Quatre heures de discussion pour les 11 candidats au poste suprême. Si l’exercice a parfois semblé indigeste, le premier et peut-être unique débat présidentiel avec tous les prétendants a permis de tirer quelques enseignements.
Le matin-même, ce mardi 4 avril, on apprenait que deux tiers seulement des Français étaient sûrs d’aller voter pour le premier tour de la présidentielle, le 23 avril. Au terme de quatre heures de débat, hier soir sur BFM-TV et C News, entre les 11 candidats du premier tour, l’autre tiers d’indécis n’a probablement pas changé d’avis. Pourtant si l’exercice de maintenir une ambiance de débat convenable a parfois été pénible pour les deux présentatrices, Ruth Elkrief et Laurence Ferrari, tout n’est pas à jeter de ce premier débat TV de la présidentielle à 11, loin de là.
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Les enjeux étaient multiples durant cet exercice : d’un côté les cinq “gros candidats” aux objectifs bien différents. Toujours aussi marqué physiquement, par les affaires judiciaires, François Fillon se devait de rassurer et peut-être convaincre son propre camp, que le socle d’électeurs de la droite est plus important que les 17 à 18 % dont il est crédité par les sondages. Marine Le Pen et Emmanuel Macron, virtuellement qualifiés pour le second tour devaient maintenir un cap tout en évitant les boules puantes. Jean-Luc Mélenchon, après un style très offensif appliqué lors du débat à 5 du 20 mars l’a joué un peu plus en retrait. Pour cause, ce précédent exercice fut le point final d’une séquence qu’il lui permit de dépasser son concurrent direct – du PS – Benoît Hamon. Rien de surprenant donc, à voir l’ancien ministre du gouvernement Ayrault distribuer quelques coups, même si l’ensemble manquait de punch. Y croit-il lui même encore ? La question peut se poser, même si sa conclusion fut plutôt convaincante et maîtrisée.
Des thèmes et des affrontements
Plusieurs thèmes ont été abordés durant la soirée donnant lieu à quelques controverses ou passes d’armes. Ainsi, la question de la suppression ou non de la directive européenne sur les travailleurs détachés a permis vraiment de lancer le débat, après des présentations/introductions aussi longues qu’ennuyeuses. Il y avait ceux comme Nicolas Dupont-Aignan, qui voulait supprimer cette directive dès “le premier jour de son élection” au contraire d’un Emmanuel Macron qui veut lui la “maintenir” ; sur le même sujet, Marine Le Pen, député européenne, a affirmé n’avoir pas voté ce texte, Jean-Luc Mélenchon lui a alors rappelé qu’elle n’avait pas voté contre et qu’elle s’était simplement abstenue – nuance de taille.
Cette question a ouvert une parenthèse européenne, thématique absente du 20 mars dernier. Et offrit à M. Dupont-Aignan, l’occasion de régler quelques comptes avec son ancien comparse du gaullisme social, François Fillon :
“Comment croire le Premier ministre qui a bafoué le vote des Français en 2005, a fait voter le traité de Lisbonne par le Parlement ? Cela a été un viol du peuple. Comment croire alors que vous avez fait ça.”
M. Fillon lui a répondu que “les Français ont choisi” en 2007, d’élire Nicolas Sarkozy dont c’était l’une des promesses. M. Dupont-Aignan lui a rétorqué du tac-au-tac : “Si vous êtes si sûr de vous, vous pouvez consulter les Français. En vérité, les gouvernements de Fillon et Hollande sont passés en force alors que les Français avaient dit qu’il fallait réorienter l’Union européenne.” En 2005, les Français s’étaient majoritairement opposés à la signature du Traité constitutionnel européen, votant à 55 % pour le non, la France était passée outre ce choix deux ans plus tard.
Plus globalement, Emmanuel Macron a plaidé pour un renforcement de la construction européenne. Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon ont annoncé vouloir renégocier les traités existants – et, si cela s’avère impossible, quitter l’UE pour le leader de la France insoumise, ce qui constitue un point de divergence avec le candidat socialiste, François Asselineau a déclaré vouloir quitter l’UE et appliquer un Frexit, alors que Marine Le Pen demandera un référendum sur le sujet.
La fonction publique permet à Benoît Hamon de sortir de sa torpeur
La question de la fonction publique fut une autre des thématiques abordées. Elle permit notamment à Benoît Hamon, de se mettre en avant en marquant son désaccord avec François Fillon et sa volonté de supprimer 500 000 emplois :
“Lors de la crise financière, [les] fonctionnaires ont tenu le pays. Lorsqu’ils se lèvent le matin, ils ne se lèvent pas comme des fonctionnaires mais comme des infirmières, des gendarmes… Ce sont des hommes et des femmes qui ont tenu le pays et on va leur demander des sacrifices en plus”.
Puis, s’adressant à M. Fillon :
“Vous avez ruiné le pays et vous venez nous donner des leçons ? Il y a un vrai clivage sur ces questions. C’est là où il faut mettre des moyens. Particulièrement en période de crise. Nous devons donner plus d’effectifs, revaloriser les carrières, plus de profs dans les écoles, de policiers…”
A cette occasion, Benoît Hamon a taclé indirectement Manuel Valls en déclarant “J’aime la fonction publique”, alors que l’ex-Premier ministre qui a rejoint En Marche ! avait déclaré “J’aime l’entreprise”.
La fronde des « petits » candidats
Après une première partie relativement calme, les passes d’armes se sont multipliées dans la seconde partie du débat. Celle-ci a commencé par la question de la moralisation de la vie politique, dans le climat actuel de défiance vis-à-vis des institutions et de la politique. Philippe Poutou, le candidat ouvrier du NPA, est alors entré directement en confrontation avec François Fillon et Marine Le Pen, qui a brandi son immunité parlementaire pour ne pas se rendre à sa convocation en vue d’une mise en examen dans l’affaire de ses assistants parlementaires :
“Fillon, plus on fouille plus on sent la corruption, la triche. C’est des bonhommes qui nous expliquent qu’il faut la rigueur et l’austérité alors qu’eux-mêmes piquent dans les caisses publiques. Le Pen pareil, elle pique dans les caisses publiques en Europe. Pour quelqu’un d’anti-européen, ça ne l’emmerde pas du tout. En plus, alors que le FN se dit antisystème, elle se protège grâce à l’immunité parlementaire. Quand nous ouvriers on est convoqués par la police, on n’a pas d’immunité ouvrière”.
Poutou : «Nous, nous n'avons pas d'immunité ouvrière» https://t.co/kuCIeUT1Lw @BFMTV pic.twitter.com/Q89Lhz53W4
— L'important (@Limportant_fr) April 5, 2017
Après cette saillie, il a proposé de limiter le salaire des politiciens, et d’interdire le cumul des mandats, car selon son analyse, les problèmes de corruption sont liés à la professionnalisation de la vie politique. Lorsque M. Poutou est revenu à la charge contre François Fillon, celui-ci l’a menacé dans sa barbe de lui coller un procès. Marine Le Pen n’a pour sa part rien trouvé de mieux à dire pour sa défense qu’elle était “persécutée politiquement”.
Jean-Luc Mélenchon a pour sa part proposé de nommer un Haut commissaire à la lutte contre la corruption. Certains sur Twitter ont d’ores et déjà proposé un candidat au poste : Philippe Poutou.
Je propose que ce soit #Poutou le haut commissaire à la lutte contre la corruption proposé par #Mélenchon 😃. #LeGrandDebat pic.twitter.com/U4OZOzhICB
— Antoine Léaument 🇫🇷🌿 (@ALeaument) April 4, 2017
Plusieurs candidats, dont Nicolas Dupont-Aignan, Emmanuel Macron et Benoît Hamon, se sont prononcés pour que les élus et les fonctionnaires aient l’obligation d’avoir un casier judiciaire vide, ainsi que pour la fin de la pratique du “pantouflage”.
Jean Lassalle, qui s’est présenté comme “fils et frère de berger” et qui l’a été lui-même, et qui a introduit toutes ses prises de parole par “mes chers compatriotes”, a déclaré à ce propos : “Je n’aurai pas de difficulté à être un président exemplaire, il y a 40 ans qu’il n’y en a pas eu.”
Le président exemplaire selon Jean Lassalle… #LeGrandDebat pic.twitter.com/PQZhhF6KEV
— Maud Guérin (@Laitalafraise) April 4, 2017
Enfin, Nathalie Arthaud, candidate “communiste révolutionnaire” du parti Lutte Ouvrière, a mis en évidence le déséquilibre qui existe entre la justice des travailleurs et celle des politiques :
Nathalie Arthaud, sur les comptes que l’on demande aux travailleurs et pas aux reponsables politiques #LeGrandDebat https://t.co/oqhykfy5t7 pic.twitter.com/m2KtKldWSZ
— Libération (@libe) 4 avril 2017
Quel modèle social ?
Le débat a enfin porté sur le modèle social des candidats et leurs moyens de le mettre en oeuvre. A ce sujet Philippe Poutou a asséné qu’il déclarerait « l’état d’urgence sociale” et embaucherait dans tous les services publics, promettant même d’en construire d’autres. Sur la question du travail, il a taclé Emmanuel Macron, qui souhaite supprimer le nom du “compte pénibilité” car il induit “que le travail est une douleur” alors que pour lui “c’est l’émancipation” : “ça se voit que vous ne connaissez pas grand chose au travail”, a lâché Philippe Poutou.
Nathalie Arthaud, a pour sa part défendu la grève comme seul moyen pour les travailleurs d’imposer les changements qui répondront à leurs besoins. Se référant à la Guyane, elle a prôné “la voie du rapport de force” pour “secouer l’Etat”. Avant de créer des emplois, elle a estimé qu’il fallait défendre ceux qui existent :
Longue tirade de Nathalie Arthaud contre les grandes entreprises qui licencient#LeGrandDebat pic.twitter.com/QSBfV1CzOv
— BuzzFeed France News (@BuzzFeedNewsFR) April 4, 2017
Une grosse passe d’armes a eu lieu entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, sur le thème de la laïcité. La candidate a estimé que les crèches faisaient partie de “notre patrimoine historique et culturel”. “Alors vous voulez mettre des symboles religieux dans les mairies, c’est ça votre laïcité ?”, s’est exclamé M. Mélenchon. Plus tard, il lui a répondu de manière cinglante : “Fichez-nous la paix avec vos religions”, rappelant que 60% de la population était athée.
#LeGrandDébat : clash entre @JLMelenchon et @MLP_officiel au sujet des crèches pic.twitter.com/AnBZZ7vH9V
— CNEWS (@CNEWS) April 4, 2017
Au terme de ce débat très long mais instructif, les candidats ont eu une minute pour conclure. On retiendra notamment la promesse de “commencer les jours heureux” et de “retrouver le goût du bonheur” de Jean-Luc Mélenchon ou l’hommage rendu à toutes les facettes de la France de Benoît Hamon, lu sans notes. Mais n’oublions le moment d’anthologie de ce débat, qui s’est immédiatement transformé en mème, quand Philippe Poutou a été surpris en train de converser avec ses soutiens qui étaient derrière lui.
https://twitter.com/lindiOM9/status/849353822455570432
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