Après plusieurs jours de polémique initiée par l’extrême droite, Anne Hidalgo a annoncé ce week-end vouloir faire interdire un festival afroféministe qui prévoit, en partie, d’organiser des ateliers en non-mixité.
Dimanche 28 mai, Anne Hildalgo a indiqué sur Twitter, qu’elle demandait l’annulation d’un festival présenté par ses détracteurs comme en partie « interdit aux Blancs » et qu’elle allait « saisir le préfet de police en ce sens ». « Je me réserve également la possibilité de poursuivre les initiateurs de ce festival pour discrimination », a-t-elle également déclaré, tout en s’appuyant sur un tweet de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’anti-sémitisme) publié vendredi après-midi.
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Je condamne avec fermeté l'organisation à #Paris de cet événement "interdit aux blancs". https://t.co/DKJmdPry5v
— Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo) May 28, 2017
La maire de Paris vise ici le Nyansapo, un festival « afroféministe militant à l’échelle européenne », dont la première édition doit se tenir du 28 au 30 juillet. Depuis le début, l’événement assume très clairement comporter une partie non mixte. Quatre espaces seront organisés, dont trois seront respectivement accessibles aux femmes noires, aux personnes noires, et aux femmes « racisées », soit « une communauté d’expériences de la domination raciste, quelles que soient les formes qu’elle prend selon notre appartenance de genre ou de classe » (selon la définition de la militante Mélusine).
Une polémique déclenchée par l’extrême droite
Le quatrième sera ouvert à tous, et se tiendra dans les locaux de la Générale Nord-Est, une « coopérative artistique, politique et sociale » du XIe arrondissement, qui loue ses locaux à la mairie de Paris. Et c’est ça qui pose visiblement problème à Anne Hildago. « Elle est attachée à la possibilité pour tous les Parisiens d’avoir accès à tous les événements culturels », explique la communication de la mairie de Paris à Libération. Seulement voilà, en réalité, les réunions non-mixtes se dérouleront dans un lieu privé, assurent pourtant les organisateurs du Nyansapo.
Une polémique, à l’origine lancée par l’extrême droite et notamment le site Fdesouche. C’est pourquoi, l’animateur Pierre Sautarel, s’est réjoui sur Twitter de l’annonce d’Anne Hildalgo. Vendredi matin, le trésorier du Front national, Wallerand de Saint Just, a fustigé un « festival interdit aux ‘Blancs' ».
https://twitter.com/FrDesouche/status/868800620966313984
Très vite après l’annonce de la maire de Paris, le hastag #JeSoutiensMwasi s’est hissé en tête des sujets les plus tweetés. Le Mwasi est le collectif afroféministe à l’origine du festival Nyansapo. Sur son site, il se définit comme tel :
« Au sein de nos communautés et dans une société occidentale capitaliste et patriarcale, nous voulons lutter contre toutes les oppressions liées à nos positions de femmes noires. Mwasi, c’est aussi faire entendre les voix des Noires africaines et afodescendantes dans leur diversité, car notre afroféminisme n’est pas un ensemble monolithique. Enfin, c’est se réapproprier nos identités et notre image en tant que femmes (et personnes assignées femmes) noires. »
En 2015, nous avions rencontré l’une de ses membres, Benédicte, qui nous expliquait la démarche du Mwasi : « Notre but c’est l’émancipation des femmes noires ». Fondé en 2014, le Mwasi se présente comme « non mixte » :
« Ce collectif est non mixte car nous pensons être le mieux placées pour saisir les armes de notre émancipation. Mwasi n’est ni contre les hommes, ni contre les autres groupes ethno-raciaux. En effet, ils pourront se joindre à nos actions en tant qu’Allié.e.s après concertation des membres du collectif », peut-on lire sur le site.
>> A lire aussi : Qu’est-ce que l’afro-féminisme ? <<
A propos des accusations de racisme « anti-blancs », la représentante du Mwasi justifiait :
« Ces personnes-là ne se rendent pas compte qu’elles sont dans des situations de dominants. Elles ne peuvent pas comprendre le racisme que nous subissons au quotidien. Nous ne pouvons pas être racistes anti-blancs car on n’établit pas de hiérarchie entre les races et le système discriminatoire que l’on nous accuse de mettre en place ne nous profite pas directement. On demande simplement la liberté d’avoir un espace pour échanger et préparer notre émancipation ».
A l’intersection entre le racisme et le sexisme, ces femmes ne se retrouvent pas dans le féminisme relayé par les médias, et expliquent avoir « besoin d’un espace où l’on peut se retrouver et lutter pour la spécificité qui est la nôtre en tant que femme noire », indiquait la jeune militante. Pour Bénédicte du Mwasi, le « féminisme mainstream » est très « souvent représenté en majorité par des femmes non racisées, des femmes blanches en majorité. Pour elles, la priorité c’est la lutte contre le sexisme, elles ne prennent pas en compte nos spécificités. »
Un militantisme qui ne date pas d’hier
La non-mixité est une forme de militantisme qui ne date en réalité pas d’hier. Le mouvement noir pour les droits civiques aux Etats-unis le pratiquait déjà dans les années 1960, de même pour les féministes françaises des années 1970. « Le mouvement féministe a, lui aussi, été confronté à cette rhétorique critique : quand il organisait des réunions non mixtes, les hommes le taxaient de sexisme à l’envers », raconte au Monde, Elsa Dorlin, professeure de philosophie politique et sociale au département de sciences politiques de l’Université paris-VII, et qui a coordonné Black Feminism : anthologie du féminisme africain-américain, 1975-2000 (L’Harmattan, 2008). « A l’époque, il y avait une même inversion du lexique, comme si les dominants pleuraient parce qu’ils étaient accusés de domination », ajoute-t-elle.
Comme l’a d’ailleurs rappelé ce week-end l’association féministe et LGBT Les Effronté-e-s, plusieurs lieux réservés aux femmes sont financés par les pouvoirs publics, comme la Maison des femmes, dans le XIe arrondissement de Paris, ou à Montreuil, qui tient des groupes de paroles sur les violences faites aux femmes. Libération rappelle aussi que la mairie de Paris est également partenaire d’un festival du film lesbien et féministe, dont l’accès est réservé aux femmes.
C quoi le problème? La mairie de Paris participe au financement de la maison des femmes de Paris par ex, un espace non-mixte.
— Les effronté·es (@efFRONTees) May 28, 2017
« C’est une absence de prise en compte de problématiques spécifiques, qui justifie l’existence de l’afroféminisme aujourd’hui », insistait dans les Inrocks, Rokhaya Diallo, auteure de Afro ! (les Arènes, 2015) où elle dresse le portrait de cent Afropéens. Historiquement, les femmes noires n’ont pas toujours été incluses dans les mouvements en faveur des droits des femmes. Et “la contribution des femmes noires au féminisme a été totalement effacée, simplement à cause de leur couleur de peau”, nous expliquait Rokhaya Diallo,
Aux Etats-Unis, les origines de l’afroféminisme remontent au XIXe siècle, lorsque les femmes américaines blanches se mobilisent en faveur de l’abolition de l’esclavage.
« Cette prise de position publique va les amener à réfléchir sur leur propre condition de femme. Mais de femme blanche… Dès le départ se créé une forme de hiatus, une mise en concurrence des luttes. Le féminisme qui se ‘blanchit’ et la lutte pour l’abolition », nous expliquait Elsa Dorlin.
<< A lire aussi : En France comme aux USA, les afro-descendantes mènent un double combat <<
Dès 1851, Sojourner Truth, ancienne esclave abolitionniste noire, prononce un discours puissant et précurseur (« Ain’t I a Woman », soit « Ne suis-je pas une femme ? ») dans lequel elle interpelle les féministes sur les différentes oppressions subies par les femmes noires.
Il faudra finalement attendre les années 1950 pour que le black feminism commence à se façonner. Angela Davis, militante pour le droit des femmes et ancienne membre du Black Panther Party, en devient la figure emblématique. Elle sera l’une des premières à mettre en lumière les enjeux de l’intersectionnalité. Théorisée en 1989 par Kimberlé Crenshaw, l’expression désigne la situation de personnes victimes de plusieurs discriminations à la fois, que ce soit à cause de leur sexe, leur couleur de peu, leur origine ou encore leur orientation sexuelle.
En France, l’afro-féminisme a toujours existé, mais son nom n’est apparu que récemment dans les médias. Il prend forme surtout au milieu des années 70, avec la Coordination des femmes noires, ou Mouvement des femmes noires.
« Plus on aura un mouvement antiraciste autonome fort, plus il y aura de places comme il y en a aux Etats-Unis pour les queer, les trans et les femmes de couleur », insistait alors Fania Noël, qui dirige Les AssiégéEs, une revue militante sur l’intersectionnalité, « par et pour les raciséEs”, et membre du Mwasi.
Ce lundi 29 mai, une tribune a été publiée sur Médiapart en soutien au collectif afro-féministe. « Nous remarquons que le rassemblement annuel du Front national depuis près de quarante ans en place publique ne suscite pas les mêmes angoisses chez la LICRA et Anne Hidalgo », déplore les signataires parmi lesquelles on retrouve l’auteure Rokhaya Diallo et la blogueuse Kiyémis.
Sur Twitter, le Mwasi a annoncé avoir contacté la préfecture de police et la cabinet de la Mairie de Paris, qui leur ont indiqué que le festival « ne peut être interdit ni être annulé ». Le collectif afro-féministe attend désormais des excuses publiques de la part d’Anne Hidalgo. De son côté, la maire de Paris s’est curieusement félicitée que « suite à [son] intervention ferme hier auprès des organisateurs, une solution claire a été établie. » Quelle solution a bien pu avoir été trouvée ? « Le festival organisé dans un lieu public sera ouvert à tous. Des ateliers non-mixtes se tiendront ailleurs, dans un cadre strictement privé. » Ce qui, en résumé, était ce qu’avait prévu depuis le départ le festival Nyansapo…
Festival #Nyansapo : à la suite de mon intervention ferme hier auprès des organisateurs, une solution claire a été établie.
— Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo) May 29, 2017
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