Les discussions doivent reprendre ce mercredi à New York entre Buenos Aires et les « fonds vautours » comme le fameux fonds Elliott pour tenter d’éviter à l’Argentine un défaut de paiement sur une partie de sa dette. Le gouvernement argentin espère obtenir un délai supplémentaire pour rembourser ses créanciers. L’économiste Elie Cohen nous explique quels sont les enjeux pour l’Argentine.
Quelle est la situation économique actuelle de l’Argentine ?
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Elie Cohen – L’Argentine a récemment renégocié sa dette avec tous ses créanciers, c’est-à-dire les détenteurs d’obligations de sa dette d’Etat. Elle en avait émis pour plus de 100 milliards de dollars. Après la crise de 2001, l’Argentine était parvenue à un accord (en 2005 puis en 2010) avec ses créanciers : 93% d’entre eux avaient accepté une décote à hauteur de 65% en moyenne sur leur titres. Mais il restait un noyau dur de 7% qui a continué de rejeter l’accord.
Ce sont les fameux fonds qualifiés de « vautours » par les observateurs ?
Oui, deux fonds : Aurelius et NML, qui est une filiale du fonds américain Elliott. Ce dernier a poursuivi l’Argentine devant les tribunaux américains, demandant à être remboursé de l’intégralité du montant de la dette, et ce avant le remboursement de la dette corrigée aux deux tiers pour les 93% des créanciers qui avaient, eux, accepté l’accord. Le comportement d’Elliott est celui d’un vautour, d’un rapace. Ce sont des gens dont le métier est d’essayer d’extraire la plus-value maximale d’une opération financière alors qu’il n’ont jamais été de véritables « préteurs » d’argent. L’Argentine n’est d’ailleurs pas le premier pays à tomber dans les filets d’Elliott, il y a déjà eu le Pérou, la Zambie ou encore la République démocratique du Congo, pour ne citer qu’eux !
Quel est l’enjeu aujourd’hui ?
Si l’Argentine ne paye pas avant la fin de la journée cette dette corrigée à hauteur de 65%, elle sera obligée de faire défaut à nouveau. Non pas qu’elle n’en soit pas capable, mais parce que la justice a reconnu le bon droit du fonds Elliott. Ce qui se passe actuellement est d’autant plus scandaleux qu’en fait, ce fonds avait acheté de la dette décotée sur les marchés, c’est-à-dire à 10 ou 20% de sa valeur d’origine. Tout en exigeant, aujourd’hui, de se faire rembourser à 100%.
L’Argentine a jusqu’à mercredi soir minuit pour régler aux 93% qui ont accepté l’accord, le montant de la dette recalculée. On parle d’un montant d’environ 600 millions de dollars qui a d’ailleurs déjà été déposé aux Etats-Unis. Mais la justice américaine bloque ce montant, à la demande du fonds Elliott. Ces derniers réclament le remboursement de 100% des dettes argentines qu’ils détiennent, pour un montant d’1,33 milliard de dollars.
Que signifierait un nouveau défaut technique pour l’Argentine ?
L’Argentine devrait alors rouvrir des négociations avec ses créanciers. De plus, le pays ne pourra pas retourner sur les marchés financiers, alors qu’il comptait le faire. Enfin, c’est un événement qui vient s’ajouter à la liste des difficultés économiques que connais l’Argentine depuis années et qui entachent sa réputation sur les marchés.
C’est une conséquence directe de la crise de 2001 ?
Oui, mais ce qu’il faut savoir, c’est que les marchés n’en veulent jamais aux pays qui font défaut. C’est bien trop important pour les investisseurs de continuer à investir, d’acheter de la dette, etc. A priori, en cas de défaut technique bien réglé, un pays sera « pardonné » par les marchés. Mais un défaut mal réglé, une fois deux fois trois fois, fait baisser la confiance des marchés. A court terme, cela peut entraîner de grosses difficultés sur le quotidien des Argentins.
Comment explique-t-on une telle situation ?
La crise de 2001 avait été « réglée » après de longues négociations avec les créanciers. Acceptées par 93% des créanciers. Simplement, parmi les derniers récalcitrants, il y a ces fonds vautours dont la spécialité est d’acheter de la dette très fortement décotée et d’engager dans le même temps des procédures judiciaires pour récupérer la totalité de leurs engagements, qu’ils avaient achetés pour une bouchée de pain. En faisant, au passage, des profits colossaux.
C’est en soit la spécialité de ce fonds Elliott, ils achètent également de la dette d’entreprises privées, dans le cas de LBO qui ont mal tourné.
Que sont les LBO ?
« Leveraged buy-out », c’est-à-dire le rachat d’une société criblée de dettes. Le paiement de la charge de la dette se réglant grâce au produit d’exploitation de l’entreprise. Mais beaucoup de LBO se sont mal passés car les niveaux de dettes étaient bien trop élevées par rapports aux capitaux des entreprises: on dit alors que les effets de leviers étaient bien trop importants.
Comment règle-t-on ces litiges dans le domaine privé ?
Dans le cas argentin, s’il y avait 7% de récalcitrants, vous iriez au tribunal de commerce, et ces récalcitrants seraient obligés de suivre les 93 %, tout simplement. Mais il n’existe à ce jour aucun tribunal de commerce dans les affaires internationales.
Comment peut agir le Fonds monétaire international (FMI) dans ce dossier ?
Le FMI avait proposé de créer un « tribunal des faillites » pour gérer la mise en défaut technique des Etats. Mais la proposition n’a jamais abouti. C’est pourquoi nous nous retrouvons face à ces situations aujourd’hui, où dans le cas des dettes souveraines d’Etats, il faut l’accord de 100% des créanciers.
Sait-on pourquoi il n’y a jamais eu d’accord ?
Certains pays ne veulent pas de ce type de procédure et veulent garder la possibilité de poursuivre les Etats défaillants.
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