La nouvelle voix du sacrosaint journal de 8h de France Inter, c’est elle. Vous êtes plus de trois millions à l’écouter. A notre tour de lui tendre l’oreille.
« …A ce moment-là tu es dans ta cuisine, en train de couper tes légumes, et ce n’est pas la voix, le son, qui te perturbe. C’est le silence qui résonne. Tu ne fais qu’écouter. Ce mardi matin, tout le monde s’est stoppé pour savoir ce qui s’était passé », susurre-t-elle en sirotant son orange pressée. Drôle de semaine pour devenir « la femme la plus écoutée de France ». Le 28 août dernier, Florence Paracuellos apprenait en direct la démission du Ministre de l’écologie Nicolas Hulot. Aux côtés de ses collègues Léa Salamé et Nicolas Demorand, mais aussi de 3,8 millions de fidèles auditeurs, la journaliste, hier voix du journal de 18h, goûtait en cette rentrée à l’émotion cérémoniale de la Matinale. L’émotion, ou plutôt la musique – « ce silence grave, solennel, embarrassé, inexistant à la télévision » dit-elle encore avec enthousiasme.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est ce désarçonnant silence qui persiste face à la nouvelle oratrice du journal de 8h. Sa voix nous est pourtant familière : douce mais ferme, assurée sans être austère, elle convient à ceux qui avalent leur café l’oreille posée près de leur poste. Mais le reste relève de la mission impossible. Avant la première rencontre, scruter Florence Paracuellos revient à délier les lignes d’une page blanche. Si elle a pour habitude d’énoncer l’actualité qui fera la semaine, la nouvelle figure du 7/9 fuit comme la peste les projecteurs. Focus sur une mystérieuse conteuse du breaking news.
« Si elle avait pu ne pas vous répondre… »
Oui, le silence en dit long, mais l’image aussi. La photographie qui assigne Florence Paracuellos à la maison Inter la présente en veste de jeans, yeux noisette et sourire timide. Le carton France Inter qu’elle porte dans ses bras recouvre la moitié de son buste. C’est un bouclier qui la protège. Une arme utile pour celle qui se met au service de l’info. Parmi les essentiels de la station elle est certainement la seule à ne pas posséder de page Wikipédia. D’ailleurs, ce shooting-photo qu’elle a du subir était « une véritable séance de torture ! » rit-elle en mettant en cause son soi-disant manque de photogénie – l’éternel réflexe des modestes. « C’est vrai qu’elle est discrète, s’amuse Catherine Nayl, directrice de l’information d’Inter, d’ailleurs si Florence avait pu ne pas vous répondre, elle l’aurait fait ! ». Pour elle, Florence Paracuellos est la preuve que « beaucoup à Inter travaillent à l’ombre des sunlights« . Pourtant, la Fantômette de l’info est bel et bien face à nous en ce moment, à cette table des Ondes, QG des salariés de Radio France réchauffé par le soleil matinal. Ce premier portrait, elle l’appréhende un peu. Mais sans sourciller. « Je suis avant tout le faire-valoir de la matière que l’on me donne » affirme-t-elle, la modestie en leitmotiv.
Avant sa lancée en piste, 280 signes sont venus alourdir ses épaules. Ceux de la patronne Laurence Bloch, affirmant le 24 août sur son compte Twitter : « Enfin une femme aux commandes d’un 8h, la tranche d’info la plus écoutée en radio ! Trop fière !« . Celle qui vante les mérites d’une matinalière « pertinente et percutante » a suscité la circonspection des internautes et des confrères. Doit-on encore placer la féminité au devant de la personne à l’heure où les vedettes d’Inter se nomment Léa Salamé, Éva Bester, Charline Vanhoenacker ? Faux débat pour notre interlocutrice qui fait fi des chiffres et du sexe dès que retentissent les « bip bip » de l’horloge, décidée « à ne pas faire “le journal le plus écouté de France”, mais UN journal, le meilleur possible« . Pourtant, enfant, elle écoutait dans sa chambre les excursions socios-dépaysantes du grand Daniel Mermet et façonnait sa culture gé grâce aux digressions du daron José Arthur. « Souvent des mecs, c’est vrai » confesse celle qui marche sur les pas de son prédécesseur Marc Fauvelle, avant de raisonner : « J’ignore si les synapses s’éveillent à l’identique, mais il n’y pas un ton de femme d’un côté ou d’homme de l’autre« .
« Le huit heures est un journal à personnalité. Quand Marc Fauvelle est parti pour la matinale de France Info, je me suis dit que ce serait pas mal que le journal le plus écouté de France soit présenté par une femme, nous affirme de son côté Catherine Nayl en rappelant l’importance de l’altérité. « Car ce n’est une évidence pour tout le monde ! Pour certains, c’était quasiment un pari. L’on me disait “tu es vraiment sûre, une femme à huit heures ?”. Bien sûr, je n’aurais pas pris une femme à tout prix. Mais c’est un joli symbole«
Impressionniste des ondes
Pour être à l’écoute de Florence Paracuellos, il faut faire taire ce dialogue de sourds et laisser parler ses vingt ans d’expérience. « Vrai produit de la méritocratie radio francienne” selon ses propres mots, cette parisienne pure souche débarque dans le paysage sonore en 1998 et passe trois ans à enchaîner les missions éparses au sein des radios locales. C’est la nostalgie qui s’insinue entre ses sourires lorsqu’elle se remémore « cette école de la débrouille qui te faisait décoller quinze jours à Amiens, trois semaines à Bordeaux, neuf mois à Laval, dans des endroits où tu ne connais ni les rues, ni les gens, ni l’actu« . Après ses premiers contrats à durée déterminée à France Inter, la touche-à-tout se retrouve embauchée en 2002 en tant que reporter. Fidèle à ses premières amours journalistiques, la suite de sa carrière ne sera qu’itinérances, assurant la rédaction en chef de la matinale de 2008 à 2013 avant de s’emparer du micro du journal du soir. On l’aura deviné, « Florence est un bébé Radio France, elle est née là mais sans être formatée » achève sa directrice de l’information.
Ces bonds métronomiques dans la grille des programmes sont entrecoupés de congés maternités – naissance de ses deux enfants oblige – mais sans cesse animés par cette persévérance à (tout) raconter. Ses incursions en tant que chroniqueuse dans l’émission d’actualités internationales Un jour dans le monde l’incitent à chérir ce désir presque enfantin de storytelling, « en narrant trois histoires par petites touches, comme de l’impressionnisme, en allant chercher du son sur les télés du monde entier pour mieux donner à sentir les effluves d’un climat » énonce-t-elle.
Jusqu’à juin dernier, le 18h était son moment de grâce à elle, « un vrai show où tu improvises et t’adaptes, car ce que tu narres est train de se passer, sans perspective du lendemain« . C’est une existence rythmée au fil des micros allumés, des news de dernière minute et des pages des canards effeuillées dans la précipitation. Le passage au matin lui assure aujourd’hui plus de recul, un temps de digestion nécessaire entre deux expressos, lorsque l’information brûlante de la veille s’est refroidie, dans l’attente des brèves plus fraîches qui lui succéderont. Tout en lui imposant un planning aussi serré que le café qu’elle engloutit, à se réveiller quand d’autres se couchent à peine. L’alarme du smartphone la jette hors du lit à deux heures moins le quart. Une demie heure plus tard, la voici dans un taxi, direction le Champ de Mars, les yeux embués par la fatigue mais déjà prête à éplucher la presse quotidienne. 4h10 : à la Maison de la Radio, c’est l’heure de la conférence de rédaction. Alors que le soleil est aux abonnés absents, la journaliste et son équipe décident de « ce que l’info sent« . On s’en doute, c’est « une vie monacale« , avoue cette amoureuse de l’euphémisme.
« Une vie de con »
« Dans les couloirs d’Inter, je l’ai vanné des années durant en lui répétant : tu vas faire le 8h ? tu vais faire le 8h ? et elle me répondait : j’ai pas envie d’avoir la vie de con que tu as ! » s’esclaffe au téléphone son vieux collègue Marc Fauvelle, qui depuis dix ans ressasse la routine des sans-sommeil, « pas une vie de con en vérité, mais une vie de moine » tempère-t-il. Au saut de sa sieste du vendredi, le serial-matinalier prophétise d’une prose précipitée le fabuleux destin de Florence Paracuellos :
« Un matinalier vit comme une taupe, est tout le temps affamé, dort quatre heures par jour, boit des cafés sans sucre pour éviter de prendre vingt kilos dans l’année. Il fait une croix sur toute vie sociale du dimanche midi au vendredi midi. C’est une longue course poursuite contre le sommeil. Tout se fait à une minute près. On mange à 19h, on se couche à 21h15. Il y a des règles et des sacrifices à s’imposer. »
Ce train de vie poussé à cent à l’heure ne la fait pas dérailler, imperturbable comme son flow matinal face au rigoureux Demorand. Son sacerdoce, c’est l’autodérision, qu’elle pratique en sortant de son sac un gadget kitsch, « l’outil phare du matinalier » : une boîte à bananes, qui, vous l’avez deviné, a bel et bien la forme du fruit favori d’Andy Warhol. Fruits très protéinés et adrénaline du direct devraient suffire à booster celle pour qui le 8h était une évidence, de ces trucs « qui ne se refusent pas« . Non sans préciser d’un sarcasme sonnant que « mettre [son] réveil à deux heures moins le quart n’a jamais été un rêve !« . Marc Fauvelle se rappelle de sa réticence à l’idée d’embrasser cette « vie de con« . Moins par inconfort que par ce quelque chose invisible à l’antenne – doute ou manque de confiance en soi, c’est selon.
Car malgré ses vingt ans au compteur, l’ex-reporter n’a pas le goût de la phrase choc. Médiatisable mais pas médiatisante (« j’ai toujours voulu faire de la radio, pas de la télé » ironise-t-elle), ermite des réseaux, elle accompagne l’espace d’une heure de vraies vedettes. « Florence ne se la pète pas et j’interprète son hésitation à dire “oui” comme de l’humilité, face à ce journal sur lequel repose une immense pression » analyse l’animateur. « Florence représente l’information pure au sein d’une tranche aux personnalités fortes. N’importe qui serait tétanisé à sa place. Mais elle a pris le monument qu’est ce journal à bras le corps » observe avec sérénité Catherine Nayl. Au bout de sa semaine-test, la matinalière garde la tete froide. Habituée des plages de Bretagne, elle aime à dire que « la matinale est un grand bain : on hésite à y aller, mais on se fait violence pour plonger car on sait qu’au final, c’est revigorant« .
« Il y a des gens derrière la dépêche AFP »
Du 18h au 8h, les heures défilent pour la journaliste mais un motif perdure, l’émotion – l’on y revient. Cette sensation qui traverse discrètement cet exercice qu’est le journal de radios, où l’écriture la plus rodée doit se concilier avec l’émergence de l’imprévu. Quand on anime le 8h, « beaucoup de sujets arrivent moins d’une demie heure avant, alors on écrit dans le vide, on se débat dans l’urgence, on se met en danger, détaille Marc Fauvelle, pour qui fort heureusement, le trac, l’adrénaline, le cœur qui bat ne s’entend pas à l’antenne…sauf quand David Bowie meurt ».
A quelle vitesse bat le cœur de Florence Paracuellos ? L’an dernier, l’addict à l’actualité parvenait à se détacher de la presse le samedi, juste avant de replonger le dimanche. Les yeux scotchés sur le présent, il lui est dérisoire de s’imaginer dans dix ans. La seule chose dont elle se fait l’oracle est encore et toujours cette information « que l’on saisit dans l’instant tout en devinant son évolution« . Sur elle repose désormais la modernité de la Matinale, ce mélange de « pluralité, d’impertinence avec rigueur, de voix disruptives » dicte Catherine Nayl. Or « quand on est moderne, c’est qu’on ne le sait pas » philosophe la matinalière. Plus qu’une modernité qui ne dit jamais vraiment son nom, c’est son contemporain que la journaliste guette. « J’ai longtemps été sur le terrain avant de présenter le journal. C’est une marque que tu gardes en toi : mettre de l’humain sur l’information. Se souvenir qu’il y a des gens derrière la dépêche AFP ! » dit-elle. Chaque matin est une piqûre de rappel.
{"type":"Banniere-Basse"}