Alors qu’un mouvement de grève important commence le 5 décembre contre la réforme des retraites voulue par le gouvernement, l’économiste Henri Sterdyniak, membre des Economistes atterrés, auteur de “Quel avenir pour nos retraites ?” (avec Gaël Dupont, éd. La Découverte), met au jour les effets que celle-ci pourrait avoir.
Pourquoi réformer notre système des retraites, comme se prépare à le faire le gouvernement ? Y a-t-il une nécessité à le “simplifier”, et à l’unifier ?
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Henri Sterdyniak – Aucun pays n’a un système unique de retraite. Dans la plupart des pays, la fonction publique dispose d’un régime spécifique. Pour le secteur privé, il existe une retraite publique par répartition peu généreuse, complétée par des pensions d’entreprises ou de branches fonctionnant généralement par capitalisation, gérées par les partenaires sociaux. La particularité de la France est que les régimes complémentaires fonctionnent par répartition, et sont déjà unifiés par l’Agirc-Arrco.
Il n’est pas choquant que les retraites tiennent compte des spécificités et des souhaits de chaque profession, tant que la solidarité nationale assure une compensation entre les différents régimes : cela nourrit le dialogue social. Le risque d’un système unique est qu’il devienne de moins en moins généreux, de sorte que de nouveaux régimes complémentaires se développeront (comme les complémentaires santé au-dessus de l’assurance maladie), ce qui est source d’iniquité entre grandes et petites entreprises, et de coûts supplémentaires. Par ailleurs, tout système doit comporter des dispositifs spécifiques pour les métiers pénibles, qui réduisent l’espérance de vie, ou qu’il n’est pas possible de faire après un certain âge (de pompiers à routiers).
On a l’impression qu’il s’agit simplement de mettre un terme aux “privilèges” des régimes spéciaux. Un discours qu’on a souvent entendu par le passé. Mais s’agit-il uniquement que de cela ?
Les régimes spéciaux ne couvrent aujourd’hui que 1,5 % de la population active. Leur déficit s’explique en grande partie par la dégradation de leur ratio retraités/cotisants. Des réformes ont déjà été engagées pour augmenter leurs âges de départ à la retraite. Ce n’est pas un enjeu important du point de vue financier.
En fait, la réforme concerne tous les actifs. L’objectif du gouvernement est de prendre la main, de priver de tous pouvoirs les partenaires sociaux (comme il l’a fait pour l’assurance chômage), d’éviter la hausse des dépenses de retraites dans le PIB (et même de réduire cette part), et sans doute à terme d’étendre la retraite par capitalisation en France (puisqu’il vient de faire voter la loi Pacte qui facilite le développement des fonds de pension).
Qui seraient les grands perdants d’un système universel par points, et les grands gagnants ?
Par rapport au système actuel, la réforme accélère et garantit la baisse de 20 % des retraites par rapport au salaire. De ce point de vue, tous les retraités sont perdants. En contrepartie, elle évite la hausse des cotisations qui seraient nécessaires pour maintenir le niveau actuel des retraites : les entreprises sont donc gagnantes. Plus précisément, le calcul des droits sur l’ensemble de la carrière plutôt que sur les 25 meilleures années risque de nuire à ceux (et surtout celles) qui auront une carrière hachée, avec des périodes de chômage, de précarité ; il nuit aussi à ceux qui auront une carrière ascendante.
Comme le taux de remplacement sera uniforme (alors qu’il baisse actuellement sur la part de salaire au-dessus du plafond de la Sécurité sociale, 3377 euros par mois), la réforme frappera plus ceux qui sont sous le plafond que ceux qui sont au-dessus. Dans la fonction publique, les fonctionnaires à faible niveau de prime (comme les enseignants/tes) seront désavantagés par rapport à ceux qui ont des primes importantes. Enfin, les salariés des régimes spéciaux perdront leurs avantages, même si ceux-ci ne font que compenser la pénibilité et les contraintes de leur emploi.
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Quels seraient les effets de cette réforme sur le niveau de vie des retraités ?
Le gouvernement maintient l’objectif de ne pas augmenter la part des retraites dans le PIB, et d’augmenter de deux-trois ans l’âge de départ à la retraite. Dans ce cadre, le nombre de retraités va augmenter de 25 % par rapport à celui des actifs, et donc le niveau des retraites doit baisser de 20 % par rapport à celui des salaires. Les retraités qui ont aujourd’hui le même niveau de vie que les personnes de 25-60 ans auront en 2050 un niveau de vie de 20 % plus bas.
Maintenant, le gouvernement peut dire : comme l’objectif de stabilité de la part des retraites est maintenu, la réforme n’a aucun impact sur le niveau global des retraites. Le fait est qu’un système par points lui permettra d’atteindre cet objectif plus facilement, puisqu’il pourra toujours réduire l’évolution de la valeur d’achat du point et le taux de rendement du point, qui ne sont pas garantis.
Les organisations syndicales qui appellent à la grève ont-elles raison de défendre le système actuel ?
Il ne faut pas oublier que notre système de retraite, avec tous ses défauts, est un des plus généreux au monde. Il assure aux retraités un niveau de vie équivalent à celui des actifs, sans effort d’épargne personnel, sans recours aux marchés financiers, à un âge relativement précoce. Le taux de pauvreté parmi les retraités est relativement bas (7,3 % contre 15,8 % en Suède).
Enfin, le taux de remplacement est nettement plus fort pour les bas salaires que pour les hauts salaires. Cela dit, il pourrait être amélioré dans le cadre actuel : étendre et mieux cibler les dispositifs de compensations de la pénibilité (selon le poste occupé et pas selon l’entreprise), cibler la majoration pour enfant élevé sur les femmes, étendre le minimum contributif aux agriculteurs… Tout cela devrait être fait par les partenaires sociaux, qui devraient conserver le contrôle de l’évolution d’un système qu’ils financent.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
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