Alexeï Navalny a été condamné à 30 jours de prison pour avoir appelé à manifester contre la corruption politique et économique en Russie. Ce blogueur se dresse aujourd’hui face au Kremlin. Retour sur son parcours.
Le 12 juin dernier en Russie, ils étaient plusieurs dizaines de milliers à répondre à l’initiative lancée par l’avocat et blogueur Alexeï Navalny. Le principal opposant au Kremlin avait invité à manifester contre la corruption du gouvernement le jour de la fête nationale. Le bilan a été lourd. Selon plusieurs activistes des droits de l’homme, plus de 1700 personnes auraient été arrêtées à Moscou et Saint-Pétersbourg. Les forces de l’ordre sont allées jusqu’à confisquer un canard gonflable géant. Brandi par les manifestants comme un symbole de la corruption, il fait référence à la volière construite par le ministre Medvedev dans sa gigantesque propriété.
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This duck, in honor of Medvedev's infamous duck house, was also arrested pic.twitter.com/BKUpCr14Up
— max seddon (@maxseddon) June 12, 2017
À peine s’est-il aventuré hors de son appartement qu’Alexeï Navalny s’est fait embarquer par la police, comme en témoigne cette photo postée sur Twitter « Joyeuse Fête de la Russie!« .
С Днём России! pic.twitter.com/CkfZXT6EKo
— Alexey Navalny (@navalny) June 12, 2017
Le dissident russe a été condamné à une lourde amende pour organisation de manifestation non autorisée puis à 30 jours d’emprisonnement pour avoir opposé une résistance pendant son arrestation. Nonchalant, il se serait seulement désolé de ne pas pouvoir assister au concert de Depeche Mode, selon une déclaration de son avocat rapportée par Courrier International. Il a également félicité les manifestants en twittant depuis sa cellule : “Les voleurs [le parti] se défendent de cette manière. Mais on ne peut pas stopper ceux qui luttent contre la corruption. Nous sommes des millions.”
Много людей задержали сегодня. Это понятно – воры так защищают себя. Но всех, кто против коррупции задержать нельзя. Нас миллионы.
— Alexey Navalny (@navalny) March 26, 2017
Chef de file du mouvement anti-corruption
Alexeï Navalny est célèbre pour avoir révélé de nombreuses affaires de corruption impliquant de grandes entreprises et des hommes du gouvernement russe. En 2011, il a créé la fondation anti-corruption (FBK), une ONG qui s’emploie à publier des enquêtes dénonçant différents cas de corruption. Le directeur exécutif du FBK, Vladimir Achourkov, nous a expliqué son fonctionnement.
« Depuis sa création début 2012, la fondation dépend exclusivement des donations de citoyens russes. Nous avons 30 personnes qui travaillent en ce moment dans nos bureaux à Moscou. Nous utilisons diverses techniques de financement participatif pour payer nos équipes et nos frais généraux. »
Le FBK reprend à plus grande échelle un travail entamé il y a maintenant 10 ans par Alexeï Navalny. Une campagne anti-corruption qui débute lorsque l’avocat décide de devenir actionnaire de trois entreprises russes : Gazprom (gaz), Rosneft (pétrole) et Transneft (transport de pétrole). Il s’est rapidement rendu compte que les compagnies, malgré leur accès quasi-exclusif aux vastes ressources naturelles du pays, lui reversaient un dividende relativement faible. Après avoir appris que Transneft versait 300 millions de dollars à une association de charité en 2007, Navalny a demandé à connaître le nom des bénéficiaires. Un droit censé être accordé à tous les actionnaires de la compagnie, et qui pourtant lui a été refusé à maintes reprises. Après plusieurs procès (en vain), c’est la presse qui a finalement révélé le nom des deux organisations qui auraient perçu ces 300 millions : Assistance Fund (une organisation à la fonction inconnue) et Kremlin-9 Fund (une organisation qui soutient les services secrets fédéraux).
Ainsi commence la tâche laborieuse à laquelle Navalny se consacre. L’ensemble de ses enquêtes anti-corruption est révélé sur son blog RosPil ou sur son compte Youtube. Rapidement, son travail a pris de l’ampleur et lui a conféré une légitimité politique. Le directeur exécutif du FBK évoque :
« Avec le temps, il est apparu comme un véritable chef de file du mouvement anti-corruption, capable de transformer la frustration du public face à la corruption économique et politique de notre pays, en un mouvement politique cohérent.«
La petite (façon de parler) datcha de Dmitri Medvedev
L’année dernière, Navalny était à l’origine d’une affaire particulièrement scandaleuse. Dans une vidéo youtube, le FBK a diffusé des images aériennes de l’une des résidences de Dmitri Medvedev, ancien président de la Fédération de Russie et actuel premier ministre. Une marina privée, une piste de ski, trois héliports, une volière, un hôtel, plusieurs maisons, le terrain occupe en tout 80 hectares alors que Medvedev en avait déclaré 2.
Selon le FBK, ce gigantesque complexe a été acheté sous le nom de l’association Dar avec l’argent des actionnaires de Novatek, société de gaz indépendante. Difficile d’estimer son prix qui pourrait avoisiner les 33 milliards de roubles (soit plus de 500 millions d’euros).
Avec cette enquête, la notoriété de Navalny a considérablement grimpé et lui a permis de rassembler un très large mouvement lors des manifestations anti-corruption, considère Vladimir Achourkov.
« On peut mesurer l’efficacité de ses enquêtes et de leur réception auprès du public par le nombre de vues qu’il reçoit sur Youtube. Une enquête sur l’avocat général Russe de la Chaika en décembre 2015 avait attiré 10 millions de vue, alors que la dernière grande enquête sur le Premier ministre Dmitri Medvedev a fait plus de 27 millions de vue.«
Avant le FBK
Né en 1976, Alexeï Navalny a grandi dans différentes villes militaires autour de Moscou. Dans une interview au New Yorker, il explique avoir compris très jeune comment fonctionnait la société, notamment pendant ses études en droit. « Pour réussir son année, il suffisait de passer un billet de 50 dollars dans le livret d’examen. » Il a ensuite travaillé dans une agence immobilière à Moscou avant de devenir trader à plein temps.
En 1999, il a rejoint le parti libéral Iabloko, qui se présente comme fervent défenseur de la démocratie et de la justice sociale. Déçu par le manque de dynamisme du parti, il fonde son propre mouvement avec Maria Gaidar, Da!. Tous deux ont pour objectif de proposer un lieu de socialisation et de débat pour les jeunes Russes libéraux. Leurs réunions prirent fin lorsque des groupes de hooligans et de néo-nazis commencèrent à s’y infiltrer. Entre temps, Navalny est banni du parti Iabloko qui le sanctionne pour une attitude et des propos trop nationalistes. Il se consacre alors pleinement à sa campagne anti-corruption.
Candidat aux présidentielles de 2018 ?
En 2013, Alexeï Navalny est parvenu à remporter 27% des voix aux élections pour la mairie de Moscou, un résultat qu’il a d’ailleurs contesté en dénonçant une falsification des votes. Sans surprise, ses accusations sont restées sans suite.
Infatigable, Navalny a annoncé se présenter contre Vladimir Poutine aux prochaines élections présidentielles de Russie, prévues pour mars 2018. L’ancien joueur d’échecs Gary Kasparov, élément actif de l’opposition, ne laisse cependant pas de place au doute quant à l’issue du scrutin. « Dernière nouvelle : Poutine déclaré vainqueur des élections de 2018. »
Breaking news: Putin declared winner of 2018 elections.
— Garry Kasparov (@Kasparov63) September 19, 2013
« Son frère est détenu en otage »
Mais le parcours jusqu’à la présidentielle est semé d’embûches. Alexeï Navalny a déjà fait l’objet de plusieurs accusations de détournement de fonds dont l’une lui a valu une condamnation à 5 ans de prison, peine commuée en sursis en appel. Son frère, Oleg Navalny, s’est fait condamner fin 2014 pour délit financier dans une affaire concernant la filiale russe d’Yves Rocher.« Il y a beaucoup de cas où des activistes sont jetés en prison pour des motifs purement politiques », rappelle Vladimir Achourkov.
« Il est évident aujourd’hui que le frère de Navalny, qui purge une peine de 3 ans et demi pour un crime qu’il n’a pas commis, est détenu en tant qu’otage. Les autorités essayent ainsi de soumettre Navalny et de contrôler ses activités.«
On se rappelle encore le cas de Boris Nemtsov dont les circonstances d’assassinat ne sont toujours pas claires. Comme le décrit Achourkov, la bataille d’Alexeï Navalny pèse dangereusement sur sa vie.
« Alexeï a souffert de nombreuses attaques personnelles, la dernière ayant mené à la perte de vision quasi-totale de l’un de ses yeux. C’est évident qu’il encourt un danger tangible en restant en Russie.«
Talon d’Achille ou bouclier, le statut de Navalny pourrait plutôt faire de lui un martyr. Vladimir Achourkov, en revanche, a du se réfugier au Royaume-Uni lorsqu’il a été accusé de détournement de fonds, une affaire qu’il dénonce comme étant montée de toute pièce. Aujourd’hui, il attend que la situation s’améliore pour pouvoir rentrer en Russie.
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