L’art du très coté Japonais Takashi Murakami se complaît dans le décoratif mondialisé. Visite orientée de son exposition parisienne.
Comme un écran de fumée, on se laisserait aveugler par les prix faramineux atteints par l’artiste Takashi Murakami, jusqu’à deux millions d’euros dit-on pour les plus grandes toiles de son actuelle expo à Paris. Quand l’argument économique tend à éteindre tout discours critique – les uns disant amen à la force de l’argent, les autres se contentant d’un insuffisant “c’est trop commercial” –, il semble nécessaire d’aller voir de plus près ces grandes surfaces de peinture, ou cette peinture de grande surface, se demandant pourquoi elle nous est si “chère” aujourd’hui.
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Commençons par son chef-d’oeuvre : 727-272 The Emergence of God at the Reversal of Fate. Au Palazzo Grassi de Venise, François Pinault détient cette vaste fresque de seize toiles où le manga tourne à l’apocalypse nucléaire, où l’orientalisme se conjugue avec des moments plus abstraits et croise les radiations d’un Gerhard Richter, dans une rencontre chromatique entre la vieille Europe et la peinture japonaise. “Une oeuvre majeure du XXIe siècle”, commente au passage son galeriste Emmanuel Perrotin, et il n’a peut-être pas tort, surtout si l’on considère ce siècle comme celui de “l’Empire” sans dehors, sans altermonde, que nous prépare le capitalisme mondialisé.
Car si The Emergence… nous apparaît comme la plus belle de ses oeuvres, bien plus majeure que celles où Murakami se contente de reprendre l’univers du manga, c’est au nom de cette fusion-food magistrale de la grande abstraction européenne, de la peinture japonaise traditionnelle et du manga postpop. Des toiles strictement manga, on en trouve plusieurs dans l’exposition chez Emmanuel Perrotin : jubilée de popisme naïf, de fleurs tout sourires faites en série, réalisées sans doute par les petites mains ouvrières de ses assistants, elles croisent cette fois le Japon industrialisé et la Factory de Warhol – référence revendiquée par l’artiste qui a créé la Hiropon Factory puis KaiKai Kiki, “an art production company” dont les artistes Rei Sato ou Mr. apparaissent comme des produits dérivés.
Plus loin, des toiles rondes forment encore un autre mélange culturel : le bon vieux tondo de la tradition européenne est fondu d’estampes japonaises et de coulures abstraites à la manière de Richter et Polke, le tout orné de fleurs, ingrédient indispensable d’une peinture accessible, décorative à souhait et gentiment “flower power” dans l’âme. Très consciemment donc, l’empereur Murakami produit aujourd’hui la peinture par excellence de la mondialisation économique, et c’est à ce titre qu’il se trouve porté aux nues par le capitalisme financier et l’industrie du luxe, invité à imprimer sa marque sur les sacs Louis Vuitton.
Murakami n’est pas le peintre de la postmodernité où toutes les singularités étaient absoutes dans un multiculturalisme hybride, et certainement pas celui d’un altermondialisme où les cultures diverses maintiendraient leur différence dans un jeu de solidarité. Non, ses toiles s’offrent comme l’interface de notre économie globalisée, elles sont l’équivalent pictural de Google Earth : une oeuvre planétaire et lissée où, ainsi mises ensemble, les références, les singularités, les géographies et les cultures forment le prisme d’une civilisation unique.
Takashi Murakami Paints Self-Portraits Jusqu’au 17 octobre à la galerie Emmanuel Perrotin, 76, rue de Turenne et 10, impasse Saint-Claude, Paris IIIe /// www.galerieperrotin.com
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