Pouvions-nous imaginer en début d’année que les mots “confinement”, “essentiel” ou “bamboche” prendraient une telle place dans notre langage et que l’on parlerait autant du consentement, du mouvement Black Lives Matter ou de streaming ? Décryptage à travers quinze mots clés.
Apéro Skype
En voilà un doux moment qui faisait oublier la dispute des sols et des hors-sols dans une ivresse totalement débridée et souvent extrêmement mélancolique, pandémie mondiale oblige (et tambourinage des casseroles aussi). Les apéros Skype commencèrent de plus en plus tôt, se terminèrent extrêmement tôt, laissant aux alentours de 21 heures leurs participant·es dans un état d’hébétude et de solitude dramatique proche de celui de Sophie Marceau à Cannes en 1999 (ou de Taylor Swift lorsque Kanye West déboula sur la scène des MTV Music Awards en 2009).
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Synonyme d’extase dionysiaque, l’apéro Skype muta en deux-deux en un souvenir d’angoisse totale proche d’une descente en roue libre après 48 heures de Berghain sous kéta (ne sortez pas vos 72 heures, on n’y croit pas).
Article 24
Il ne manquait plus que lui pour couronner cette année placée sous le signe des délices. L’article 24 de la proposition de loi “sécurité globale” portée par le gouvernement prévoit de pénaliser la diffusion de “l’image du visage ou tout autre élément d’identification” d’un·e policier·ière ou d’un·e gendarme en intervention, si cette diffusion a pour objectif de “porter atteinte à son intégrité physique ou psychique”. Quand Gérald Darmanin se retranche derrière cette dernière précision, la presse craint pour sa liberté, sa sécurité, et les citoyen·nes aussi.
Proposition de loi sur la sécurité globale : retrouvez mon discours en discussion générale à l’Assemblée nationale ⤵️https://t.co/VsqzX82C5H
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) November 17, 2020
Le 26 novembre, Loopsider lâche une vidéo de passage à tabac et d’injures racistes par des policiers à l’encontre d’un producteur de musique, Michel Zecler, dans l’entrée de son studio parisien. Les caméras de surveillance font éclater les mensonges glissés par les fonctionnaires dans leurs dépositions. Les images dénoncent. Les manifestations autorisées ou non se multiplient, les voitures brûlent, et Chassol crée une belle variation sur des images de manifestant·es scandant “Darmanin démission”.
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Plus tard, BFMTV se demande si les Black Blocs sont des fils de profs dans un débat très premier degré, et le présentateur de CNews Pascal Praud réclame la démission de l’humoriste chroniqueur de France Inter Guillaume Meurice après un tweet de ce dernier avec la mention ACAB (pour “All Cops Are Bastards”), slogan antipolice en regain de popularité. Le gouvernement porte une autre loi sur le séparatisme, tout en s’aveuglant, finalement, sur le plus grand des séparatismes en cours. Morale de l’histoire : la France ne va pas très bien.
Bamboche
En 1518, des Strasbourgeois·es désespéré·es, puisqu’en proie à la famine, aux épidémies et sous la coupe d’un clergé tyrannique, se mettent à danser nuit et jour jusqu’à épuisement. Le patient zéro est une femme qui, ne pouvant plus nourrir son nourrisson, le jeta dans une rivière avant de se mettre à gesticuler frénétiquement dans la rue, bientôt suivie par ses compatriotes. Hystérie cathartique collective ? Empoisonnement au seigle ? L’Histoire n’a jamais tranché.
Durant le confi 1, Jonathan Glazer a tourné un court métrage sur cet épisode, Strasbourg 1518, disponible sur Mubi. Désormais, une seule question : qui se lance en premier ?
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Bande organisée
Et ça fait “zumba cafew, cafew carnaval” ! Si la vie avait été douce et clémente, le morceau Bande organisée serait sorti pile-poil au moment de la victoire de la France en Coupe du monde et nous aurions tous·tes été en PLS de bonheur. Mince.
Black Lives Matter
Après “Covid”, le deuxième mot clé le plus utilisé sur Twitter en 2020 est “Black Lives Matter” avec 1,5 million de tweets. Un bel aperçu de l’ampleur prise par ce mouvement antiracisme né il y a un moment pourtant, en 2013, aux Etats-Unis, à la suite de l’assassinat de l’adolescent noir Trayvon Martin par son voisin George Zimmerman. Il aura donc fallu sept ans, le décès d’Adama Traoré (parmi d’autres) et l’engagement puissant de sa sœur, Assa Traoré, pour que le mouvement gagne enfin la France. Espérons qu’il ne doive pas attendre sept ans supplémentaires pour porter ses fruits.
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Cancel culture
L’expression recoupe-t-elle une réalité ? Ça se déchire sur ce point, certain·es considérant qu’“on ne peut plus rien dire”, dénonçant le tribunal Twitter et brandissant la zone d’ombre et les paradoxes nécessaires à la création artistique et intrinsèques à l’être humain, quand d’autres déboulonnent des statues et balancent ad hominem dans l’espoir de diversifier les postes clés. La peur de se faire “annuler” conduit au silence, ou, à l’inverse, au trop-plein de paroles – histoire d’exister avant de disparaître du cirque médiatique qui semble bien avoir remplacé la réalité.
Clubster
Comme son nom l’indique, la fusion de “club” et de “cluster”, soit une fête en milieu clos en pleine pandémie mondiale. Cf. Joinville-le-Pont.
Confinement
“Situation d’une population animale trop nombreuse dans un espace trop restreint et qui, de ce fait, manque d’oxygène, de nourriture ou d’espace”, indique le Larousse en deuxième position à la définition du mot “confinement”. Heureusement, pour le rendre plus mims, on amputa ses syllabes de moitié. Ne reste plus que “confi” avec les chiffres 1, 2, 3, etc., selon le degré de dépression et les préférences, comme pour les Rocky, Terminator ou Alien. Ou Star Wars, oui, aussi. Mais le confi fonctionne un petit peu comme pour les enfants finalement, le premier est toujours le meilleur.
Consentement
Le 2 janvier, la directrice des éditions Julliard Vanessa Springora lâche une bombe sous la forme d’un récit littéraire baptisé Le Consentement. De consentement, il n’y en a pas eu avec l’écrivain pédocriminel Gabriel Matzneff, qui l’a écrasée de son emprise dès l’âge de 14 ans.
Trois ans après l’affaire Weinstein et l’emballement de MeToo, la société se retrouve de nouveau en face-à-face avec son énorme défaut de consentement et, par la même occasion, les ramifications insidieuses de son patriarcat qui attaque jusqu’au comportement même des femmes, souvent tétanisées au moment de l’agression sexuelle, et qui taisent elles-mêmes leurs récits à force de les voir normalisés, minimisés voire moqués.
Cette année, les murs français accueillent des slogans féministes sous la forme de collages ; Adèle Haenel se lève de son siège et se casse de la cérémonie des César pour protester contre la remise du prix du meilleur réalisateur à Roman Polanski ; et l’industrie musicale attend impatiemment les révélations de Music Too France, collectif anonyme ayant reçu 150 témoignages d’agressions et harcèlement sexuels survenus dans le milieu de l’industrie musicale, désormais étudiés par Mediapart et Néon.
Les femmes réaffirment qu’être touchées lorsqu’elles dorment est un viol, que leurs plaintes ne sont pas bien reçues dans les commissariats, et qu’un ministre de l’Intérieur ne devrait pas être accusé de viol. Les choses avancent trop doucement, voire font du surplace, mais râler serait synonyme d’agressivité voire d’hystérie, comme le rappelait très justement feu Anne Sylvestre dans une interview à la revue Travail, genre et sociétés en 2010 : “Et il ne faudrait pas se mettre en colère ? Non, il faut garder l’habitude de rester ‘charmante’ parce que si tu te mets en colère, tu es hystérique et si tu as du caractère, tu as mauvais caractère. Ça me poursuit encore aujourd’hui ; on n’a jamais dit à Gainsbourg qu’il avait mauvais caractère. Jamais !”
On parle des corps opprimés, mais, aussi, de la représentation/identification dans Le Génie lesbien d’Alice Coffin, qui dit ne s’intéresser qu’aux œuvres d’art réalisées par des femmes. Radical certes, mais peut-être nécessaire dans une société où la parole des minorités politiques est encore infantilisée, voire coupée.
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Essentiel
L’enjeu n’est pas tant de prouver l’essentialité de la culture aux yeux d’un gouvernement cynique plus que jamais en mode start-up nation, que de refuser catégoriquement cette lecture dichotomique de l’humanité entre essentiel et non-essentiel, dont le mépris aura rarement été égalé. Bientôt tous·tes évalué·es sur notre productivité/rentabilité ? Angoisse x 3 000.
L’exode des plus riches se mettait en place, et Leïla Slimani s’extasiait sur “l’herbe verglacée des collines” dans son “journal du confinement”
Hors-sol
A peine le confinement 1 fut-il déclaré que l’on vit ici et là des coffres se remplir de bagages et des maisons de campagne prises d’assaut. L’exode des plus riches se mettait en place, et Leïla Slimani s’extasiait sur “l’herbe verglacée des collines” dans son “journal du confinement”, publié sur le site du Monde, qui mit le feu aux poudres puisqu’une autre France se retrouvait, elle, claquemurée à plein, voire sur le front. Dès lors, il y eut le sol et le hors-sol.
Au fil des vidéos d’artistes relatant leur confinement (ou, pire, empoignant leur guitare sèche) et des images de banana breads homemade, plus personne n’osa bientôt raconter quoi que ce soit, sinon la maladie et la mort. On balança le hors-sol et on s’enfonça soi-même la tête bien profondément dans le sol, quitte à s’empêcher de rêvasser, de fantasmer, de badiner pour ne pas se faire balancer à notre tour.
Marseille
En vogue depuis quelques années, Marseille a été propulsée nouvel eldorado à la sortie du confi 1 et prise d’assaut par des Parisien·nes en mal de soleil, de mer, d’insouciance, de fêtes, mais tout de même attaché·es au côté schlag d’une grande ville qui pulse. Marseille n’a soudainement plus fait qu’une avec les notions d’authenticité, de création, d’intensité et de collectivité brandies par la jeunesse (attention tout de même à ne pas nous transformer cette ville en vaste vitrine Instagram néo-gentrifiée, hein).
Streaming
Le streaming, ce n’est pas du tout comme dans le cochon, tout n’y est pas bon. Bouffer du Spotify et du Netflix, c’est bien normal, mais il vaudrait mieux ne pas s’y limiter. Existe aussi Bandcamp, qui a décidé de renoncer à sa part pour reverser 100 % des revenus aux artistes (jusqu’au 31 mars 2021…).
Côté ciné, citons Mubi ou LaCinetek, curatée par des cinéastes du monde entier, ou encore Universciné. Finalement, le streaming pourrait être un petit paradis si seulement le capitalisme dégueulasse n’était pas passé par là (comme presque partout ailleurs). Rappelons aussi que les algorithmes des grosses plateformes sont totalement nazes comparés à la préciosité des recommandations éclairées des petites plateformes, ou même d’un·e disquaire, d’un·e libraire ou d’un·e vendeur·euse de DVD.
Tiktok
TikTok, que nous aimerions pouvoir traduire par “l’angoisse faite réseau social”. Mais notre volonté de ne pas devenir une vieille conne nous incite à saluer la propension de TikTok à populariser des (micro-bouts de) morceaux comme Moon de Kid Francescoli repris par J.Lo, Lizzo ou encore The Rock, et à permettre à chacun·e de se prendre, l’espace d’un instant, pour un·e artiste plein·e de génie en libérant sa passion pour l’expression chorégraphique. Attention tout de même à ne pas rejouer ce moment où, fin soûl·e aux alentours de 4 heures du matin, l’on danse en ayant l’impression d’être so sexy alors que l’on gagne juste cent points sur l’échelle de l’humiliation publique.
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Utopie
Smiley songeur.
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