C’était le 12 décembre 1995, gare de Lyon à Paris. Pierre Bourdieu, s’adressait aux cheminots grévistes dans une allocution qu’il paraît important de relire aujourd’hui. Pourquoi ? Parce qu’elle marque la même ligne de fracture que celle qui anime le mouvement de grève actuel, et cette fracture risque de marquer tous les mouvements qui s’annoncent. Écoutons Bourdieu, à l’époque, alors que les cheminots s’opposaient au gouvernement du Premier ministre Alain Juppé.
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“Je suis ici pour dire notre soutien à tous ceux qui luttent, depuis trois semaines, contre la destruction d’une civilisation, associée à l’existence du service public, celle de l’égalité républicaine des droits, droits à l’éducation, à la santé, à la culture, à la recherche, à l’art, et, par-dessus tout, au travail. Je suis ici pour dire que nous comprenons ce mouvement profond, c’est-à-dire à la fois le désespoir et les espoirs qui s’y expriment (…)”
Bourdieu parle gare de Lyon d’une “opposition entre la vision à long terme de ‘l’élite’ éclairée et les pulsions à courte vue du peuple ou de ses représentants (qui) est typique de la pensée réactionnaire de tous les temps et de tous les pays ; mais elle prend aujourd’hui une forme nouvelle, avec la noblesse d’Etat, qui puise la conviction de sa légitimité dans le titre scolaire et dans l’autorité de la science, économique notamment”.
Traitera-t-on de la même façon les profs ou le personnel hospitalier ?
Et c’est exactement ce que l’on retrouve, en 2018, dans le discours qui entoure la grève à la SNCF, en particulier dans les médias dominants, qui semblent n’avoir jamais autant joué le jeu de cette “noblesse d’Etat”, tant se multiplient, sur les chaînes d’info, les reportages sur les usagers agacés ou les pseudo-débats où le délégué syndical tient au bout de quelques minutes le rôle de l’accusé.
Ce mouvement social mérite mieux que la couverture journalistique caricaturale qui en est faite. Car au centre du débat qui entoure la question de la SNCF on retrouve la notion de service public, plus que jamais au cœur de notre société.
Traitera-t-on de la même façon les profs ou le personnel hospitalier ? Ne faut-il pas au contraire focaliser le débat sur la réinvention, le financement et la continuité des services publics ? En cette période, Bourdieu nous le rappelle, ces questions méritent d’être posées.
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