Un site collaboratif propose de composer un morceau de musique à plusieurs. Des livres et des films sont écrits de même… La fin de l’underground ?
Enfin seul, se disait naïvement l’introverti au moment d’entrer dans l’ère numérique. Tranquille derrière son écran, loin de la foule, loin du bruit et de la fureur, mais connecté tout de même au monde. Las, très vite il a dû se rendre à l’évidence : le web n’est pas un outil d’égoïste casanier, mais une machine à collaborer. Les forums sont nés, les financements sont devenus participatifs et les réseaux… sociaux. Nul domaine n’y échappe.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’artiste, lui, dans son atelier, jurait qu’on ne l’y prendrait pas. Il devra pourtant s’y résigner, il est prié d’aller jouer avec ses petits camarades. Ainsi, la musique, par exemple, n’émane plus de l’esprit torturé du créateur mais d’innombrables contributions d’internautes charriant chacun une pierre de la grande cathédrale.
Des votes pour des notes
Brendon Ferris, un programmeur australien, a lancé cet été Crowdsound, une plate-forme collaborative où chacun est invité à voter pour définir la prochaine note sur la partition. La mélodie n’est pas terminée, mais on compte déjà plus de 42 000 contributeurs.
Pour l’emporter, la note candidate doit compter cinquante suffrages pour le couplet et cent pour le refrain. Interrogé par Rue89, le concepteur du projet admet “des périodes d’incertitude”. Mais “des modèles se forment ensuite et la foule développe une forte opinion sur ce qui devrait venir après”.
Une bonne partie du morceau est audible sur le site et on peut déjà développer une opinion sur cette boue musicale agglomérant les pires clichés harmoniques de la banale ballade easy listening. Mais ce n’est qu’un essai, une expérience. Après tout, n’est-ce pas là une bien belle initiative qui tente de faire battre à l’unisson les cœurs des humains rassemblés ?
Des films et des livres ont aussi été écrits sur ce mode. Phrase par phrase, vote par vote. Nous assistons à l’avènement de l’art démocratique et participatif. On comprend sans mal le recours à la foule pour former un orchestre, un casting ou combler les salles de spectacles, mais pour la création en elle-même, elle paraît plutôt parasite.
Tous créateurs
Dans son beau De profundis, Oscar Wilde exigeait “le calme, la paix et la solitude” pour “le développement de son art”. Dans le futur, l’écrivain devra soumettre ses paragraphes à l’assentiment des urnes. C’était déjà la majorité qui décidait de porter au pinacle ou de laisser dans l’ombre tel ou tel par le vote du portefeuille.
Ce sera elle qui créera dorénavant. Nous verrons et lirons ce que nous produirons, tous réunis dans un bel élan créatif. Mais plus de surprises ni d’émergence de courants underground. Finis aussi les polars puisqu’on en connaîtra le dénouement. Tout le monde sur la scène, tous créateurs. Mais plus de spectateurs.
{"type":"Banniere-Basse"}