Davide Cerullo, photographe, a grandi a Scampia. Dans cette banlieue du nord de Naples, il a très vite été happé par la Camorra, la mafia locale. Aujourd’hui artiste, il capture avec puissance la jeunesse qui continue de survivre dans l’un des quartiers les plus déshérités d’Europe.
Davide Cerullo est né en 1974. Il a grandi dans le quartier de Scampia où il a vécu une enfance difficile entrant très tôt au sein de la Camorra, la mafia napolitaine. Il se retrouve en prison, où il découvre Pasolini et la poésie. Rongé par les remords, il trouve le salut en s’engageant pour aider les enfants de Scampia, où il vit toujours. En parallèle de cette action sociale, il développe ses qualités d’écrivain et de photographe.
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Dans Visages de Scampia, les justes de Gomorra, Davide Cerullo nous ouvre les portes d’un quartier secret, lieu de mille fantasmes. Il y emmène l’artiste Ernest Pignon-Ernest, qui souhaite prolonger dans cette banlieue déshéritée du nord de Naples, le parcours de son projet « Se torno » (« Si je reviens »), qui l’a vu coller sur les murs de Rome ou Matera une image dans laquelle un Pasolini au regard sévère porte dans ses bras son propre corps sans vie.
Le récit de cette rencontre introduit les photographies et les textes de Davide Cerullo, rassemblés dans ce très beau livre, parrainé par Erri De Luca, l’un des auteurs les plus illustres de la cité parthénopéenne qui explique : « Il a voulu produire des images, photographier et le voilà derrière un diaphragme en train de découvrir, de dévoiler, de dénuder. Ce n’est pas un doux, Davide Cerullo, c’est du vif-argent qui mesure la température extérieure. Il peut se déformer, mais pas écraser ni comprimer. Ceux qu’il fixe sont des photogrammes d’une autobiographie. »
Que voulais-tu montrer à travers ce recueil de photos de habitants de Scampia ?
Davide Cerullo – Avec ces photos j’ai voulu provoquer, en montrant le visage d’enfants qui n’en sont déjà plus car ils sont forcés de faire connaissance avec un monde trop dur, trop tôt. J’ai voulu provoquer, chez l’adulte, un sentiment de responsabilité et de culpabilité face à cette enfance niée, dont il est le principal responsable. Responsable de ce dialecte infâme, dégradé, rusé, violent, impitoyable, vulgaire, vorace, menaçant et ordinaire. Je voulais que les visages sales de ces enfants parlent au cœur des gens.
Comment décrirais-tu Scampia à un touriste qui visiterait Naples pour la première fois ?
Je lui expliquerais que Naples part de Scampia, de la périphérie de l’âme, où il vit et souffre l’espoir de la possibilité de vouloir être heureux.
Pourquoi avoir choisi majoritairement des enfants comme sujet photographique ?
Le plus grand crime qui puisse être commis contre l’humanité est de ne pas permettre à un enfant d’être un enfant. Si un enfant échoue dans la réussite de son développement personnel, c’est la responsabilité de toute la communauté qui est engagée. En choisissant de mettre en avant les enfants dans le livre, j’ai voulu attirer l’attention sur leur fragilité. Dans les zones dépravées comme Scampia s’ils ne sont ni protégés ni défendus, ils risquent de se casser.
Comment décrirais-tu la vie d’un enfant de Scampia comparée à celle d’un enfant d’un quartier plus chic de Naples comme Chiaia ou Vomero ?
Dans un sens, la bourgeoisie est une forme de crime légalisé. Il n’est pas facile de réveiller certaines consciences vivant dans le bien-être permanent. Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un bourgeois d’entrer dans le royaume de Scampia. Pour expliquer certains territoires comme Scampia, il ne suffit pas d’images ou de livres. Il faut y habiter. Il y a deux Naples qui ne veulent pas se rencontrer, le Naples du centre et de la périphérie.
Existe-t-il un échappatoire à la criminalité pour un jeune qui grandit à Scampia ? Comment t’en es-tu sorti ?
Je ne le crois pas. Ce n’était pas facile de s’en sortir, ayant vécu dans la Camorra de 10 à 19 ans. Le problème n’était pas de sortir du système de la Camorra, mais de faire une croix sur tout l’argent que nous pouvions nous faire avec le trafic de drogue. A 14 ans, je me faisais 900 000 lires par jour (environ 500 euros), je pouvais tout me permettre. A 19 ans, la rencontre avec les livres qu’un ami peintre m’avait suggérés m’a sauvé. Le premier livre était de Pier Paolo Pasolini, La Religion de mon temps. La poésie de Pasolini a eu pour moi la fonction de charrue, un instrument utilisé dans l’agriculture depuis l’Antiquité pour travailler le sol et le préparer pour son utilisation agricole, pour y planter quelque chose. J’ai dû travailler dur pour me débarrasser de mon ancienne vie. Je me suis alors résolu à quitter la maison familiale ; onze de mes treize frères étaient impliqués dans la Camorra, y compris ma mère. La poésie m’a exhumé, m’a fait me sentir coupable dans ce que j’avais fait de ma vie auparavant. J’ai vu tant d’enfants mourir de la drogue, mais sans jamais me sentir coupable. Les livres m’ont ouvert les yeux sur le vrai sens de la vie.
Penses-tu qu’une série comme Gomorra donne une image négative de ton quartier ?
Cette série décrit une réalité qui n’est pas la science-fiction mais bel et bien la vérité. Bien sûr, cela pourrait être une source de fierté pour certains et une raison de dégoût pour les autres. Si un petit garçon qui regarde Gomorra possède en lui une fascination morbide pour la Camorra, cela pourrait accentuer son charme néfaste. Mais je suis persuadé que celui qui a en lui les bonnes de valeurs saura se défendre.
Penses-tu qu’un jour le regard changera sur Scampia ?
Peut-être et j’espère que ce livre pourra y contribuer.
Propos recueillis par Julien Rebucci
Toutes les photos (Davide Cerullo © Davide Cerullo-éditions Gallimard) sont issues du livre de Davide Cerullo, Visages de Scampia, les justes de Gomorra, édition Gallimard, 2018, 144 pages 25 euros.
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