Jean-Luc Mélenchon a accusé Bernard Cazeneuve d’être responsable de « l’assassinat » de Rémi Fraisse, ce jeune manifestant tué par une grenade offensive. Sur quoi s’appuie le leader de la France Insoumise pour émettre de telles accusations et qu’en est-il vraiment ?
“Cazeneuve ? Le gars qui s’est occupé de l’assassinat de Rémi Fraisse. Le gars qui a fait gazer, matraquer toutes les manifestations.” Comme à son habitude, Jean-Luc Mélenchon n’a pas mâché ses mots lors d’un meeting à Marseille en fin de semaine dernière.
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Bernard Cazeneuve avait qualifié le refus de se prononcer contre Marine Le Pen du leader de la France Insoumise de “faute politique et morale”. En réponse, ce dernier a accusé celui qui était alors le ministre de l’Intérieur, d’être le responsable de la mort du militant écologiste Rémi Fraisse. Le jeune homme de 21 ans avait été tué par un jet de grenade offensive le 26 octobre 2014 alors qu’il manifestait sur le site du barrage de Sivens.
A Marseille, Mélenchon s'en prend violemment à Cazeneuve, "le gars qui s'est occupé de l'assassinat de Rémi Fraisse"#CPol pic.twitter.com/8jNVHdZ8lR
— C Politique (@CPolF5) May 28, 2017
Bernard Cazeneuve n’a pas tardé à réagir. Dans un communiqué en date du dimanche 28 mai, il a annoncé porter plainte contre Jean-Luc Mélenchon.
“Parce que je crois que le débat d’idées implique du respect et doit prévaloir sur l’invective, la manipulation et le mensonge, j’ai décidé de porter plainte contre Jean-Luc Mélenchon pour diffamation.”
Sur sa page Facebook, le quatrième homme de la présidentielle a partagé un article de Reporterre.
Pour autant, si le titre est explicite, le contenu est bien plus mesuré que ce que ne laisse entendre les propos de Jean-Luc Mélenchon.
Que dit l’article de Reporterre ?
Il ne met pas explicitement en cause les locataires de Matignon, Manuel Valls et de la place Beauvau, Bernard Cazeneuve. Il s’interroge sur le degré d’implication de ces derniers dans la mort de Rémi Fraisse.
Selon le site, « les gendarmes n’ont pas agi spontanément » et « c’est toute une chaîne de commandement qui est en cause, et qui remonte jusqu’à Paris ». Pour étayer ces propos, l’article explique que, « le militaire, quel qu’il soit, qui a lancé la grenade fatale n’est pas un mouton noir. On ne peut pas isoler la responsabilité d’un gendarme, car celui-ci agit sur ordre de la hiérarchie ».
Reporterre accuse nommément « le représentant de l’État dans le département du Tarn : le préfet Thierry Gentilhomme« , d’être « le principal responsable ». Il affirme ensuite que la situation est « suivie de près à Paris« .
Toujours selon le site, cet œil attentif est justifié par une raison. Manuel Valls aurait en ligne de mire un double objectif. D’abord un soutien farouche au barrage de Sivens, ensuite une volonté de « déclarer la guerre aux ZAD » pour éviter un « second Notre-Dame-des-Landes« .
Pour autant, l’article se garde bien de donner une réponse aussi tranchée que les propos de Jean-Luc Mélenchon. Il termine en formulant le problème.
“Une question se pose : le maintien de l’ordre à Sivens a-t-il été directement piloté par le Premier ministre et ses proches, dont le directeur général de la Gendarmerie nationale, en liaison avec le ministère de l’Intérieur ?”
Des rapports accablants
A l’origine des doutes émis par Reporterre, il y a entre autres, des rapports indépendants. Ces derniers ont mis en lumière des dysfonctionnements de l’autorité étatique.
Un premier rapport, rendu en octobre 2015 par la Ligue des droits de l’homme (LDH) est qualifié par l’organisation elle-même « d’accablant« . Déplorant « le mutisme systématique des autorités publiques qui ont refusé tout contact avec [leur] commission d’enquête« , la LDH pointe « la survenance d’un drame et la mort d’un homme (…) dans la logique du dispositif mis en place ».
Selon elle, « l’autorité politique a délibérément pris le parti de faire exercer » à l’encontre des manifestants « par les forces de l’ordre un niveau de violence considérable« .
Un an plus tard,le Défenseur des droits qui s’était autosaisi rend un autre rapport le 1er décembre 2016. Il y conclut à « l’absence de faute de la part du gendarme auteur du lancer de grenade« .
Toutefois, il « critique le manque de clarté des instructions données aux militaires déployés sur la zone ainsi que l’absence de toute autorité civile au moment du drame ». Des circonstances qui ont, selon lui, « conduit les forces de l’ordre à privilégier (…) la défense de la zone, sur toute autre considération, sans qu’il soit envisagé à aucun moment de se retirer « .
Le soir de la mort de Rémi Fraisse, ce ne sont pas moins de 237 lacrymogènes, 41 balles de défense, 38 grenades mixtes et 23 grenades offensives qui ont été tirées par les forces de l’ordre.
Que dit l’enquête ?
L’enquête est close depuis janvier 2017. Personne n’a été mis en examen. Jean-Christophe J., l’auteur du tir de grenade, n’est que témoin assisté. Une situation qui fait craindre à la famille de Rémi Fraisse un non-lieu.
À l’origine de cette décision, un rapport contesté de l’IGPN rendu dès novembre 2014, qui blanchissait les gendarmes mis en cause louant le « professionnalisme » de ces derniers. Pourtant, dès la fin 2015, Le Monde dénonçait « une enquête bâclée » quand Libération parlait d’une « enquête à décharge » pour les forces de l’ordre. En cause, les aveux des trois gendarmes impliqués qui ont longtemps fluctué avant d’embrasser finalement la version de l’Etat.
Le 18 janvier 2017, les parents de Rémi Fraisse ont déposé deux plaintes pour relancer l’enquête. La première vise le préfet Thierry Gentilhomme (cité par Reporterre comme « responsable« ) et son chef de cabinet, Yves Mathis.
En cause, un enregistrement révélé par Le Monde. On y entend la députée EE-LV, Cécile Duflot, s’adresser au préfet Gentilhomme. Elle émet « des inquiétudes sur quelque chose qui pourrait arriver » affirmant que les gendarmes risquent « le dérapage à tout instant ».
La seconde plainte, pour faux témoignages, a été déposée à l’encontre des trois gendarmes qui n’ont cessé de se contredire lors de l’enquête.
Procès contre Mélenchon, prétoire pour Rémi Fraisse ?
Impossible donc, à ce jour, de décréter la responsabilité de Bernard Cazeneuve ou de Manuel Valls comme l’a avancé Jean-Luc Mélenchon. Ce dernier est d’ailleurs revenu sur des propos qu’il a qualifié de « mal calibrés« , estimant que le mot « homicide » convenait plus que « assassinat« .
Bernard Cazeneuve avait conditionné le retrait de sa plainte à des excuses. Jean-Luc Mélenchon les lui a refusées préférant aller jusqu’au procès en diffamation que lui a promis l’ex-ministre.
Pour le chef de la France insoumise, le procès sera l’occasion d’être « un prétoire pour l’affaire Rémi Fraisse et contre les méthodes violentes du gouvernement Valls et Cazeneuve ».
D'accord pour un procès, ça sera un prétoire pour l'affaire #RemiFraisse et contre les méthodes violentes du gouvernement #Valls/#Cazeneuve pic.twitter.com/IlALF8VniX
— La France insoumise (@FranceInsoumise) May 30, 2017
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