Enfant surdoué de la politique italienne, Enrico Letta vient d’être nommé Président du Conseil. Loin de Silvio Berlusconi et de Beppe Grillo, portrait d’un modéré alliant jeunesse et expérience.
Scandales à répétition, candidatures fantasques et incessants changements de gouvernements… Plus encore que les Français, les Italiens semblent lassés de la routine qui fait, à Rome, de la politique une pièce de théâtre. Outre les sempiternels thèmes de relance économique et d’assainissement de la vie politique, la Botte attendait cette fois, sans y croire vraiment, qu’un souffle de nouveauté balaie la gérontocratie au pouvoir. Mais en Italie rien ne change jamais vraiment. C’est finalement le vétéran Giorgio Napolitano, 88 ans dans quelques jours, qui a été nommé Président de la République italienne… Fin du premier acte et dépit chez les assoiffés de changement.
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Napolitano est chargé de choisir un Président du Conseil. Plusieurs jours durant, il va sonder les uns et les autres, consulter les dirigeants politiques afin de nommer la personne idoine. Pour faire taire les critiques à son égard, le vétéran va choisir un Président du Conseil très jeune pour le contexte italien : Enrico Letta, 46 ans, leader du Parti démocrate (PD – de centre gauche). L’acte II s’achève sur cette manœuvre rusée. Reste à celui que l’on décrit comme un technicien très habile mais peu rigolard d’obtenir la confiance du Parlement. Piège ou aubaine, le plus dur commence désormais pour Enrico Letta : l’acte III.
Mais qui est donc celui que les journalistes italiens appellent « l’enfant prodige » de la politique italienne ? Pour répondre à la question, nous avons interrogé Stefano Montefiori, correspondant du Corriere della Sera à Paris :
« Son style n’est pas sans rappeler celui de Mario Monti : très compétent, Letta est polyglotte (il maîtrise parfaitement l’anglais et le français) et connu pour son goût de l’équilibre et du compromis. Eternel enfant prodige, il adopte les caractéristiques de l’ancienne Démocratie chrétienne où il a fait ses débuts : il est ainsi perçu comme discipliné, sérieux, pas vraiment charismatique mais très fiable. Letta a su adoucir son image en se faisant photographier en train de jouer au Subbuteo (un jeu de football – ndlr), et en parlant de ses autres passions, l’AC Milan et Dylan Dog (une bande dessinée italienne). Les gens ont remarqué qu’il lui est arrivé de venir aux colloques en conduisant sa propre Fiat, sans voiture de fonction. Sur le fond, les italiens attendent de lui qu’il sache s’allier avec la France pour contrer l’austérité imposée par Berlin, à différence de ce que Monti a fait. On pourrait définir Letta comme un Monti plus jeune et plus social. »
La nomination de Letta : une excellente nouvelle pour toute une génération
Né à Pise en 1966, Letta connaît une ascension rapide dans un pays où les nouvelles têtes peinent à émerger. De 1998 à 1999, ce spécialiste du droit européen fut ainsi ministre des Politiques communautaires sous le gouvernement d’Alema mais surtout le plus jeune ministre de l’histoire de la République italienne. Successivement ministre de l’Industrie, député européen puis sous-secrétaire d’Etat à la présidence du Conseil des ministres du second gouvernement Prodi, les postes à responsabilités se sont enchainés pour Letta. Proche du nouvel homme fort italien, Guillaume Klossa, Président du think tank européen EuropaNova, accueille d’un très bon œil la nomination d’Enrico Letta.
« Letta possède une conscience des dynamiques historiques, économiques et de l’intérêt général européen. C’est un européen convaincu, d’une trempe que l’on ne connaît pas en France. Il pèsera sur la politique italienne. Cela se fera tout de suite si les circonstances le lui permettent ou bien à l’avenir. C’est aussi la première fois qu’un jeune leader émerge en tant que Président du conseil, c’est donc une excellente nouvelle générationnelle ! »
Les éloges sur Letta affluent à mesure que l’on creuse le parcours du nouveau Président du conseil. Sage et modéré dans l’Italie de Berlusconi, européen convaincu, Enrico Letta sait prendre de la hauteur face aux querelles politiciennes pour revenir à l’essentiel : le fond, les grandes directions. Sur le papier, le choix inattendu de Napolitano semble concilier jeunesse et expérience. Epié par tous les observateurs, Letta va désormais devoir faire ses preuves s’il veut survivre dans le contexte politique italien. Piège ou aubaine, le plus dur commence donc pour l’enfant surdoué de la politique italienne : il s’agit de l’acte III, celui de la confrontation avec le réel…
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