Dans les années 1980, cette jeune performeuse inventait les ateliers drag-king. Depuis, elle n’a jamais cessé de questionner le genre.
Le récit que la psychopathologie exige de nous veut que nous soyons nés comme ça, que nous étions comme ça, que nous sommes nées petites filles mais que nous voulions être petits garçons. Mais ça n’a pas été comme ça. Nous ne voulions pas être simplement des petits garçons. Nous ne voulions pas changer de maître, nous désirions, comme dirait Brecht, n’en avoir aucun.
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Détruire le mètre étalon, déboulonner les idoles, en finir avec la tradition. Nous désirions changer le vieux théâtre de l’oppression pour un nouveau théâtre de la liberté. Nous rêvions de révolution et la révolution transféministe n’allait pas commencer sur les barricades mais dans les salons de massage et les clubs de strip-tease.
On l’appelait “Tornade”
En 1979, alors que le virage néolibéral était déjà plus probable que l’été de l’amour, une jeune Ecossaise dénommée Diane Torr gagnait sa vie en tant que “go-go girl” dans les bars des quartiers ouvriers du New Jersey. On l’appelait “Tornade” parce qu’elle était la plus forte et la plus musclée de toutes les danseuses, au point qu’il arrivait que les clients la prennent pour un homme. Diane Torr fut une des premières artistes à extraire un savoir des clubs de strip-tease pour en faire une performance critique.
Elle invente alors Mister EE, un personnage qui fonctionnait comme un miroir dans lequel le client des clubs était invité à se regarder – avec un mélange de fascination et de terreur. Chemise bleue, nœud papillon, veste blanche, masque loup et bière à la main… et la moitié du corps dénudé : caleçon blanc taille haute, chaussettes noires tirées sur les mollets, et mocassins. De nos jours, Mister EE rappelle étrangement Donald Trump : un consommateur sexuel, convaincu d’être le roi du mambo, mais que Diane Torr a laissé littéralement à poil, exécutant un strip-tease pour lui-même.
En 1989, Annie Sprinkle photographia pour la première fois Diane Torr en drag-king, assistée du maquilleur et activiste trans Johnny Science – et on raconte que ce fut lui qui inventa le terme drag-king pour désigner la théâtralisation de la masculinité.
Au seuil d’une révolution
A l’intersection de la culture trans et de la politisation du travail sexuel, Diane Torr a inventé, avec Annie Sprinkle, les ateliers Drag King for a Day : des espaces de travestissement et d’expérimentation collective dans lequel un groupe de femmes apprenaient la performance de la masculinité et l’incarnaient dans l’espace public pendant une journée.
Si l’esthétique drag-queen a été en partie neutralisée comme un avatar comique de la culture populaire dominante, les pratiques drag-king, qui questionnent la construction normative de la masculinité dans le contexte des sociétés techno-patriarcales, continuent d’être, trente ans après, des seuils depuis lesquels une révolution se prépare à se mettre en marche.
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