Sur la scène publique, cette cérémonie devient une véritable externalisation d’un entertainment sans prix. Que cache l’hypertrophie pailletée de ce rite de passage, entre asservissement à la société de l’image et tentative d’inscription dans de nouveaux ancrages ?
Faire appel à des pyromanes, une troupe de cirque et des jongleurs pour des mariages de trois jours minutieusement planifiés : plus rien n’est exotique ou dérisoire pour la mise en scène de ce « one life time », devenu rite de dépenses. En mai dernier, le site Business of Fashion interrogeait l’actrice Deepika Padukone et le designer Sabyasachi Mukherjee sur un marché qui représenterait en Inde 50 milliards de dollars – soit le numéro deux derrière les États-unis. « Tout l’événement est pensé pour l’image. Il faut que ce soit spectaculaire sur Instagram » remarque Sabyasachi Mukherjee. Sur les réseaux sociaux les décors de milles lumières jonchés de tapis de fleurs fraîches se multiplient. Mariages libanais, indiens, italiens : les formules à la carte se configurent comme l’élaboration d’un film ou Hollywood et Bollywood rivalisent. L’engagement devient une exhibition comme une autre. L’ère du mariage réduit à sa surface image devient le résultat d’une articulation médiatique dans différentes sphères liées à l’apparence : industrie de la mode, des cosmétiques, du luxe, du cinéma. Un business colossal, ou les stars ayant franchi le cap deviennent les images olympiennes à la tête du cortège. Les Britanniques fêtent les huit ans de mariages de William et Kate, dont la vie a donné lieu à de nombreux téléfilms comme « Romance Royale » tandis que le champ de la mode met en vedette le jeune couple Bieber en couverture du Vogue US en février dernier avec Annie Leibovitz à la commande du shooting. Ce dispositif du mariage-image comme nouveau conte de fées, rend-il ce dernier vidé de valeurs ? À quoi rime ce luxe extérieur, décrié face au vertus du luxe intérieur ?
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Newlyweds @justinbieber and @haileybieber are our March issue cover stars! Read the story: https://t.co/WiGDhSKnI2 pic.twitter.com/vsDCmRnUhn
— Vogue Magazine (@voguemagazine) February 7, 2019
La dernière Drogue romantique des sociétés post-industrielles
« En France, de 1960 à nos jours (…), le nombre de mariages a connu une chute spectaculaire de plus de 20 %, celui des divorces (…) a quadruplé » selon le sociologue S.Chaumier. Alors les bals de Cendrillons et les fêtes des mille et une nuits restent les rêves d’une fusion passionnelle qui tend irrémédiablement vers la désillusion. L’aspect spectaculaire du mariage s’articule pour les sociologues à une hausse des divorces, une perte des repères traditionnels, la fin des schémas de la famille dite classique, ainsi que divers processus d’émancipations comme le féminisme. Un point de vue eurocentriste ou la célébration de l’éphémère est le corollaire d’une société qui célèbre l’individualisme et l’hédonisme ou « la vie avec l’autre n’est plus la vie pour l’autre ». Pour le sociologue Gilles Lipovestsky manifester le choix rationnel et réfléchit du conjoint est la traduction moderne de la liberté en amour. Pourtant en Inde comme en Chine ces mariages spectaculaires sont encore les traductions d’union de familles, de castes, plutôt que d’individus libres.
Le spectacle pour tous : expier de nouvelles craintes
Que ce soit les civilisations dites individualistes ou les différentes sociétés orientales : le mariage spectaculaire devance toutes traditions. Les couples homosexuels comme hétérosexuels sont touchés par ce grand marché qui permet de réinstaurer un ordre. Quand on parle d’amour, remarquait Bourdieu, il n’est pas facile d’échapper à « l’alternative du lyrisme et du cynisme ». La dark side du mariage : il devient un devoir. Alain Naze va jusqu’à évoquer l’aspect tyrannique de ce cérémoniel chez les couples gays. Une illustration ? Sans doute le mariage remplit de fontaines orchestrées par Liza Minelli du couple formé à l’écran par Stanford et Anthony dans le film Sex and The City. À côté de cela, ceux qui se dérobent aux mariages sont pointés comme suspect : Hollande premier président dénué de première dame inquiète la presse. De son côté l’actrice américaine Jennifer Aniston déclarait en 2016 : « Mon statut matrimonial a été honteux, mes divorces ont été honteux, mon absence de partenaire est honteuse, mes seins aussi ! ». Ceux qui refusent de jouir de la liberté du mariage semblent catégorisés. « Carriériste ou égoïste » autant d’adjectifs déconstruits par Mona Chollet dans son livre Sorcières – La puissance invaincue des femmes. Pourtant le mariage devient la carrière d’event-planner qui sont des femmes !
Transparence consommé et mariage consumériste
Dans le bal des célibataires, Bourdieu parle d’un marché matrimonial ou « les personnes et leurs propriétés sociales sont mises à prix ». Réservé à une élite, le bal des images du mariage est un luxe. Il permet de rendre conte des différents tabous qu’a exulté la société : geeks aséxués, sorcières, ou présidents célibataires. Dernier rempart, marqué d’une frivolité excessive assumée : le mariage est un conte de fée universel qui traverse les couples d’Orient et d’Occident. Plus que des grandes dépenses, ce cérémoniel fait passer d’un luxe vécu en intimité à un luxe expérience-image ouverte. À côté, l’industrie du luxe développe un story telling du savoir-faire articulé à la promesse de traçabilité des produits : un retour au luxe qui se cache dans le détail fruit, tout comme la frivolité, d’un marketing de l’image. L’image du frivole contre l’image « concious » moraliste : le nouveau paradoxe de la modernité. Bieber et Baldwin en doudoune Balenciaga écoutant le prêcheur Judah Smith pour préparer leur mariage illustre toute cette complexité.
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