Elle-même atteinte de la maladie, la professeure de yoga Minako Komatsu a développé une pratique pour soulager les femmes touchées par l’endométriose. Grâce à des postures mais aussi de la visualisation, elle leur apprend à gérer la douleur et à se réconcilier avec leur utérus, devenu source de leurs maux.
Par un samedi ensoleillé, une quinzaine de femmes poussent tour à tour la porte de ce studio de yoga niché au cœur du XIe arrondissement de Paris. Elles ont entre 20 et 40 ans environ et, pour points communs, la douleur, une errance médicale, les diagnostics tardifs, l’incrédulité des proches et parfois des médecins.
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Ce cours de 2h30 constitue une parenthèse dans un parcours du combattant, un instant pour enfin “prendre soin de soi”, comme plusieurs le confient. “Je cherche une approche plus douce que le traitement hormonal ou l’opération”, explique Alice*, la trentaine. Dans cet endroit calme et lumineux, ces femmes posent leurs armes pour trouver un moment de réconfort. Elles ont toutes reçues le diagnostic de l’endométriose, cette maladie inflammatoire qui touche une femme sur 10 selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale. Chez les personnes concernées, l’endomètre, c’est-à-dire le tissu de la paroi interne de l’utérus, se développe en dehors de celui-ci. Ce qui provoque des douleurs et cause parfois des nodules, des kystes, des adhérences entre les organes, et réduit la fertilité.
La parole se délie autour de la douleur
Estelle*, jeune maman, a été diagnostiquée il y a deux semaines : “J’ai longtemps nié ma douleur”, explique t-elle. Alors qu’elle est atteinte d’endométriose et d’ovaires polykystiques, elle passe d’abord une partie de sa vie à ne pas en souffrir, car la maladie est “endormie par les hormones d’une pilule prescrite pour lutter contre l’acné”. Après la naissance de son fils, elle souhaite se faire poser un stérilet ; c’est là que la douleur fait une entrée fracassante dans sa vie. Lorsqu’elle demande à se le faire retirer, on lui rétorque que “la douleur est normale”. Elle finit aux urgences gynécologiques, où une médecin lui fait passer une IRM qui détecte l’endométriose.
“J’ai été diagnostiquée en octobre mais ça fait 20 ans que je l’ai. Ça a été un soulagement parce que ça prouvait que je n’étais pas une menteuse.”
Toutes racontent des histoires similaires, au sein de ce que Minako Komatsu, la professeure de ce cours pas comme les autres, appelle un “cercle de femmes”. Chacune se présente, en faisant un geste qui illustre sa personnalité et raconte son parcours par rapport à la maladie. Parfois les larmes se substituent aux paroles, après des années de douleur et d’incompréhension. Quand Marie* dit son nom au reste de la salle, elle fait un geste de caresse sur ses bras, en signe de réconfort. Avant même de parler, elle fond en larmes puis explique : “J’ai été diagnostiquée en octobre mais ça fait 20 ans que je l’ai. Ça a été un soulagement parce que ça prouvait que je n’étais pas une menteuse.”
D’autres révèlent des projets de grossesse compliqués, des rapports sexuels douloureux voire impossibles. Sabine*, la quarantaine, affirme qu’elle apprend “à être émotive”, “car elle est DRH” et même avec une endométriose de stade 4 (sévère), des nodules et tout le système génital contaminé, elle est habituée à cacher ce qu’elle ressent.
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Ophélie*, coach sportive, ne semble pas avoir subi plusieurs dépressions et pourtant : “Les jours où je vais bien, je me dis ‘waouh’”, confie t-elle. Elle a dû arrêter pendant un temps d’exercer son métier à cause de sa maladie et trouver un emploi de bureau. “Mais je ne veux pas renoncer, c’est ma passion.” Elle raconte avoir réussi à mettre au monde une petite fille, “un miracle” dit-elle, et qu’aujourd’hui son endométriose stagne selon les médecins. “Je suis dans une recherche de ma féminité, parce que je ne sais pas où elle est”, conclut-elle. Idem pour Sarah qui lâche dans un sanglot “j’avais un projet de grossesse”, et précise qu’elle a vécu cette année trois fécondations in vitro “qui n’ont pas tenu”. “J’attends de la douceur”, dit-elle.
“Je ne suis pas dans une vision combative par rapport à la maladie”
La professeure rebondit sur ces témoignages et partage son expérience : la douleur depuis ses premières règles à 12 ans, qui l’empêchent de “bouger, de respirer”. S’ajoutent à cette adénomyose, une forme d’endométriose interne à l’utérus, pas encore diagnostiquée à l’époque, des cystites à répétition. Elle estime alors que son “corps lui envoie un message” et qu’il est temps de lui répondre. À 27 ans, elle se tourne notamment vers le yoga, dont les bienfaits sur le corps et l’esprit diminuent selon elle les effets de l’endométriose : il réduit le stress qui nourrit les inflammations et décrispe les muscles pour favoriser la circulation sanguine et calmer les douleurs.
Pour autant, elle estime qu’il ne s’agit pas de “lutter contre l’endométriose” : “Je ne suis pas dans une vision combative par rapport à la maladie”, se justifie t-elle. Minako Komatsu préfère ainsi parler de “yoga de l’endométriose”, puisqu’il n’existe pas de remède et que les femmes doivent tant bien que mal vivre avec. En effet, l’endométriose disparaît le plus souvent après une hystérectomie (ablation de l’utérus) ou lors de la ménopause.
“Je visualisais très bien la scène, je rentrais à l’intérieur de moi-même, c’était chaud, doux et humide.”
Commence ensuite le travail physique avec les postures ou “asanas” pour masser les organes internes, détendre le ventre, soulager le bas du dos, grâce à un enchaînement lent et un souffle “long et profond”. “Vous ne devez pousser l’étirement qu’à 80% de votre capacité, pour vous concentrer sur la respiration”, indique Minako Komatsu. Des postures simples, à refaire chez soi en cas de crise et en prévention. Les yeux fermés, le groupe enchaîne doucement les torsions, les “chien tête en bas” et “bébé cobra”, étendu sur le ventre, soulevant uniquement la tête et les épaules. Ce travail physique se conjugue avec des exercices de visualisation qui visent à réconcilier les personnes atteintes d’endométriose avec leur féminité, vécue comme la cause de leurs souffrances. “Déplier les morceaux de papier froissés en vous pour découvrir le message écrit à l’intérieur”, propose ainsi Minako Komatsu.
Visualiser son utérus
La professeure demande aux participantes, allongées sur leurs tapis, de faire un exercice de plusieurs minutes pour terminer la pratique. Main posée sur le pubis, elle les invite à sentir la présence de leur utérus. “Même si vous n’en avez plus, il est toujours là”, souligne Minako Komatsu. Yeux fermés, il s’agit d’imaginer partir à la découverte de son sexe, figuré tel une grotte. “Vous vous approchez et vous voyez vos grandes lèvres, vos petites lèvres, puis vous rentrez à l’intérieur.” Les femmes doivent imaginer un siège installé dans leur vagin, sur lequel elles doivent s’asseoir.
Chiara* ressort de cet exercice chamboulée: “Je visualisais très bien la scène, je rentrais à l’intérieur de moi-même, c’était chaud, doux et humide.” D’autres se sont assoupies ; certaines, plus terres à terres, avouent avoir eu du mal à se projeter à l’intérieur d’elles-mêmes. À la fin du cours, en cercle, chacune caresse le dos de sa voisine, “pour se féliciter” explique la professeure, puis regarde les autres dans les yeux quelques secondes; des gestes simples mais inhabituels, qui soulignent le sentiment de communion qui a émané de cet atelier. D’ailleurs, une fois la séance achevée, les femmes s’échangent des conseils, sur comment gérer la douleur, comment parer à l’infertilité. “Ça fait du bien d’en parler avec des femmes concernées”, affirme Vanessa*, apparemment soulagée que l’omerta sur cette maladie soit désormais levée.
Clara Baillot
* Tous les prénoms ont été changés pour garantir la confidentialité des paroles de ces femmes.
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