Considéré comme le « Hitler birman », le moine bouddhiste Ashin Wirathu est au cœur du dernier film de Barbet Schroeder. A peine interdit en Birmanie, son mouvement perdure désormais sous un autre nom qui lui permet de perpétuer ses violences islamophobes.
On le surnomme le « Hitler birman » et il incarnerait même « le visage de la terreur bouddhiste », selon la une du Time en 2013. Derrière ces qualificatifs glaçants se cache Ashin Wirathu, le moine nationaliste islamophobe, qui a commandité l’extermination de plusieurs centaines de musulmans en Birmanie. C’est lui qui est au centre du Vénérable W, le documentaire choc de Barbet Schroder, présenté au dernier festival de Cannes.
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The Face of Buddhist Terror, striking new cover of @TIME International, photo by @adamjdean pic.twitter.com/oBWsYvrQgh
— Patrick Witty (@patrickwitty) June 20, 2013
Alors que l’homme est extrêmement décrié en Asie, il fait à nouveau l’objet de l’attention des occidentaux grâce aux images du réalisateur suisse. Ashin Wirathu est une personnalité qui fascine tant elle incarne derrière un sourire parfois jovial, les dérives humaines les plus intolérables. Avec son mouvement, le Ma Ba Tha, il déverse depuis des années toute sa haine envers une minorité du pays : les musulmans, qui ne sont que 4% en Birmanie. A tel point que grâce à ces campagnes de diffamation, les affrontements entre bouddhistes et musulmans ont fait des centaines de morts, près de 140 000 personnes ont dû fuir leurs villages et des incendies ont ravagé leurs maisons et les mosquées.
Très peu présent dans les médias, Ashin Wirathu parle de manière saisissante dans ce documentaire, directement face à la caméra. Il nous laisse avec une interrogation : qu’est-il devenu ?
A peine interdit, il relance un mouvement
Jusqu’ici, personne n’avait jamais réussi à l’arrêter. Pourtant, le 23 mai dernier, son déclin semblait acté. Le clergé bouddhiste birman a réussi à interdire sou mouvement Ma Ba Tha. Mais cinq jours plus tard, Wirathu s’opposait à cette décision, en créant un nouveau mouvement : la « Fondation Philanthropique Bouddha Dhamma ». A peine interdit, Wirathu s’oppose à la hiérarchie bouddhiste et perdure sous cette autre forme.
Le monde ne s’est donc pas encore débarrassé des agissements d’Ashin Wirathu. Au contraire, il serait basé sur les mêmes fondements de Ma Ba Tha, avec les mêmes idéologies et objectifs, à l’exception prêt qu’il est désormais également composé de laïcs. « C’est une façon de contourner l’interdiction, pour le moment on ne peut rien lui reprocher. Le développement de la liberté de la presse a multiplié les discours xénophobes et racistes, au nom de la liberté d’expression. Il devient difficile de les censurer », analyse David Camroux, spécialiste de l’Asie du Sud-Est et maître de conférences et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) de Sciences Po.
Un prédicateur en toge
En choisissant ce nouveau nom, le groupe va donc pouvoir poursuivre ses activités, comme s’il n’avait jamais été interdit. Les musulmans, qui étaient les « boucs émissaires de Wirathu », selon le spécialiste, seront donc une nouvelle fois les premiers visés. Les objectifs du nouveau groupe semblent être les mêmes que ceux de Ma Ba Tha : protéger les bouddhistes contre « l’invasion des musulmans », comme l’indique Wirathu dans ses sermons. « On est dans la continuité de ce que faisait Ma Ba Tha. Ashin Wirathu est un prédicateur en toge. Son ambition est de semer la zizanie, d’exacerber la haine entre les peuples pour demander la création d’une « vraie » nation birmane. C’est une sorte de populisme religieux », précise David Camroux.
En s’opposant à l’interdiction de la hiérarchie bouddhiste, Ashin Wirathu et ses fidèles prennent de l’ampleur et se placent un peu plus sur l’échiquier politique, dont le gouvernement est dirigé par Aung San Suu Kyi, la conseillère d’État et ministre birmane des Affaires étrangères. Pourtant, selon le chercheur, Wirathu « n’aurait pas d’ambitions politiques ». S’il est connu en Birmanie, il ne représente qu’une partie mineure des birmans, « qu’il est difficile à chiffrer précisément », précise-t-il. Aux législatives de novembre dernier, il avait d’ailleurs soutenu le parti des anciens militaires au pouvoir, qui a subi une lourde défaite. « Ce qu’ils sont en train de faire avec ce nouveau groupe, c’est d’essayer de défier le mouvement d’Aung San Suu Kyi, l’État et les autorités religieuses », avance le chercheur de Sciences Po.
Plus puissant qu’Aung San Suu Kyi ?
Défier les autorités et être plus populaire que la lauréate du prix Nobel de la paix en 1991 est un leimotiv de Wirathu. Lors des dernières élections générales de 2015, il avait réussi à obtenir d’Aung San Suu Kyi qu’elle ne présente aucun candidat musulman sur les listes de son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie (NDL). « Elle a pris en compte ses revendications donc elle s’est auto-censurée. Sa priorité reste de développer le pays et la démocratie, mais surtout de réconcilier les ethnies », indique David Camroux.
En décidant de céder à cette injonction du mouvement extrémiste, l’image de l’icône de la démocratie et de la non-violence a été affectée. Les Nations Unies ont évoqué des crimes contre l’humanité. On reproche aussi à Aung San Suu Kyi de ne pas avoir parlé des musulmans dans la campagne. Pourtant, plus de 70 000 musulmans ont été chassés rien que sur ces six derniers mois. Son gouvernement a même bloqué l’arrivée des aides humanitaires dans des régions. « Elle reste très populaire auprès de la société, mais si les résultats de son gouvernement sont mauvais, ils pourraient se tourner vers quelqu’un comme Wirathu », souligne le spécialiste.
En tant que conseillère d’État et ministre birmane des Affaires étrangères, la dirigeante est confrontée à « des contraintes », ajoute-t-il, qui font la force de l’ancien Ma Ba Tha. Elle n’a en effet pas le statut de « présidente ». « L’armée a toujours un droit de véto et détient les postes clés comme le ministère de la Défense et le ministère de l’Intérieur. Elle n’a aucune emprise sur tout ça, l’armée peut faire ce qu’elle veut dans ces régions. »
Si une partie de l’armée est contre elle, une autre verrait d’un regard plus favorable le mouvement d’Ashin Wirathu. « On peut légitimement penser qu’il bénéficie de la protection et du soutien de militaires qui ont mal vécu la démocratisation du pays et qui ne souhaitent pas la réussite d’Aung San Suu Kyi », avance David Camroux.
Intouchable
Wirathu semble donc pour l’instant intouchable. Et si le film de Barbet Schroeder permet d’alerter les pays occidentaux sur la dérive islamophobe du pays, le fondateur de Ma Ba Tha pourrait en tirer parti en interne. « Le film de Schroeder lui donne de la crédibilité et de l’importance. Il pourra dire à toute la population : « Vous voyez, les méchants occidentaux me détestent donc je suis votre meilleur défenseur », analyse le chercheur de Sciences Po. Le Vénérable W n’a pas encore battu en retraite.
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