Avocate pour les droits de l’homme, la missionnaire senior Patricia Fox est devenue une figure de la résistance à Rodrigo Duterte, Président des Philippines et dictateur en herbe.
Aux Philippines, une fluette religieuse de 71 ans, au visage ridé et au grand sourire peut être arrêtée et emprisonnée par la police, sans que ce soit un canular. Mi-avril, la nonne australienne Patricia Fox a passé une nuit au poste de police de Manille, après avoir été accusée d’« activité politique partisane » par le président des Philippines lui-même, l’autoritaire Rodrigo Duterte. Son visa de missionnaire lui a alors été retiré par le bureau de l’immigration, lui laissant trente jours pour quitter le pays.
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Mais « Sœur Patricia » est tenace et déterminée, et avait juré : « Je ne monterai pas dans [l’]avion [me ramenant en Australie] ». Alors qu’il ne lui restait que quelques jours dans l’archipel, elle a fait appel de la décision d’annuler son visa, pour illégalité. Avec succès, puisque le département de la justice lui a remis ce lundi 18 juin son visa de missionnaire, au dernier moment. Elle peut rester aux Philippines.
Un grand soulagement pour Patricia Fox, qui vit à Manille depuis 1990 et parle couramment le filipino. Avant son arrestation, elle exerçait son activité de missionnaire sans être connue des médias ou des Philippins, comme beaucoup d’autres religieux étrangers. Elle n’a été mise en lumière que très récemment, en avril dernier, depuis les attaques personnelles de Duterte envers elle, la traitant d’« étrangère indésirable ». Portrait de cette nonne en passe de devenir une icône de la résistance au dictateur Rodrigo Duterte.
LOOK: Sister Patricia Fox is all smiles after learning that the DOJ has reversed BI’s ruling and she can now stay in the Philippines, June 18,2018. | Philippine Daily Inquirer photo by Jam Sta. Rosa
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— Inquirer (@inquirerdotnet) June 18, 2018
(« Sœur Patricia Fox est tout sourire après avoir appris qu’elle pouvait rester aux Philippines. »)
Militante pour les droits de l’homme
Si « Sister Pat » officie depuis presque trente ans aux Philippines, les injustices et les atrocités ne s’y comptent malheureusement plus, et ne cessent de noircir son agenda. Grâce à sa formation d’avocate, cette mère supérieure de la congrégation de Notre-Dame-de-Sion aide les plus démunis et les plus marginalisés du pays, rongé par la corruption et la criminalité. Elle éduque sur leurs droits les indigènes, les fermiers dépourvus de leurs terres et les ouvriers, dont les droits sont trop souvent violés.
Sans s’impliquer dans les affaires partisanes ou dans un parti politique, cette native de la cosmopolite Melbourne est une avocate acharnée des droits de l’homme. Elle a d’ailleurs été arrêtée après avoir pris part à une enquête sur les violations des droits humains, du 6 au 9 avril 2018, sur l’île de Mindanao – paralysée par une loi martiale depuis mai 2017, après des attentats islamistes. « Ça fait partie de notre mission de missionnaires de dire la vérité », avait-t-elle déclaré.
Là-bas, Fox a découvert de quoi attiser l’ire de Duterte. Des fermiers et des communautés indigènes ont été contraints par l’armée d’abandonner leurs exploitations, pour y laisser place à des entreprises d’exploitation minière. Ceux ne voulant pas laisser leur terre ont été tués par des soldats (plus de 100 meurtres de fermiers ont été répertoriés sous Duterte), tandis que près de 400 familles ont été spoliées de leurs champs.
Mais le rapport ayant suivi cette enquête n’a jamais été publié et Patricia Fox a été arrêtée à son retour de Manille, accusée à tort d’avoir participé à des manifestations antigouvernementales. En bonne humanitaire, elle avait assisté à une conférence de presse de travailleurs demandant de meilleures conditions de travail. Elle avait aussi rencontré à Mindanao des prisonniers politiques, priant et jeûnant pour leur libération.
Sr. Pat Fox is no criminal or undesirable alien. She has long worked with poor farmers in the Philippines. We condemn her unjust detention and the deportation proceedings against her. Why is there a war on foreigners showing solidarity with Filipinos? pic.twitter.com/P7Ur43m44f
— Renato Reyes, Jr. (@natoreyes) April 16, 2018
(« Sœur Patricia Fox n’est pas une criminelle ou une étrangère indésirable. Elle a longtemps travaillé pour les fermiers pauvres aux Philippines. Nous condamnons sa détention injuste et la procédure de déportation engagée contre elle. Pourquoi y a-t-il une guerre contre les étrangers solidaires des Philippins ? »)
Une culture du meurtre et de la peur
Même si elle peut continuer à exercer ses activités de missionnaire, la vie de Patricia Fox est toujours menacée. L’archipel des Philippines est le seul pays catholique d’Asie du Sud-Est (près de 90 % des 103 millions de Philippins sont catholiques), mais Duterte ne cache pas son hostilité envers l’Église, par peur de son contre-pouvoir. Dans cette République fantoche, la peur du meurtre est devenue légion. Trois prêtres ont été assassinés au cours des six derniers mois, par des assaillants masqués. Tous les trois étaient connus pour critiquer les abus de pouvoir de l’État, à l’image de Patricia Fox. Pendant la dictature de Marcos (1965 – 1986), les missionnaires étaient aussi régulièrement la cible des militaires.
L’enquête policière menée sur Sœur Patricia a ainsi sonné comme un rappel à l’ordre, pour tous les humanitaires et/ou catholiques du pays. « Patricia Fox a une sacrée personnalité mais ce n’est pas un va-t-en-guerre, a certifié à La Croix le père Holzer, installé à Manille depuis douze ans. Son avis d’expulsion est clairement un avertissement pour ceux qui, parmi les ressortissants étrangers et l’Église catholique, s’exposent le plus : ‘Ne vous mêlez pas de nos affaires' ». D’autres critiques de Duterte ont d’ailleurs été « menacés, congédiés, expulsés, emprisonnés ou ont rencontré des problèmes légaux », nous précise Maria Ela L. Atienza, professeure de science politique à l’université des Philippines Diliman.
Depuis l’accession au pouvoir de Duterte « le Punisseur » en 2016, plus de 20 000 civils ont été tués aux Philippines, au nom de la « guerre contre les drogues » ordonnée par Duterte lui-même. Le shabu (une méthamphétamine) y est une substance très consommée dans les bidonvilles, surnommée la « cocaïne du pauvre ». Pour éradiquer les drogues, Duterte a décidé non pas de s’attaquer aux industriels, mais aux petits trafiquants de drogue des rues et aux toxicomanes présumés, abattus en pleine rue par des agents de l’Etat, en toute illégalité.
“Hitler a massacré trois millions de Juifs (sic), maintenant il y a trois millions d’accros à la drogue aux Philippines. Je serais heureux de tous les massacrer, jusqu’au dernier”, a assuré Duterte en 2016, comparant sa campagne contre les drogues à l’Holocauste.
Comme sous la dictature de Marcos, le clergé philippin s’est publiquement opposé au gouvernement, devenant le protecteur des familles des victimes, réfugiées dans des églises et des couvents. En plus d’assurer qu’il tuerait ses propres enfants s’ils consommaient de la drogue, Duterte a encouragé la police à s’attaquer aux avocats des droits de l’homme, enjoignant : « S’ils font obstacle à la justice, vous les tuez ». Pendant sa campagne présidentielle, il avait ainsi promis de « remplir les morgues » du pays. Nous espérons que la maison que Patricia Fox partage avec six Sœurs dans la banlieue de Manille est bien protégée.
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