Pendant plus de sept mois dans les années 70, un détective afro-américain a infiltré le Ku Klux Klan, groupe raciste et suprémaciste blanc. 40 ans plus tard, Ron Stallworth revient sur son incroyable histoire, qui a notamment inspiré Spike Lee dans son dernier film.
“Ku Klux Klan. Pour toute information : BP 4471 Security, Colorado 80230”. En 1978, le premier policier noir de la ville de Colorado Springs (Colorado, USA), Ron Stallworth, répond à cette petite annonce publiée dans le journal local. “J’ai écrit quelque chose comme : ‘Je hais les négros, les juifs, les japonais, les hispaniques, et tout ceux qui ne sont pas de race aryenne comme moi’. Que je voulais rejoindre une communauté qui me permettrait de focaliser mon attention là-dessus”. Deux semaines plus tard, Ken O’Dell, le président de la section locale du KKK, le joint par téléphone. “Vous êtes exactement le genre de personne que l’on recherche, quand pouvons-nous nous rencontrer ?”. En janvier 1979, le Ku Klux Klan de la région recrute comme 862ème membre, sans le savoir, un détective afro-américain.
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Aujourd’hui retraité, Ron Stallworth, 65 ans, vit à El Paso au Texas et reste “profondément loyal envers les forces de police” note le quotidien The Guardian qui a pu le rencontrer. L’inconcevable histoire de Ron Stallworth a inspiré le réalisateur américain Spike Lee. Blackkklansman, lauréat du Grand Prix du Festival de Cannes 2018 est sorti dans les salles françaises le 22 aout dernier. Il réalise avec ce film le meilleur démarrage de sa carrière en France. “Spike a été très respectueux et m’a dit qu’il accordait beaucoup d’importance à mon opinion”, s’enchante l’ancien policier dans le journal britannique.
Une infiltration de plus de sept mois
Un noir est donc parvenu à infiltrer l’organisation suprémaciste blanche pendant plus de sept mois. « La situation était hilarante. Mais aussi drôle qu’elle soit, c’était une enquête que nous prenions au sérieux, parce que les objectifs du Klan étaient très préoccupants », se remémore le policier dans l’interview accordée au Guardian. S’il était simple de cacher l’identité de la future recrue par téléphone, une stratégie a dû être mise en place pour les rencontres en face à face. Chuck, un autre policier, blanc cette fois, se fera passer pour Ron Stallworth lors des réunions du KKK. Lors de la première rencontre, Ken O’Dell se réjouit que ce nouvel adepte n’ait “aucun sang juif en lui” et explique que l’adhésion coute 10 dollars, sans compter les coûts additionnels pour la robe et la cape. Visionnage de films nationalistes, discussions sur de futures activités terroristes, échanges d’armes à feu, le quotidien des deux Ron Stallworth, le noir et le blanc, a été pour le moins mouvementé durant plus d’une demi année.
Cette investigation a également mené le policier âgé de 25 ans à l’époque à établir des liens avec David Duke, figure de l’extrême droite américaine et militant de la suprématie blanche, qui affiche aujourd’hui un grand soutien à Donald Trump. Il fut le responsable national du KKK au début des années 70, un ancien “Grand sorcier”. Celui-ci a présidé la cérémonie rituelle de naturalisation de Chuck. « Je ris tout le temps quand je repense à notre enquête, en particulier d’avoir ridiculisé David Duke, qui aime à penser que je n’ai pas l’intelligence d’un singe parce qu’il pense que je suis génétiquement inférieur « , explique Ron au Guardian. Le fait d’avoir pu l’arnaquer ainsi, “cela m’a définit d’une manière que je n’aurais jamais pu imaginer », continue-t-il.
Les membres du Klan n’ont jamais découvert le pot aux roses et ne se sont presque jamais doutés de quoi que ce soit, à une exception près. “Chuck avait assisté à une réunion et il y avait quelque chose que je voulais suivre, alors, quelques heures après que Chuck ait quitté la réunion, j’ai appelé Ken. Il a immédiatement dit : ‘Qu’est-ce qui ne va pas avec ta voix ?’. J’ai toussé un peu et j’ai dit que j’avais une infection des sinus. Ken m’a prescrit un remède. Il a dit : ‘J’en attrape tout le temps’”, développe Ron au quotidien britannique.
Une enquête rendue publique 28 ans plus tard
“Au début, il s’agissait surtout de récolter des informations sur les membres du Klan, qui sont-ils, que sont-ils, où sont-ils, combien sont-ils…”. A la fin de l’infiltration, le département de police de Colorado Springs a empêché l’édification de trois croix enflammées, une forme d’intimidation contre ceux que le KKK prend pour cible. L’enquête a également permis l’arrestation de deux militaires du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) qui avaient rejoint les rangs du KKK.
Au moment où Ron Stallworth est nominé pour devenir le président de la section locale du KKK, le chef de police demande l’arrêt de l’investigation, justifiant que cela a été assez loin. “Il m’a demandé de ne plus avoir de contacts avec le Klan, ne plus répondre au téléphone, ne plus se rendre aux réunions. Il m’a également demandé de détruire les dossiers. Quand mon supérieur ne regardait pas, je suis parti avec mes carnets de notes et les ai ramenés à la maison”, détaille l’ancien infiltré à Business Insider. Ce n’est qu’en 2006, soit 28 ans plus tard, que l’enquête est rendue publique dans un journal. Il publie un livre en 2014, Black Klansman : A Memoir (Flatiron Books) sur lequel s’est largement basé Spike Lee.
Jamais sans sa carte de membre
“Les groupes comme le Ku Klux Klan, les néo-nazis, les skinheads, l’alt-right, appelez les comme vous voulez, ils sont tous les mêmes. Il faut savoir qui ils sont, ce qu’ils sont et il faut s’attaquer à ces problèmes lorsqu’ils se présentent. Trop de personnes ont peur de parler des questions raciales, il faut prendre position et y remédier, peu importe la manière”, soutient le détective retraité dans Business Insider, alertant sur le fait sur le suprémacisme blanc est aujourd’hui devenu un phénomène de masse aux Etats-Unis notamment.
Dans une interview accordée à la chaîne américaine CBS, celui-ci révèle qu’il garde toujours dans son portefeuille sa carte de membre du KKK datée de 1979. “C’est un rappel de ma carrière. Et si un jour j’ai un accident de voiture et que je meurs, un pauvre policier trouvera cette carte sur moi et sera paniqué”, plaisante l’ancien détective.
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