“After”, récit écrit et diffusé sur la plateforme communautaire Wattpad, sort aujourd’hui en France en version imprimée. Mais qui est l’auteur de cette œuvre virale inspirée d’un membre de One Direction et déjà lue plus d’un milliard de fois sur internet ?
Vous vous demandez peut-être ce qui occupe tant d’ados qui pianotent en permanence sur leur téléphone portable ? Ils pourraient être en train d’écrire – ou de commenter – le prochain best-seller international sur Wattpad, une pateforme communautaire de partage de récits qui compte 35 millions d’usagers – dont 80% ont moins de 25 ans. C’est en effet sur son téléphone portable qu’Anna Todd, une Américaine de 25 ans qui vit dans un village près d’Austin au Texas, a écrit After, une fanfiction qui a été lue plus d’un milliard de fois sur Wattpad, publiée ce 2 janvier aux éditions Hugo & Cie en France. “Fanfiction” ? Il s’agit de récits écrits par des fans qui s’inspirent des personnages littéraires, cinématographiques ou des célébrités qu’ils affectionnent. Cinquante nuances de Grey était par exemple à l’origine une fanfiction inspirée de Twilight – ses personnages principaux étaient Edward Cullen et Bella Swan.
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La source d’inspiration principale d’After est Harry Styles, membre à la mèche rebelle de One Direction. Les épisodes, lisibles en dix minutes, racontent une histoire d’amour tortueuse entre la version punk du chanteur, rebaptisé Hardin dans le livre – un bad boy alcoolique, affublé de piercings et de tatouages – et Tessa, une jeune fille brillante et ambitieuse qui en tombe amoureuse lorsqu’elle arrive à la fac. Forte d’une communauté de fans hyper-engagés qui se comptent par centaines de milliers, Anna Todd a vendu son récit en octobre dernier à la maison d’édition américaine Gallery, pour “une somme à six chiffres”, et Paramount Picture a acquis les droits de le porter à l’écran. Mais qui est Anna Todd, et comment expliquer ce succès phénoménal ?
« J’ai commencé à lire des fanfictions sur Instagram »
Cette jeune Américaine qui a grandi a Dayton, dans l’Ohio, n’avait pas prévu de devenir écrivaine. Mariée à 18 ans à un soldat américain, elle s’est inscrite à l’université centrale du Texas en espérant devenir la première diplômée de sa famille, en vain. Alors qu’elle s’ennuie dans son travail de maquilleuse dans un magasin, elle commence à lire des récits de fanfiction sur Instagram, comme elle l’explique dans une interview pour le site Re/code : “J’étais une lectrice avide et j’ai commencé à lire des fanfictions, en particulier des fanfictions de One Direction, sur Instagram”. Elle décrit ainsi cette pratique culturelle minimaliste dont les ados sont de plus en plus friands : “Vous postez une légende sous une photo, et cela devient un minuscule petit chapitre”.
Quand les auteurs de ces histoires basculent sur Wattpad, une plateforme créée en 2006 sur laquelle des centaines de milliers d’histoires sont publiées chaque jour pour le plaisir de millions de lecteurs, Anna Todd suit le mouvement. Elle se crée un compte sous le pseudonyme “Imaginator1D” (“1D” pour One Direction, dont elle est fan) et s’adonne pendant cinq mois à une lecture intensive, jusqu’à trouver que les histoires n’avancent pas assez vite :
“Je lisais plusieurs histoires à la fois et j’ai commencé à m’impatienter en attendant leur actualisation. J’ai donc pensé à écrire moi-même quelque chose pour m’amuser. Je l’ai écrit et posté, et je n’avais aucune idée de ce à quoi je m’aventurais”.
« J’écris sur mon téléphone quand je vais à l’épicerie »
Très vite elle attrape le virus de l’écriture et de l’interaction avec sa communauté de fans, et publie presque quotidiennement un chapitre (au plus fort de son inspiration), écrit en « deux-trois heures » (comme elle le confie dans un questions-réponses publié sur Wattpad) et lisible en dix minutes. Sa méthode, centrée sur la spontanéité (coquilles inclues), est intimement liée à son héritage de lectrice, et à l’usage intensif qu’elle fait de son téléphone portable :
“Je suis une lectrice transformée en écrivaine. J’écris sur mon téléphone quand je vais à l’épicerie, où dans ces moments où l’on s’ennuie en se promenant. Les coquilles n’avaient pas d’importance, parce que c’était juste un exutoire créatif”.
C’est ainsi qu’elle tient en haleine une communauté grandissante de fans qui l’encouragent et critiquent positivement son histoire sur Wattpad. Elle a désormais 213 000 abonnés sur Twitter, 264 000 sur Instagram, et 582 000 sur Wattpad. Sur Twitter ses fans se réunissent sous le hashtag #Hessa (contraction de Tessa et Harry, les deux personnages principaux).
Horizontalité et spontanéité sont ses maîtres mots. Dans une auto-interview publiée sur Wattpad où elle répond aux questions de ses fans, elle conseille aux apprentis-wattpaders :
“Écrivez juste ce qui vous passe par la tête. C’est à peine si je relis un chapitre avant de le publier, car cela me donne l’impression de trop réfléchir aux choses, de trop éditer ou d’essayer d’utiliser trop de mots qui peuvent ruiner l’histoire”.
Le bouche à oreille fonctionne à plein régime, et bientôt ses épisodes sont dévorés par des dizaines de milliers de lecteurs qui interagissent avec elle. Le succès remporté par After est tel qu’il inquiète les fans de One Direction, préoccupés par la mauvaise image renvoyée par le personnage d’Harry Styles. Sur Twitter certains se sont ralliés sous les hashtags #AntiAfter et #SuspendAnnaTodd, et une pétition a été lancée contre son adaptation cinématographique.
Pourtant pendant longtemps Anna Todd n’en parle pas à son mari : “[Il] pensait juste que j’avais une addiction à mon téléphone ou quelque chose comme ça, il ne se doutait pas que j’écrivais des livres entiers jusque là” s’amuse-t-elle dans son interview pour Re/code. Son hobby devient cependant chronophage, et elle convient avec son mari de démissionner pour se consacrer pleinement à l’écriture.
« Je ne sais écrire que socialement »
En réalité presque la moitié du temps qu’elle consacre à After consiste à interagir avec ses fans : “Je ne sais écrire que socialement, et en recevant des réactions directes”, confie-t-elle au New York Times. Ce souci de se mettre à égalité avec ses lecteurs est caractéristique de l’univers des fanfictions, et de son identité de lectrice-wattpader. Interrogée par le New York Times dans un autre article, elle déclare ainsi : “Si vous ne parlez pas à vos lecteurs et si vous ne leur montrez pas que vous êtes comme eux, ils peuvent perdre de l’intérêt”.
Sa préoccupation d’inclure sa communauté influence le contenu même de son histoire. Les commentaires consécutifs à la publication de ses épisodes lui servent parfois de jauge pour décider des événements du prochain chapitre, comme elle le confie à Re/code : “Si [mes lecteurs] en avaient plus après tel personnage, je faisais faire à un autre personnage quelque chose pour qu’ils le détestent autant”.
Dans son auto-interview, elle met aussi un point d’honneur à maintenir un rythme de publication élevé. Elle en a fait sa devise : “Actualiser, actualiser, actualiser. Je déteste quand je dois attendre qu’une fanfiction soit mise à jour. Plus on attend, moins les lecteurs aiment ça”.
On peut alors s’interroger sur l’opportunité de publier sous forme de livre sa fanfiction, tant cette pratique culturelle ne correspond pas à ce support traditionnel. Pourtant, avec 180 000 exemplaires tirés en France, ce sera la plus grosse production de la rentrée d’hiver, devant le nouveau roman de Michel Houellebecq, et son livre fait un carton aux Etats-Unis. A croire qu’à l’avenir, la consistance de la communauté de fans d’un auteur pourrait être aussi importante que la qualité de son manuscrit…
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