De Monsieur Poulpe à Golden Moustache et du « Visiteur du Futur », à « Bloqués », FloBer est partout. Comme si du haut de son quart de siècle, le jeune homme n’avait déjà plus rien à prouver. Gros plan sur un auteur singulier.
« Des histoires à raconter« . Quand on lui demande de définir son métier, notre interlocuteur cite un hit des Casseur Flowteurs. Et ce entre deux tirades sur le sexe, la poésie et Franck Dubosc. Éclectique, oui. Et spontané avec ça. Abreuvé au Pepsi, casquette à l’envers vissée sur la tête, il assène du “chan-mé”, “kiffer” et autres “rant-ma” au fil des gorgées. On croirait entendre un adolescent à la sortie du lycée. Il faut dire qu’il est jeune, ce touche-à-tout loquace. A seulement vingt-cinq ans, FloBer a déjà joué pour Monsieur Poulpe et Davy Mourier, monté pour François Descraques, co-constitué le collectif Suricate, l’un des plus connus du web français, scénarisé Bloqués, l’une des meilleures séries du nouveau Canal, écrit et réalisé une soixantaine de vidéos excédant largement le million de vues chacune…et ce n’est qu’un début.
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« C’est mon cousin » (Monsieur Poulpe)
« C’est Flober, mon cousin ! Il a toujours voulu faire du journalisme » précise Monsieur Poulpe à son acolyte Davy Mourier. Cette vanne échappée du numéro zéro du Golden Short fait sourire. En vérité, FloBer n’a aucun lien de parenté avec l’animateur des Recettes Pompettes. Si ce n’est celui de fils spirituel. Son initiation à l’humour-web date de Mange mon Geek (2007) et ses débuts de technicien du susnommé Golden Short (2012), série de making of parodiques dérivés du Golden Show.
Au sein de cette émission à sketchs de l’ère Dailymotion, précurseur du Golden Moustache et du Studio Bagel, le jeune homme joue au stagiaire débrouillard. L’année suivante, il passe à la vitesse supérieure : l’un des membres du Golden Show, François Descraques, l’engage en tant que monteur pour la troisième saison de sa série culte, Le visiteur du futur. Encore étudiant en audiovisuel à Marne-la-Vallée, il découvre une toute autre institution, dépourvue de murs : « l’école du web« . « J’étais dans une espèce de laboratoire, à apprendre montage, cadrage, écriture, mise en scène, lumière, direction d’acteurs. » témoigne-t-il.
Ces aptitudes acquises et le bouche à oreille aidant, il intègre fin 2012 l’équipe du Golden Moustache, alors en pleine gestation. Là bas, en compagnie des acteurs Julien Josselin, Vincent Tirel et Raphaël Descraques (frère de), il créé le collectif Suricate. Et pose sa patte.
Quand il ne filme pas des délires démesurés comme The Superheroes Hangover (la soirée bien arrosée des justiciers), il capte une sensibilité à hauteur d’homme. En atteste Le Syndrome post-rupture, réflexion amère sur l’impossibilité d’oublier son ex. Un pari risqué au sein d’une chaîne d’humour décomplexé. Déconcerté, le public loue la justesse de ce sketch du quotidien, épuré de cette ironie chère aux podcasteurs en vogue. Mais les intentions auteuristes de FloBer dépassent son crew. Il quitte Suricate fin 2013. Pas le temps pour les regrets.
« La team Suricate n’était pas à fond sur ce sketch. Mais il y a eu un gros soutien du public. Le syndrome post rupture m’a rassuré dans cette idée de partager un truc que l’on a vécu. Plus tu vas loin dans l’intime, plus tu t’adresses à un maximum de gens. C’est un sketch très premier degré, il y a très peu de vannes, juste une volonté d’être sincère. Seulement voilà, chez Suricate, on voulait tous faire la même chose, mais pas de la même façon. Je me suis dit qu’on pouvait avancer chacun de notre côté. Je suis parti, et on a évité de se prendre la tête »
Mélancomique
FloBer reste fidèle à Golden Moustache. Il y affine son style, qu’on pourrait qualifier de « mélancomique ». Sur ses « dramédies » plane l’ombre de Scrubs, sitcom où s’enlacent gags surréalistes et émotion. Cet « amour pour l’humour et l’humain » inonde Le bureau des rêves, immersion dans l’univers mental d’un endeuillé. Une fable moderne hantée par la conscience du temps qui passe. Sans pathos, la mise en scène laisse le mystère s’épanouir. Les internautes saluent la « poésie » de cette oeuvre intimiste au succès populaire – plus de quatre millions de vues. GQ l‘affirme : les « contes de FloBer » sont « plus poétiques que potaches« .
« Le terme de “poésie” est fort, presque intouchable. Mon seul souhait c’est de raconter des histoires qui touchent les gens. En touchant les gens, j’échange avec eux.Un sketch mélancolique n’est pas une ligne droite mais une suite de zigzags : tu balades tes spectateurs. Et ça, c’est que je préfère » avoue-t-il.
Depuis février 2014, le vidéaste n’a jamais vraiment quitté ce bureau, allégorie de la salle d’écriture. Son obsession pour les souvenirs traverse son oeuvre de vidéaste, d’Ages Moyens (une réflexion sur la crise de la trentaine, influencée par le cinéma de Rémi Bezancon) à Parents d’élèves (la vie de bureau version cour de récré). Dans le récent Flashback Museum, cet ex-loser du collège, ignoré par les filles et tabassé par les mecs, imagine les retrouvailles mordantes d’anciens camarades d’école. Le passé y est à la fois une mauvaise blague et un refuge. « Tout le monde aime la nostalgie« , y chuchote-t-on. Un mal du siècle ? « Notre génération se prend le passé en intraveineuse, y revient constamment« , explique-t-il, « et même si elles ont permis de me construire, j’aurais aimé vivre de meilleures années-collège : si c’était le cas, je les regretterais aujourd’hui« . Ses légers traumas ados, l’artiste les exorcise dans ses Floodcast, podcasts entre amis riches en confessions caustiques. Un exutoire.
« Bloqués, c’est de la poésie »
« Pourquoi je suis nostalgique sur tellement de trucs alors que je déteste ma jeunesse ?« , demande-t-il en terminant son premier Pepsi. Notre attention se porte alors sur son t-shirt blanc, barré d’un slogan noir : SAVE FERRIS. Un clin d’œil à La folle journée de Ferris Bueller de John Hugues, cinéaste de l’adolescence américaine (The Breakfast Club) et emblème de la pop culture eighties. FloBer serait-il « bloqué » dans le passé ? Après tout, les grands ados « kéblos », ça le connaît.
En 2015, les créateurs de Bref l’appellent pour co-écrire Bloqués, leur nouvelle série Canal Plus, portée par les rappeurs Orelsan et Gringe. FloBer ne s’est jamais senti aussi proche d’une oeuvre qui ne lui appartient pas. Au gré de brèves de comptoir vertigineuses, il cause rupture, solitude, porno, enfance. « L’idée c’est : qu’est ce que ça donne deux paumés en société qui discutent ? Derrière la lose, il y a des êtres humains tristes, amoureux, seuls. C’est tragique : ils ne font rien de leur vie, vont mourir ensemble, et n’auront jamais rien fait. » analyse-t-il avant de se lâcher dans l’emphase :
« Tu as le droit d’y voir un Beavis & Butthead français, mais le concept-même de Bloqués est poétique à mes yeux. Le personnage d’Orel’ possède une candeur extrêmement touchante. La poésie naît de leurs jeux d’enfants. Lorsque Gringe fait des sculptures en Babybel, par exemple. Une punchline comme “t’es mon âme-frère”, ce n’est pas juste un jeu de mots à la con, car ça ne fait pas rire : c’est poétique. »
Le roi des trolls
Mais gardons les violons : FloBer chérit son sens de la dérision. Il l’offre au Studio Bagel, au fil de sketchs « gol-ris » qui lui permettent de sublimer ses comédiens, « les premiers véhicules des personnages« . Sous sa plume éclate le talent burlesque de Kemar, Mister V et Jérôme Niel, idoles des jeunes. FloBer n’a jamais délaissé le concept-Suricate, celui d’un comique sans limites. Il le prouve lorsqu’en 2016, Gaumont l’engage pour réaliser le clip-promo de Brice de Nice 3.
Accompagné de Julfou et adoubé par Jean Dujardin, l’auteur imagine une fausse version piratée du film, et la diffuse sur YouTube. Durée, intro, générique de fin, timecode, la contrefaçon est parfaite. Le buzz fracassant. Et le spot, expérimental : « mon premier long est un plan-séquence d’une heure vingt avec un acteur oscarisé !« , s’amuse l’intéressé. Le « plus grand troll du cinéma français » navigue dans un décor blanc, tourne en rond, s’ennuie, casse des objets, sur de longues plages de plans fixes. A deux doigts de l’art contemporain.
« C’était un pari fou. L’idée d’un faux leak ça ne s’était jamais fait. Ca n’avait aucun sens que ça existe, il fallait donc que ça existe. On a quand même fait une vidéo réservée à ceux qui voulaient voler le film, alors que les distributeurs ont très peu d’humour concernant le piratage. Et voir Dujardin tenir son personnage durant plus d’une heure, c’est une sacrée performance »
https://www.youtube.com/watch?v=vPVVLFN6XGQ&t=2321s
Cette alternance entre drame et comédie, FloBer y tient. Tout en guettant d’un œil le cinéma, il scénarise deux séries prévues pour septembre, dont une plutôt douce-amère « à la Community« . Parti quelques jours aux States afin de shooter pour Netflix les spots du futur spectacle de Gad Elmaleh, il nourrit l’envie de proposer un jour une série à la « Master of None« , harmonie entre sentiments et drôlerie. « C’est cette alternance qui me permet de rester en vie » confesse-t-il. En fouillant un peu, nous lui trouvons un âme-frère parfait : l’un des romantiques timides du sketch de Suricate, Les nouveaux princes charmants. Incarné par son ami Raphaël Descraques, il nous souffle le mot de la fin :
« J’ai l’impression qu’il faut que je fasse une blague, là, tout de suite. Parce que sinon, l’ambiance est un peu trop sérieuse et tout. Si je fais pas de blagues, c’est juste triste quoi… »
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