Il est le plus jeune membre du gouvernement. A seulement 33 ans, Mounir Mahjoubi est nommé secrétaire d’Etat au numérique. Pour conserver ce poste, il doit se préparer à affronter deux adversaires de poids dans le XIXe arrondissement à Paris pour les élections législatives des 11 et 18 juin prochain.
L’anti-cerne n’y fait pas grand-chose. Malgré la victoire d’Emmanuel Macron le 7 mai dernier, Mounir Mahjoubi sait que son combat doit continuer. A peine nommé secrétaire d’Etat au numérique, il est obligé de gagner son siège de député s’il veut conserver son poste. Ce 9 mai 2017, le maquillage cache un peu les poches noires pour les caméras, mais dissimule avec peine les yeux rétrécis par la fatigue. Sur le marché de la place des fêtes, dans le XIXe arrondissement parisien, Mounir Mahjoubi distribue des tracts. Difficilement. Le candidat La République en larche (LREM) se consacre aux dernières entrevues avec les Parisiens de son quartier.
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S’il ne gagne pas aux législatives, le secrétaire d’Etat chargé du numérique Mounir Mahjoubi s’engage à démissionner pic.twitter.com/HCIbZfUFWp
— BFMTV (@BFMTV) 18 mai 2017
Las, il estimait s’en être bien sorti. Macron l’a emporté, la campagne numérique s’était plutôt bien déroulée. Hormis quelques piratages informatiques résolus, « rien de très grave » aux yeux du trentenaire, Mounir Mahjoubi était satisfait de son travail. Les live Facebook récoltaient de bonnes audiences, le site internet aussi.
C’était sans compter les Macronleaks qui ont terni la campagne d’En marche !, à cinq minutes de son arrêt officiel. Impossible pour l’équipe de réagir pendant 48 heures. Mais en coulisse, Mounir Mahjoubi s’affaire. Récupérer les mails, identifier les comptes piratés, vérifier les informations divulguées… Un groupe de hackers russes a divulgué des mails et documents du mouvement.
« Ça m’a vraiment pollué. Pire que pourri, ça a pollué ma campagne », rage-t-il en pianotant sur son iPhone Plus à l’écran déglingué qu’il a défoncé, en roulant dessus en vélib’. Ce qui l’a “pollué” lui aura aussi servi. Avec l’affaire, Mahjoubi, discret depuis son engagement officiel auprès d’Emmanuel Macron depuis janvier, devient omniprésent dans les médias. Le Marocain d’origine a prouvé ses capacités de réponse, et de mobilisation. Une gestion de l’affaire et un parcours 100 % numérique qui ont pesé dans la balance.
Gagner les législatives pour rester secrétaire d’Etat
De belles performances que le secrétaire d’Etat va devoir concrétiser. Au marché de la place des Fêtes, dans le XIXe arrondissement, Mounir Mahjoubi se dit prêt à affronter le grand « Camba », persuadé qu’il gagnera. « Il faudrait que M. Cambadélis se rapproche du XIXe et de ses habitants », lance-t-il sur un ton provocateur.
Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du Parti socialiste (où Mahjoubi prit sa carte après le choc du 21 avril 2002), n’a perdu qu’une seule fois depuis sa première élection dans la circonscription en 1988. Cela fait maintenant vingt ans qu’il est présent dans la circonscription. Un atout de poids, concède Ivan Béraud, membre de l’équipe de Mounir Mahjoubi:
« Il est certes affaibli par le score de Benoît Hamon, mais il a une très forte implantation locale, tempère-t-il. Il est le seul candidat dont les électeurs connaissent le nom. Il est présent à toutes les assemblées générales d’associations, il s’est créé un véritable réseau. il ne va pas se rendre sans combattre. »
Mais pour Mounir Mahjoubi, la véritable menace viendrait plutôt de Sarah Legrain, candidate insoumise. Dans cette circonscription, Jean-Luc Mélenchon a devancé Emmanuel Macron avec 30,7 % des voix (contre 29,6 %). Elle aussi reconnaît qu’ils ont des atouts en commun : « Nous sommes tous les deux jeunes et sans mandat électif derrière nous. »
Vêtu d’un costume bleu satiné sous son manteau bleu marine, le jeune candidat s’attelle à répondre aux questions de ses potentiels électeurs. « Qu’est-ce qu’Emmanuel Macron entend par ‘gouverner par ordonnances’? Est-ce qu’il fera quelque chose pour les migrants porte de la Villette ? Vous lui parlez tous les jours, au président ? », le mitraillent les Parisiens. Patient et « bienveillant », comme se définissent les marcheurs, Mounir Mahjoubi discute, débat, serre des mains.
« Je ne pouvais qu’être malheureux au Parti socialiste »
Jusqu’à la dernière minute, il refusait d’y croire, impassible: « Chaque chose en son temps. D’abord, je commence ma campagne, ensuite je verrai. » L’entrepreneur (il a fondé plusieurs start-ups dont la Ruche qui dit oui!, une entreprise mettant en lien direct consommateurs et producteurs de denrées agricoles) et spécialiste du numérique se rapproche lentement mais sûrement d’En Marche !. Dès la fondation du mouvement en avril 2016, il glisse discrètement à Macron, alors ministre du Numérique : « Continue, j’aime beaucoup ce que tu fais. Sache qu’au besoin, je serais là pour te soutenir. »
Sept mois plus tard, il accepte de participer à un séminaire des Jeunes avec Macron (JAM) pour discuter entreprenariat et numérique. « On ne contribue pas à ce genre d’événements impunément, s’amuse-t-il entre deux textos, Mes copains du PS me demandaient: ‘Mais qu’est-ce que tu fais?’, ce à quoi je ne répondais même pas ». Sa décision était déjà prise : il abandonne le Conseil national du numérique en janvier 2017 pour la campagne numérique d’Emmanuel Macron.
« Je ne pouvais qu’être malheureux au Parti socialiste. Il n’y fait pas bon être entrepreneur », regrette-t-il. Malgré la loi Travail qui avait suscité l’indignation de nombreuses personnalités de gauche, l’ancien syndicaliste CFDT a choisi le camp de la gauche réformiste : « En tant qu’entrepreneur, j’ai vu combien il était difficile d’embaucher et de licencier. Il faut réformer tout ça. »
« Un enfant dans une vie d’adultes »
Mahjoubi se fiche des obstacles. Ses origines modestes ? À 16 ans, il décide de travailler pour payer ses études. Arrivés quelques années plus tôt du Maroc, ses parents ont peu de moyens. Son père est ouvrier, sa mère aide-soignante. Les épaules voutées et les genoux rentrés contrastent avec son aisance déconcertante. « J’étais un enfant dans un monde d’adultes. J’étais compétent, mais je n’avais aucun ‘code social’. J’étais un bizarre », raconte-t-il entre deux gorgées de Perrier et de café allongé.
Geek avant l’heure, il choisit Club-Internet. Dès l’école primaire, le jeune Mounir s’est passionné pour l’informatique en visitant le Palais de la découverte. Il n’a pas d’argent pour financer sa passion ? Tant pis, en 1997 il passe le concours du jeune inventeur Sciences & Vie Junior, qu’il gagne. Ses parents ne veulent pas entendre parler d’internet. Avec les 5 000 francs empochés, il achète un ordinateur et un modem qu’il installe chez sa sœur.
En 1997, @Mounir Mahjoubi, le nouveau secrétaire d’État au numérique, remportait notre concours Innovez grâce à sa règle à camembert :-) pic.twitter.com/EFhOqwipbB
— Science & Vie Junior (@LeLaboSVJ) 19 mai 2017
Un entêtement qu’il poussera loin. Un an après son premier contrat de travail, il désire partir. Sur un coup de tête, le lycéen alors en première scientifique décide de voyager quatre semaines au Japon. En pleine année scolaire. « J’avais de l’argent grâce à mon travail et je m’étais débrouillé pour me faire héberger chez des amis que j’avais connus sur la toile », explique simplement Mounir Mahjoubi. Cette lubie lui vaudra une exclusion du lycée.
Le temps des premiers engagements
Mahjoubi poursuit son chemin. Autonome financièrement, Mounir obtient son bac et rentre en droit à la Sorbonne. S’il est nouveau sur la scène politique, son implication auprès d’Emmanuel Macron n’est pas son premier engagement politique. C’est à la fac qu’il peaufine son « code social » en remportant le prix d’éloquence. Entre-temps, Mahjoubi a fait ses armes comme syndicaliste chez le fournisseur d’accès.
Dès l’âge de 18 ans, il se pose comme la pierre angulaire des négociations entre la direction et les salariés et entre en jeu pour les deux rachats de l’entreprise. « Il faisait partie de tous ces jeunes qui découvraient la vie en entreprise et les patrons qui leur mentaient éhontément. À l’époque, j’étais étonné par sa capacité à agréger des personnes autour de lui », se souvient Ivan Béraud, à l’époque représentant syndical CFDT dans les télécoms. Aux prud’hommes deux ans plus tard, il réussira un coup de force: la requalification de dix CDD en CDI. « Ça, c’était un super coup », souligne Mahjoubi, avec une fierté non dissimulée.
Concours d’éloquence – Mounir Mahjoubi par LaPeniche
À la Sorbonne, il rencontre Thomas Hollande, alors impliqué dans la campagne de sa mère, Ségolène Royal. Traumatisé par le 21 avril 2002, Mahjoubi a pris sa carte au Parti socialiste, mais n’est pas encore engagé à 100% dans les activités du parti. Comme il œuvre toujours chez Club-Internet, le jeune travailleur accepte la proposition du fils Hollande et participe à la création de la ségosphère, sorte de Facebook politique socialiste avant l’heure en 2007.
Quatre ans plus tard, c’est lui qui ira proposer ses services à l’équipe de François Hollande, dès les primaires. Il est alors chargé d’une plateforme de collaborations entre les élus socialistes. Visiblement, l’expérience a fait mouche. En 2015, le président socialiste lui propose la tête du Conseil national du numérique (« Cénum » pour les intimes).
Deux ans plus tard, c’est la promotion ultime. Le geek est nommé secrétaire d’Etat au numérique. L’occasion pour lui d’aller jusqu’au bout de son projet d’inclusion numérique, surtout pour les TPE/PME. « Un des nombreux échecs du quinquennat », soupire-t-il. Sur Franceinfo, il déclare vouloir faire de « la cyberdéfense et de la cybersécurité une priorité de notre sécurité nationale ». Deux chantiers sur lesquels la France est particulièrement en retard. Mais pour cela, il faudra gagner son siège de député. Une occasion de ressortir son anti-cerne.
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