Âgé de 93 ans, l’ex-comptable du camp de concentration est jugé à Lunebourg. Que sait-on de ce second couteau de la machine d’extermination ?
Aujourd’hui, il présente la mine d’un vieillard de 93 ans comme les autres : affaibli, les cheveux blancs, des lunettes dorées, le dos courbé et un déambulateur pour viatique. Il y a 70 ans, Oskar Gröning était pourtant un engrenage du camp d’Auschwitz. En 2005, le Spiegel, qui l’avait suivi pendant deux jours, l’avait surnommé « le comptable d’Auschwitz », en raison de son rôle dans la machine concentrationnaire. Sa mission consistait en effet à réquisitionner les effets personnels des déportés à leur arrivée sur la rampe de sélection, puis à récupérer l’argent, qu’il comptait et envoyait à Berlin. Il comparaît pour « complicité de meurtres aggravés » dans plus de 300 000 cas. L’accusation lui reproche d’avoir « aidé le régime nazi à tirer des bénéfices économiques des meurtres de masse ». Son procès devrait se prolonger jusqu’au 29 juillet. Mais que sait-on exactement de cet individu ?
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Enfance hantée par la défaite de la Première Guerre mondiale
Né en 1921 à Brême, il reçoit une éducation nationaliste dans une famille hantée par la défaite allemande de la Première Guerre mondiale. Son père, qui l’a élevé, était un ouvrier membre de l’organisation paramilitaire Der Stahlhelm, qui prône la « régénération du peuple allemand ». Oskar Gröning en rejoint l’organisation de jeunesse alors qu’il n’a que 12 ans, quand les nazis arrivent au pouvoir. Il adhère à 18 ans au parti nazi, alors qu’il est employé de caisse d’épargne. En 1941, il s’engage dans la Waffen SS. Il est affecté au poste de comptable du camp d’Auschwitz, dans la Pologne occupée, de septembre 1942 à octobre 1944.
Dès son arrivée, il a vu un soldat tuer un bébé en le jetant contre la paroi d’un wagon, ce qui l’indigna. Par trois fois il demanda à être affecté au front, en vain. Il s’accommoda finalement de sa tâche, se cantonnant à trier les billets de banque des prisonniers en fonction de leur nationalité, dans ce camp où 1,1 million de personnes sont mortes entre 1940 et 1945. En 1944, le sous-officier Gröning est finalement transféré au front, fait prisonnier par les Britanniques en 1945, et libéré en 1948. Il reprend une vie normale.
Contre le négationnisme
En 1985, son passé refait surface lorsqu’un membre du club de philatélie auquel il participe lui prête un livre négationniste, comme le relate Libération. Furieux, l’ancien soldat lui rend immédiatement en lâchant ce commentaire : « J’étais là, tout est vrai.” Le retraité part alors en croisade contre le négationnisme : il écrit ses mémoires, apparaît dans un documentaire de la BBC en 2003 et dans la presse allemande.
« Il est de mon devoir, à mon âge, de dire les choses que j’ai vécues. De m’opposer à ceux qui les nient. J’ai vu les fours crématoires, j’ai vu les fosses où l’on brûlait les corps. Je veux que vous sachiez que ces atrocités ont bien existé. J’y étais », déclare-t-il.
Il ne s’est cependant jamais estimé coupable juridiquement : « Est-ce que je dois me mortifier et manger des racines jusqu’à la fin de mes jours (…) parce que j’ai appartenu à cette organisation ? Je ne le crois pas. Quelle que soit la situation dans laquelle on se trouve, chacun est libre de faire son possible pour s’en sortir.”
Dans le documentaire réalisé en 2003 il affirme même ne pas devoir être jugé :
« Nous n’exterminions jamais que des ennemis »
S’il a demandé en 2005 « pardon au peuple juif », les réminiscences de son passé témoignent de l’antisémitisme auquel il adhérait. Dans une longue interview au Spiegel en 2005, il se rappelle de sa jeunesse dans l’organisation de jeunes du Stahlhelm : « Nous chantions : ‘Quand le sang des Juifs coule sur notre couteau' ».
Cité par l’historien Laurence Rees dans Auschwitz: the Nazis & the « final solution » (BBC Books, 2005), il explique avoir été indigné par la brutalité du traitement infligé aux Juifs, mais sans avoir jamais douté sur le moment de la nécessité de les exterminer. « Ce n’est pas le principe même de la tuerie des Juifs que Gröning contesta auprès de son patron, mais juste sa mise en œuvre », relate l’historien. Et l’ex-SS d’expliquer :
« Il y a toujours derrière vous le fait que les Juifs sont des ennemis qui viennent de l’intérieur de l’Allemagne […] La propagande que j’avais avalée enfant dans la presse, les médias, dans la société où je vivais, nous avait fait comprendre que les Juifs étaient la cause de la Première Guerre mondiale, qu’à la fin ils avaient aussi donné à l’Allemagne un coup de poignard dans le dos. Les Juifs étaient en fait la cause de la misère dans laquelle l’Allemagne se trouvait. Nous étions convaincus par notre vision du monde qu’il y avait une grande conspiration juive contre nous, et cette pensée s’exprimait à Auschwitz : il fallait éviter ce qui s’était passé au cours de la Première Guerre mondiale. Nous n’exterminions jamais que des ennemis. »
Devant les juges mardi, il s’est cependant efforcé de distinguer son travail de celui des gardiens du camp, assurant qu’il n’en était qu’un « petit rouage » administratif.
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