Polémique à Ploërmel. Le Conseil d’État vient d’autoriser le retrait d’une croix en hommage à Jean-Paul II dans cette ville bretonne. La décision a suscité une vague d’indignation sur les réseaux.
La décision était en suspens depuis onze ans. A l’origine de la plainte, André Le Béhérec, un militant laïc et membre du collectif « Libre Pensée du Morbihan ». Le Conseil d’État devait se prononcer sur la présence d’une croix ornant une place de Ploërmel, commune du Morbihan. Le 25 octobre, le Conseil d’État rend son avis, favorable au démantèlement du signe religieux.
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Chemin de croix
Décision du Conseil d’État – Séparation des Églises et de l’État : https://t.co/gvDkrSLIzN pic.twitter.com/pRPMqLjZaF
— Conseil d'État (@Conseil_Etat) October 25, 2017
Le 28 octobre, le hashtag #MontreTaCroix émerge alors sur les réseaux sociaux pour défendre le monument dressé en hommage au pape Jean-Paul II. Regroupés sous la bannière #MontreTaCroix : des identitaires, des hommes politiques de droite et des catholiques, qui n’ont pas de mots assez durs envers la haute juridiction.
« Dès lors que la croix constitue un signe ou un emblème religieux au sens de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 et que son installation par la commune n’entre dans aucune des exceptions ménagées par cet article, sa présence dans un emplacement public est contraire à cette loi », a estimé le Conseil d’État. Scellant par là même le sort de la croix, et signant la fin d’un long feuilleton. Un feuilleton qui aura entraîné dans son sillage toutes les tensions liées à l’application de la loi sur la laïcité. Et, avec lui, une flopée de fake news. « La plupart des arguments mis en avant sur les réseaux sociaux étaient faux. Lorsqu’il a été dit que cela supposerait le retrait de toutes les croix de France, c’est tout à fait faux », insiste Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la Laïcité.
Balance ta croix
Le réseau social voir alors fleurir nombre photos à l’emblème de la religion catholique. Façon multiplication des pains. Le hashtag n’a pas tant servi à partager des photos du patrimoine français qu’à stigmatiser l’islam. À l’instar de « BlancFier », ou encore de « CtrlAltDroite », qui se présente comme « identitaire, national-conservateur (…) anti-islam », arborant dans son pseudo la grenouille Pepe, signe de ralliement de l’alt-right.
#TouchePasAMaCroix #MontreTaCroix
Défendons le symbole de notre Foi en Terre Chrétienne pas celle des minarets pic.twitter.com/L63UljSQ3A
— Will Morel (@BlancsFiers) October 30, 2017
🚨ACTION🚨Le jour J, j’espère qu'une foule immense encerclera ce monument pour empêcher le retrait de sa croix. RT merci 👍👍👍#MontreTaCroix pic.twitter.com/KTmOgh29dZ
— 🇫🇷 Alt-Droite ✝️ 🚜 (@CtrlAltDroite) October 28, 2017
La laïcité avec deux poids deux mesures, ça suffit ! RT merci 👍👍👍#DefendsTaCroix #MontreTaCroix pic.twitter.com/eT0hRhodvu
— 🇫🇷 Alt-Droite ✝️ 🚜 (@CtrlAltDroite) October 31, 2017
Sont évoqués, pêle-mêle, le génocide des Vendéens, le retour au royalisme, la politique migratoire du gouvernement. Le hashtag sert surtout de déversoir à rancoeurs. Celles des traditionalistes, qui se mêlent à celles de « laïcs » peu raccords avec la notion de laïcité :
https://twitter.com/LydiaGuirous/status/924616687625875456
Jean-Frédéric Poisson, successeur de Christine Boutin à la présidence du Parti chrétien-démocrate, a lui aussi réagi, sur le média d’extrême droite Radio Courtoisie :
Affaire de la Croix de #Ploërmel : c'est une double attaque contre les institutions chrétiennes @radiocourtoisie #MontreTaCroix
— Jean-Frédéric Poisson (@jfpoisson78) October 31, 2017
La qualification d’« islamo-gauchisme » ne s’est pas non plus fait attendre :
https://twitter.com/Paris18__/status/924518806088749056
Le grand détournement
Cet emballement n’a rien d’un épiphénomène: l’extrême droite et les réactionnaires se sont vite emparés de cette nouvelle polémique. La croix de Ploërmel n’est qu’un prétexte pour la fachosphère, qui fait son miel de ce genre de faits divers. « Ce n’est pas la première fois que nous voyons une histoire de ce genre. Celle-là a été très médiatisée, mais il s’agit d’une décision du Conseil d’État somme tout assez classique », confirme Nicolas Cadène.
« Twitter c’est une petite chambre d’écho pour quelques personnes qui vont crier fort », analyse Vincent Manilève, journaliste spécialiste de la culture web, « il est difficile de savoir si les utilisateurs de #MontreTaCroix constituent une frange importante de la population ou non ». Une frange difficilement dénombrable, mais très politisée, selon l’analyse de Dan Hopkins, politologue à l’université de Pennsylvanie.
If you are tweeting about politics, you probably aren't moderate–my new @538politics https://t.co/hOujKrQQNh paper: https://t.co/UXWdX4EWJk pic.twitter.com/aNuh6FuwYe
— Dan Hopkins (@dhopkins1776) November 1, 2017
« Ceux qui tweetent le plus à propos de politique sont les moins modérés », explique le chercheur.
Apaisement local, emballement national
« Il y a une base de revendication religieuse, mais ça été très vite récupéré politiquement « , constate Vincent Manilève. Loin de la clameur de la twittosphère, Patrick Le Diffon, maire de Ploërmel, appelle à l’apaisement. « Ce qui me désole, c’est de voir une flambée de violence verbale sur les réseaux sociaux. On a l’impression qu’il y a deux clans qui s’entrechoquent, entre les pro-statues qui deviennent intégristes, et des anti, qui sont eux aussi intégristes dans leurs propos », constate laconiquement l’édile. « Ce climat passionnel, je ne l’ai pas localement avec les résidents de Ploërmel. Ils sont pas en train de sortir les fourches et de hurler haut et fort », souligne-t-il non sans humour.
Des plaisantins ont profité de la situation pour garnir la timeline Twitter de quelques jeux de mots bien sentis. Une façon salutaire de dédramatiser le débat.
Je découvre –> #Montretacroix, je participe aussi ! pic.twitter.com/Z8HPl4Q1nt
— ☂️ Ben Renaut (@BenRenaut) October 28, 2017
La laïcité en toile de fond
Tandis que le collectif « Libre Pensée du Morbihan » loue le démantèlement de la croix, d’autres prennent la défense des « racines chrétiennes » de la France. « Dans une France de plus en plus déracinée et une république toujours plus déculturée, le christianisme devient l’impensé national« , s’attriste Jean-Pierre Denis, directeur de l’hebdomadaire chrétien de La Vie. Nadine Morano a d’ailleurs profité de la polémique pour proposer l’inscription des racines chrétiennes de la France dans la Constitution.
"La France a des racines chrétiennes" que la France devrait inscrire dans la Constitution, selon Nadine Morano #8h30politique pic.twitter.com/L2AMaj9VWQ
— franceinfo (@franceinfo) November 1, 2017
Nicolas Cadène balaye d’un revers cet argument. « Dire que l’Église catholique a eu une influence considérable sur notre pays est une réalité. En revanche, cela ne signifie pas que les racines de la France ne seraient que chrétiennes », rappelle le spécialiste de la laïcité.
« Assumons le fait d’appartenir à un pays de culture chrétienne », a encore martelé Geoffroy Didier, soutien de Laurent Wauquiez à la présidence des Républicains (LR), samedi soir sur le plateau d’On n’est pas couché. « Demander d’enlever la croix à une statue de Jean-Paul II. Mais où sommes-nous? On est devenu fou. (…) Bientôt on va demander d’enlever les croix sur les panneaux de signalisation », s’est emporté l’ancien sarkozyste. Laurent Ruquier s’empresse alors de conclure : « Parfait, je pense que tout le monde est à peu près d’accord là-dessus ». Rien n’est moins sûr.
(À la 43e minute).
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