Ancien responsable des autorités du cyberspace, Lu Wei, le censeur du web chinois, est tombé suite à des accusations de corruption.
Il prenait la pose avec Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, et Jeff Bezos, patron d’Amazon, en septembre 2015, lors de la visite aux Etats-Unis du gouvernement chinois. Le mardi 21 novembre, on a appris que celui que l’on surnommait le “tsar de l’internet chinois” faisait l’objet d’une enquête pour “graves violations à la discipline”. Lu Wei est le premier “tigre” à tomber depuis la réélection du président Xi Jinping qui poursuit, d’une main de fer, sa campagne anti-corruption.
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Great Firewall
La disgrâce de l’ex-responsable de la régulation du web en Chine est spectaculaire. A 57 ans, l’ancien maire adjoint de Pékin bénéficiait d’un rôle de premier plan au sein du gouvernement. Nommé en 2014 à la tête de l’Administration du cyberespace, il menait une politique de censure drastique dans un pays où Facebook, Google et Twitter sont bannis de la toile. Au nom de la souveraineté nationale et de la sécurité des citoyens, il avait justifié ce système répressif, en déclarant, lors de la Conférence international de l’internet en décembre 2015 :
“La liberté est notre objectif, l’ordre est notre moyen”
Le Great Firewall, ce système de pare-feu bloquant l’accès aux sites qui proposent un contenu jugé subversif – incluant Youtube et Blogspot –, se veut toujours plus restrictif. Depuis l’arrivée au pouvoir en 2012 de Xi Jinping, les libertés s’amenuisent : selon un rapport de 2015 réalisé par Freedom House, la Chine serait l’un des pays où la politique de censure est la plus virulente sur internet, dépassant celles de l’Iran ou la Syrie.
Lu Wei était courtisé par les géants occidentaux désireux, malgré ce climat oppressif, d’investir le marché chinois. En 2014, Mark Zuckerberg recevait l’homme politique aux Etats-Unis. Un livre de Xi Jinping, La Gouvernance de la Chine, avait été intentionnellement placé sur son bureau par le leader de Facebook. Les photographies officielles montrent les deux hommes, rieurs, dans une ambiance de franche camaraderie. Un jeu de séduction qui demeure pour l’instant sans effet.
Une disgrâce politique qui a surpris
Cependant, le règne de celui que le Time a classé en 2015 parmi les 100 personnalités les plus influentes du monde, a commencé à décliner il y a quelques mois. En juin dernier, il est remplacé à la tête de l’Administration du cyberespace chinois par Xu Lin, un proche de Xi Jinping. Officiellement, il s’agit d’une démission. Lu Wei conserva d’ailleurs son poste de chef adjoint du Département de la propagande du Comité central du Parti communiste chinois.
Les analystes sont à l’époque perplexes, n’arrivant pas à déterminer, compte tenu de l’opacité des informations chinoises, s’il s’agit d’une disgrâce. Willy Wo-Lap Lam, professeur à l’Université chinoise de Hong Kong, expliquait alors au New York Times : “Il est trop tôt pour conclure qu’il a été évincé […] Il peut encore obtenir une promotion dans un autre domaine de la bureaucratie.” Rogier Creemers, chercheur à l’université de Leiden aux Pays-Bas, se montrait même optimiste. “Je pense que nous aurions remarqué des signes avant-coureurs s’il avait été écarté”, déclarait-il. “Généralement ces retraits s’accompagnent de rumeurs. Presque toutes les disgrâces des hauts dirigeants ont été précédées par des rumeurs, et nous n’avons pas entendu grand-chose à propos de Lu Wei.”
Un nouveau Mao mène la purge
L’officialisation de l’ouverture de l’enquête le mardi 21 novembre apporte finalement la réponse, près de cinq mois plus tard. Fort d’une personnalité atypique, le “boss de l’internet chinois” était connu pour ses discours sans complaisance et son assurance à la limite de l’impudence. On pouvait notamment l’apercevoir vêtu d’un sweat griffé à la salle de sport ou fumer des cigares avec un représentant des télécoms cubains à la Conférence internationale d’internet. Sa notoriété et les avantages de son rang ne l’ont néanmoins pas prémuni face à la virulente campagne anti-corruption menée par Xi Jinping. La commission de discipline du Parti communiste chinois (PCC) a déclaré dans un communiqué, rapporté par le New York Times :
“La mise en examen de Lu Wei par l’organisation est la meilleure preuve de sa détermination à poursuivre son projet”
Le président chinois a fait preuve d’une sévérité infaillible et a initié un culte de la personne que les médias n’ont pas hésité à comparer à l’attitude de Mao Zedong. Depuis 2012, les milieux politiques et militaires font l’objet d’une purge qui menace aussi bien les “mouches”, ces petits fonctionnaires, que les “tigres”, les gros bonnets dont Lu Wei faisait partie. Une croisade qui a certes aidé à réduire le taux élevé de corruption, mais qui a également permis au chef de l’Etat de placer ses hommes de confiance à des postes clés. Un article paru dans Les Echos évalue le nombre de personnes sanctionnées dans le pays à 1,3 million. Cette vaste campagne touche également les activistes chinois et les médias sommés de se conformer à l’idéologie du PCC. En témoigne l’emprisonnement du dissident Liu Xiaobo, Prix Nobel de la Paix 2010, décédé le 13 juillet 2017.
Si cette épuration n’est pas près de s’arrêter, la politique de censure sur le web ne s’est en rien allégée depuis l’éviction de Lu Wei. Après le blocage partiel de l’application de messagerie WhatsApp le mois dernier, Skype vient d’être retiré de l’App Store chinois et des boutiques Android locales.
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