qui disposerait selon lui d’un arsenal qui l’apparente à une « petite armée ».
A l’inverse, son combat contre le renouvellement du Patriot Act lui a valu les foudres de la frange sécuritaire des Républicains. Pour apaiser la droite, il se dit alors « anti-mariage gay » et « pro-life », une hyperbole qui signifie que comme la majorité des Républicains aujourd’hui, il est contre l’avortement, affirmant que « la vie humaine commence à la conception« . Des positions qui ressemblent plus à des postures obligatoires que des réelles convictions, d’après Nicole Bacharan.
« Il s’exprime sur ces sujets, pour rassurer les conservateurs, mais on a du mal à le croire convaincu de ce qu’il dit. Sur le plan social, il est plutôt partisan de laisser chaque Etat choisir. Ce qui revient à valider l’idée du mariage [homosexuel]. »
Un manque d’expérience qu’il veut tourner à son avantage
A 52 ans, Rand Paul fait figure de « jeune » dans le paysage politique américain. Mais à côté de Ted Cruz et Marco Rubio (44 ans tous les deux), il ne peut pas utiliser son âge comme un atout. Ses opposants lui assènent d’ailleurs souvent qu’il n’a que peu d’expérience en politique, car avant d’être élu en 2010, Rand Paul était ophtalmologue. Cela lui permet de jouer la carte de l’anti-establishment:
« Pour faire jouer son manque d‘expérience en sa faveur, il affirme qu’il n’est pas pollué par des années au pouvoir, qu’il a un regard nouveau. Il veut montrer qu’il est plus société civile que politicien de carrière », explique Anne Deysine.
Le fils Paul n’est pourtant pas un débutant. Il s’est engagé aux côtés de son père depuis « qu’il est tout jeune« , affirme Emily Paulsrud. « A l’université, il faisait partie d’un groupe politique conservateur, et depuis ces années-là il a participé à toutes les campagnes de Ron Paul. Il est médecin, mais a toujours été actif politiquement. En soutien à son père il a aussi créé un groupe anti-taxes dans le Kentucky… Il a un implantation très forte dans les réseaux libertariens, depuis toujours. »
Pour l’instant, tous s’accordent à dire que le sénateur a peu de chances de se voir investi par le camp républicain face à des machines politiques comme Jeb Bush, frère de George W., qui dispose d’un immense capital et du réseau de sa famille. « Rand Paul a repris le flambeau familial qui consiste traditionnellement à ne pas être élu« , avait osé l’actrice Cecily Strong sous les rires faussement indignés de l’assistance. En tout cas, son coup d’éclat au Sénat avec le Patriot Act a montré il ne concèdera pas le match sans s’être battu jusqu’au dernier moment.
Marie Turcan
* Anne Deysine, La Cour suprême des Etats-Unis (Dalloz), avril 2015
* Nicole Bacharan avec Dominique Simonnet, Les Secrets de la Maison Blanche (Perrin), septembre 2014
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