Du retrait des salles obscures de “Baise-moi” de Virginie Despentes à l’annulation du visa d’exploitation de « La vie d’Adèle », André Bonnet est de tous les combats judiciaires contre ce qu’il estime être une promotion de “la violence et du sexe” au cinéma. Rencontre et portrait de cet infatigable procédurier, ancien militant d’extrême droite aux multiples casquettes.
[Après Love, La Vie d’Adèle, Antichrist, l’association Promouvoir d’André Bonnet a annoncé samedi avoir fait un recours contre le visa d’exploitation du dernier film de Quentin Tarantino, Les Huit salopards]
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L’homme qui est parvenu à obtenir l’interdiction aux moins de 18 ans du film Love de Gaspar Noé est du genre discret. Connu sous deux patronymes, André Bonnet, qui se fait également appeler Patrice André, est la nouvelle bête noire des distributeurs français. « On a l’impression qu’il a désormais plus d’influence que la ministre de la Culture ou le CNC, c’est l’homme qui décide de la classification des films en France », s’inquiète Vincent Maraval, producteur et distributeur du film Love. Depuis une quinzaine d’années, cet avocat au barreau de Marseille s’est lancé dans une croisade contre la violence et le sexe au cinéma via son association Promouvoir. Son credo : « La défense des valeurs judéo-chrétiennes. » Méfiant, André Bonnet ne répond habituellement que par mail aux sollicitations médiatiques. Le 6 août dernier, il a décidé de faire une exception.
Alors que le soleil est au zénith en ce début d’après-midi, ce sexagénaire à l’allure alerte, nous attend au pied d’un escalier de la gare d’Avignon. Sourire en coin et sacoche en cuir dans la main gauche, André Bonnet nous propose de prendre sa voiture pour aller discuter dans un restaurant du centre ville. Au moment de mettre le contact, on lui demande tout de même la signification du médaillon qui pend sous ses clés de voiture. « Saint Christophe, le saint patron des voyageurs », répond-il gêné. Arrivé à bon port dans un bistrot situé à quelques encablures du palais des Papes (merci Saint Christophe), André Bonnet accepte de se raconter autour d’un jus d’orange.
De l’étude du « mal chez Platon » à Baise-moi
Magistrat, avocat, ancien membre de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) mais aussi auteur de six livres allant de la Constitution européenne aux manuels d’apprentissage de l’espagnol en passant par des recueils de poésie spiritualiste, André Bonnet est un personnage aux multiples casquettes. Même s’il se souvient « avoir très mal réagi » à la sortie en salle de La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese en 1988, il ne découvre sa vocation qu’en 1995.
Ce juriste, titulaire d’une maîtrise de philosophie dont le mémoire portait sur « le mal chez Platon » se met alors à scruter de près les activités culturelles de sa ville de Carpentras. Catho tradi, il plaide pour la censure de l’exposition de Jean-Marc Bustamante qui reposait sur l’installation d’un camion au milieu d’une chapelle. Un an plus tard, André Bonnet fonde l’association Promouvoir qu’il présidera jusqu’en 2004. « C’est au cours de rencontres avec des parents d’élèves d’enfants allant dans la même école que les nôtres que l’idée de faire quelque chose s’est imposée. Nous étions tous opposés à la prolifération de la violence et du sexe dans la culture, explique André Bonnet. Pour défendre leur avenir, nous avons donc décidé d’agir et de monter une association. Dès lors que j’étais juriste, il était naturel que je prenne en charge l’aspect juridique et nous avons rapidement déposé les statuts ». La suite est une litanie de procès.
Procédurier accompli, Bonnet fait condamner la Fnac d’Avignon pour vente aux mineurs de BD jugées « violentes et pornographiques ». Mais c’est véritablement en 2000 que son combat prend une tournure nationale avec l’affaire Baise-moi. Alerté par téléphone des scènes de sexe du film par l’association Familles de France, André Bonnet se charge de porter l’estocade. Scandalisé par la « pornographie et la violence » du film de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, le patron de l’association Promouvoir dépose une plainte et obtient l’annulation de son visa d’exploitation par le Conseil d’Etat. « Le film a été classé X et il a été retiré des salles après seulement deux jours, ça a entraîné sa mort immédiate, se souvient Virginie Despentes. On ne s’attendait pas à ce qu’une personne isolée puisse obtenir aussi rapidement son retrait des salles. » A la suite de cette interdiction, la classification aux moins de 18 ans est créée. Elle permet la commercialisation de films avec des scènes de sexe en salles mais avec de plus larges restrictions.
« Je suis comme Maximus »
Dans la foulée de cette victoire, André Bonnet fait ses premières apparitions télévisées. Le 13 mars 2001, il est invité sur le plateau de Ciel mon mardi ! de Christophe Dechavanne pour une « confrontation » avec la réalisatrice Catherine Breillat qu’il venait d’assigner en justice pour avoir mené une campagne en faveur du film de Despentes. Ce jour-là, André Bonnet débarque endimanché dans l’arène. Costume bleu nuit à épaulettes, cravate à pois et montre à phase de lune au poignet gauche, il n’a rien laissé au hasard. « Je me sens un peu comme dans le film Gladiator, annonce-t-il sur le plateau. Au début quand Maximus arrive dans l’arène, il est hué par la foule mais j’espère qu’à la fin, vous aurez l’honnêteté intellectuelle de m’ovationner.” Mais ce jour-là, les applaudissements escomptés ne viendront pas. Ses propos, « la pratique homosexuelle est contraire à la nature » puis « il y a un lien manifeste, une corrélation statistique, entre homosexualité et pédophilie », scandalisent l’assistance.
L’homosexualité, l’autre combat de Promouvoir
André Bonnet a toujours lié son combat contre la « pornographie » à celui contre l’homosexualité. Si le site de son association est aujourd’hui inacessible, naviguer dans le cache de Google permet d’en lire les anciennes publications. Dans un article intitulé « La pornographie, ce fléau », l’association Promouvoir déclare ainsi que « le caractère artificiel des relations qui découle (du porno – ndlr), décourage un nombre croissant de jeunes gens avec un dégoût pour le sexe opposé qui conduit tout droit à l’homosexualité, masculine ou féminine, dont il est l’un des agents déclencheurs.”
Sous le pseudonyme de Patrice André, André Bonnet est d’ailleurs intervenu lors des discours de la Manif pour tous à Paris en déclarant que ce combat était un « moment historique parce que comme nos aînés au siècle dernier, ceux qui ont tenté de s’opposer à la montée du nazisme, la montée du marxisme-léninisme, nous avons à faire face à un danger qui menace l’avenir de nos enfants, l’avenir de toute notre société.” Pour justifier de l’emploi d’un pseudonyme, il raconte : « J’ai été contraint de prendre un nom d’emprunt afin de différencier mes activités judiciaires (président de la VIe chambre du tribunal administratif de Marseille – ndlr) et mes activités personnelles.” Il démissionnera de la VIe chambre du tribunal en 2013.
De Villiers à Mégret en passant par la case FN
Se revendiquant comme un « homme d’extrême droiture », André Bonnet affirme ne mettre « aucune idéologie » dans son combat. Les deux se confondent pourtant. Après un passage au Centre national des indépendants (CNI), il milite à la droite de la droite. Chez le Mouvement pour la France (MPF) de Philippe de Villiers d’abord puis au Front national (FN) à partir de 1997. En pleine guerre interne entre mégrétistes et lepénistes, il prend le parti du polytechnicien contre le vieux patriarche. « Bruno Mégret a tout de suite adoré André Bonnet et l’a rapidement intronisé au sein du bureau politique, se souvient un ancien cadre mégrétiste. Il appréciait sa droiture et son efficacité.” En 1999, à la suite du congrès de Marignane qui fonde son nouveau mouvement (le MNR), Bruno Mégret le place juste en face de lui lors du dîner. Secrétaire national aux institutions, André Bonnet multiplie les rapports « très pointus » sur l’actualité. Et Mégret ne tarde pas à récupérer les « victoires judiciaires » de son protégé. Le 27 août 2000, lors de l’université d’été du Mouvement national républicain à Quimper, le méticuleux technocrate se fait lyrique quand il s’agit d’évoquer le retrait des salles de Baise-moi obtenu par son « ami » André Bonnet :
“Nous défendons les valeurs les plus sacrées qui fondent notre civilisation européenne et chrétienne, plastronne Mégret. Vous le savez, c’est grâce à l’un des nôtres, notre ami André Bonnet, que le film “Baise-moi” a pu être classé X et interdit de diffusion ! Et que l’on ne se trompe pas sur le sens de cette victoire ! (…) Le film en question était un film d’une pornographie et d’une violence totales (…) Et tout cela allant de pair avec l’instauration du Pacs, avec la promotion de la gay pride, avec le débat qui s’ouvre sur l’adoption d’enfants par les couples homosexuels. Mais dans quel pays est-on ? Et qui sont donc ces politiciens qui prétendent nous gouverner pour mettre ainsi en cause, contre la volonté d’une majorité de Français, les valeurs traditionnelles de notre pays ?”
Il se déchire avec Mégret au sujet de Houellebecq
Mais la lune de miel entre Bonnet et Mégret tourne court lorsqu’en 2001, Promouvoir décide de s’attaquer à la littérature. Une première depuis 1994. André Bonnet porte plainte contre Michel Houellebecq et son roman Plateforme (Flammarion). Problème, le MNR l’a encensé dans sa revue interne, Le Chêne. André Bonnet débarque alors furibard au siège national du MNR, dans le grand immeuble de sept étages de la rue de Cronstadt dans le XVe arrondissement de Paris. Il demande à Mégret de publier dans Le Chêne un article au vitriol où il écrit que « Houellebecq est à Conrad ce ce que le crachat est à la rosée du matin ». Grand admirateur de l’auteur de l’Extension du domaine de la lutte, Bruno Mégret refuse. « C’est le moment où nous nous sommes rendu compte qu’André Bonnet avait une certaine difficulté à distinguer la lettre et l’esprit, se souvient un ancien rédacteur du Chêne. Il croit que s’il y a une scène de cul, c’est forcément monstrueux alors que Houellebecq montrait plutôt l’anomie du monde moderne. C’est un esprit binaire qui n’a aucune sensibilité.” Désavoué, André Bonnet claque la porte du MNR quelques mois plus tard. Aujourd’hui, il dit ne trouver “aucun parti politique qui corresponde à son idée du bien commun”.
« Daech annonce ce qui se passera un jour en France »
Revendiquant entre « 350 et 450 adhérents » au sein de l’association qu’il a fondée et qu’il représente en tant qu’avocat, André Bonnet continue de mener son combat en solitaire. « L’association a un fonctionnement parfois irrégulier, faute de moyens, explique-t-il. Ses actions dépendent surtout du travail de veille et d’alerte de ses membres. Elle est ainsi passée complètement à côté de L’Inconnu du lac, par exemple ».
Marié à 20 ans, père pour la première fois à 21 ans (il a 8 enfants aujourd’hui), André Bonnet croit en la fidélité et n’aime pas « s’exposer à la tentation ». Traditionaliste, il va à la messe selon le rite latin tous les dimanches où il joue de la flute et où sa femme s’occupe de la chorale. Ardent promoteur des valeurs chrétiennes, il n’éprouve cependant pas la même compassion quand il s’agit d’évoquer l’islam. Il estime ainsi que « Daech applique le Coran, car les versets les plus guerriers de la deuxième période de la vie de Mahomet sont regardés comme ayant ‘abrogé’ ceux de la période antérieure. Le risque existe réellement de son implantation en France ». Et quand on l’interroge pour savoir s’il croit à un islam de France, il répond : « J’espère qu’il y aura une conversion des musulmans au christianisme car la plupart d’entre eux ne partagent pas ce goût pour la violence et rejettent en même temps la décadence morale certaine des sociétés occidentales. »
Faute de temps, André Bonnet a cependant décidé de se consacrer exclusivement à son combat contre la violence et le sexe – avec un certain succès. Sur son tableau de chasse, on compte le scalp de Nymphomaniac 1 (passé de -16 à -18 ans), Ken Park (de -16 à -18 ans) mais également Saw 3D dont le Conseil d’Etat a annulé le visa. « Pour des raisons techniques (juridiques) c’est notamment sur cette question du cinéma que je peux sans doute apporter beaucoup actuellement, mais me rendre dans une salle pour aller voir des films tels que Love n’est pas loin de causer en moi un certain désespoir, assure-t-il. Malheureusement, il faut une compétence juridique et technique telle que la mienne pour pouvoir agir ensuite utilement et défendre les enfants qui sont les premières victimes de ces films. Des réalisateurs tentent de réintroduire la pornographie dans des circuits de diffusion publique avec l’aval du comité de classification des films. »
Pour financer ses combats, André Bonnet compte sur les subsides de ses adhérents. Dans le bulletin interne de l’association Promouvoir daté de février 2015, on peut lire un appel pour obtenir « rapidement cotisations et dons ». « Il faut nécessairement avoir un avocat devant la cour administrative d’appel ou le Conseil d’Etat, et ces affaires sont de plus en plus techniques, avec un coût important », insiste la revue (lisible ci-dessous).
« Quand vous tapez ‘genou’ sur internet, vous tombez sur du porno »
C’est également par le biais de cette lettre interne que des appels à témoins sont lancés auprès des enfants qui auraient été choqués par la projection de films contenant des scènes de sexe. S’appuyant sur le témoignage d’une fille de 12 ans et demi qui aurait refusé de s’alimenter après avoir vu La Vie d’Adèle, André Bonnet a ainsi pu porter plainte. « J’ai également tenté de contacter Léa Seydoux pour qu’elle témoigne contre le film et les conditions de tournage mais son agent a fait barrage », regrette l’avocat.
Aujourd’hui, André Bonnet cherche également la parade pour s’attaquer au porno sur internet. « Quand vous tapez ‘genou’ sur internet, vous tombez sur un site porno. Or le porno peut être destructeur également pour les adultes.” Avant d’ajouter sûr de lui : « Si vous regardez assidûment du porno, vous finissez par croire que la fille que vous croisez dans la rue est dans les mêmes dispositions d’esprit que vous. Le cas de Ted Bundy, aux Etats-Unis, est célèbre, mais n’est pas isolé, tant s’en faut : la consommation de pornographie peut aboutir à une véritable addiction chez des esprits vulnérables et entraîner des actes de violence extrême.”
Quand on l’interroge pour savoir s’il en a déjà visionné, Bonnet répond : « J’ai eu la chance de ne pas en voir et je m’abstiens d’en regarder. Je sais que ça va me faire du mal et que ça va polluer ma vision de l’amour.” Il ajoute : « Un jour dans un TER, j’ai été amené à parler un peu longuement à une lycéenne de première, qui révisait son baccalauréat de français. Après un passage en revue de certains auteurs qu’elle avait à son programme, nous en sommes arrivés à évoquer ce que pouvait être l’amour véritable, et elle a été très étonnée que j’attire son attention sur le lien entre amour et fidélité, sur l’importance de la durée et sur le fait que surmonter des obstacles inévitables permettait ensuite d’accéder à un degré supérieur de cet amour. Elle était plus qu’étonnée, d’ailleurs, m’affirmant que personne ne lui avait jamais tenu un tel discours ! Mais le plus étonnant est que d’autres personnes dans la rame, entendant la conversation, ont demandé à y assister, en expliquant eux aussi que l’idéal que je décrivais était partout voué à la dérision ou ignoré. Au bout de trente minutes, pas moins de vingt personnes, pour les trois quarts des adultes, avaient rejoint le cercle, en déclarant qu’on n’entendait plus nulle part un tel discours! »
https://www.youtube.com/watch?v=Os-YiEfSSsU
« André Bonnet prive les jeunes d’une vision positive de la sexualité »
Si en dehors du Front national les soutiens politiques ne se bousculent pas au portillon de Promouvoir, cet « électron libre » risque de nuire à la capacité de création selon les réalisateurs qui en sont « victimes ». « De nombreux réalisateurs ont de l’appréhension à travailler sur la sexualité car ils craignent les conséquences économiques d’une interdiction, explique Virginie Despentes. Contrairement à lui, je regarde du porno et en interdisant des films comme celui de Gaspar Noé, André Bonnet prive les jeunes d’une vision positive et esthétique de la sexualité.” Attablé à la terrasse d’un café nommé Napoléon, Gaspar Noé est atterré par ce combat qu’il juge totalement anachronique : « André Bonnet ressemble à un personnage de série B qui aurait été aspiré par la machine à remonter le temps et qui se serait retrouvé soixante ans plus tard en 2015. Il ne comprend pas la société actuelle.”
Au terme de deux heures d’entretien avec André Bonnet, on finit par lui demander s’il connait les applications de rencontres géolocalisées comme Tinder ou Happn massivement utilisées par la jeunesse aujourd’hui. Devant son hésitation, on lance l’appli. Alors que les profils de filles défilent sur l’écran de notre smartphone, André Bonnet se redresse et conclut : « Vous savez, c’est comme la vague géante dans le film Interstellar. Cette vague, ce n’est pas moi qui l’ai créée, ce n’est pas moi qui l’arrêterai tout seul.” En prélude d’un de ses recueils de poésie Impressions de jours de peine, André Bonnet avait choisi une métaphore maritime pour présenter son œuvre : « Dans le chaos des rames, vous vous enfoncez. Mon cœur se brise : la dernière vague roulera-t-elle vide aux pieds de Dieu? ».
David Doucet
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