L’IGPN n’a pas vu de lien entre l’intervention policière et la noyade de Steve. Si l’Inspection générale de l’administration est bien plus nuancée, les enquêtes pour “homicide involontaire” impliquant les forces de l’ordre n’aboutissent que rarement à des condamnations.
“Y a de l’eau derrière ! Y a la Loire !” Il est 4 heures 32, le 22 juin, quai Wilson à Nantes, quand, sous la lumière de quelques lampadaires blafards, une rangée de policiers avance résolument vers un groupe de fêtards décidés à outrepasser l’ordre de rentrer chez eux.
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Certains filment de différents angles, ce qui permet de reconstituer la scène. Près du “bunker”, un vieux bâtiment tagué sur l’île de Nantes, le sound system vient de cracher Porcherie des Bérurier Noir, au célèbre refrain : “La jeunesse emmerde le Front national.” On n’entend plus désormais que le bruit des bottes, les aboiements des chiens policiers, et ces appels inquiets qui glissent sur les boucliers des pandores sans même les ralentir : “Y a des mecs dans la Loire ! Y a des mecs dans l’eau.”
Un emploi “massif et inhabituel” de grenades et de LBD
Deux minutes et quelques coups de matraque plus tard, un nuage de gaz lacrymogène enrobe le sanctuaire de la fête. Il n’y a pas eu de sommation. Dans le ciel, les traînées de fumée de nouvelles salves répressives se dessinent. L’air devient irrespirable, la visibilité, faible. Cette fois-ci, le cri est impérieux : “Y a des mecs à l’eau !” Sans succès. Au total, au moins sept personnes sont tombées cette nuit-là dans la Loire, après la charge policière. Parmi eux, Steve Maia Caniço, un animateur périscolaire de 24 ans qui ne savait pas nager. Il n’en est pas revenu.
33 grenades lacrymogènes à main, 10 grenades de désencerclement, 12 tirs de lanceurs de balles de défense
L’espoir s’est évaporé comme une goutte d’eau sous un soleil brûlant cinq semaines plus tard, le 29 juillet. Un corps a été retrouvé au pied de la grue jaune, à un kilomètre du “bunker”. Ses proches l’ont identifié en voyant les colliers trouvés sur lui, sur une photo tenue par la main gantée d’un policier. Le lendemain, Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, reste muet à côté du Premier ministre, Edouard Philippe, qui prend la parole face aux journalistes.
Il n’y a “pas de lien” entre la disparition de Steve et “l’intervention des forces de police”, selon le rapport de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), veut-il croire. Le rapport invoque des “jets de projectiles” qui auraient provoqué la “réplique” des policiers. Celle-ci est minutieusement chiffrée : 33 grenades lacrymogènes à main, 10 DMP (des grenades de désencerclement), 12 tirs de lanceurs de balles de défense, en plusieurs salves. “Un emploi massif et inhabituel”, commente un policier interrogé par Mediapart. L’IGPN soutient que les fonctionnaires ne cherchaient pas à disperser la foule, ce que contestent les vidéos mises en ligne par Libération, tournées entre 4 heures 31 et 4 heures 52.
Un rapport de l’IGA pointe un manque de discernement
La police des polices s’appuie aussi sur le fait que Steve a activé son téléphone portable pour la dernière fois à 3 heures 16 pour envoyer un SMS, soit plus d’une heure avant l’intervention des forces de l’ordre – ce qui pouvait indiquer une disparition antérieure à la charge. Or, le 10 septembre, Le Canard enchaîné révèle que le téléphone a borné (il était donc allumé et s’est connecté à une antenne relais) pour la dernière fois à 4 heures 33, treize minutes après le début de la charge policière. Des sources proches de l’enquête judiciaire pour “homicide involontaire” (toujours en cours) confirment.
A la mi-septembre, l’Inspection générale de l’administration (IGA) rend un rapport selon lequel “les décisions prises par le commissaire divisionnaire ont manqué de discernement”. En conséquence, celui-ci “ne pourra plus exercer ses fonctions et sera muté (…) sur un emploi sans responsabilité de maintien de l’ordre, dans l’attente des conclusions de l’enquête”, a déclaré Christophe Castaner. Le rapport de l’IGA rappelle qu’en 2017, face à une situation comparable, les forces de l’ordre avaient opéré un repli tactique, et la situation s’était calmée.
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